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Commande publique - Convention de coopération entre personnes publiques : quelles conditions pour échapper aux règles européennes de la concurrence ?

Dans un arrêt important du 19 décembre 2012, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) précise les conditions de légalité d'une convention conclue entre deux personnes publiques sans appel à la concurrence.

La législation italienne autorise les établissements publics universitaires à réaliser des activités de recherche et de conseil dans le cadre de contrats passés avec des entités publiques ou privées. Dans les faits, une agence sanitaire locale italienne avait confié à une université, "une mission d'étude et d'évaluation de la vulnérabilité sismique de structures hospitalières". Qualifiée de coopération pour l'exercice d'activités d'intérêt général, la convention n'a pas fait l'objet d'une mise en concurrence. La rémunération des prestations s'élevait à la somme de 200.000 euros HT, soit l'équivalent des frais exposés par l'université.
La décision d'approbation du cahier des charges et les actes connexes sont contestés en justice par des professionnels qui considèrent que cette convention relève du droit des marchés publics et doit être soumise à une procédure de publicité et de mise en concurrence préalables. Alors que la première juridiction du fond accepte cette qualification, la juridiction de renvoi y voit une forme de coopération. Compte tenu de cette divergence, le Conseil d'Etat italien pose une question préjudicielle à la CJUE.
Au regard du droit de l'Union européenne, une telle convention peut-elle être conclue sans publicité ni mise en concurrence préalables ?
La CJUE reprend tout d'abord les caractéristiques essentielles pour définir un marché public. Selon les termes de l'article 1er paragraphe 2 de la directive Marchés publics 2004/18, il s'agit d'"un contrat à titre onéreux conclu par écrit entre un opérateur économique et un pouvoir adjudicateur et ayant pour objet la prestation de services visés à l'annexe II A". Elle rappelle qu'un marché public peut être un contrat conclu entre un pouvoir adjudicateur et un opérateur économique qui soit lui–même un pouvoir adjudicateur. Il est en outre "indifférent que l'entité concernée ne poursuive pas à titre principal une finalité lucrative, qu'elle n'ait pas une structure d'entreprise ou encore qu'elle n'assure pas une présence continue sur le marché". Enfin, qualifier le contrat de marché public n'est pas exclu lorsque "sa rémunération reste limitée au remboursement des frais encourus pour fournir le service convenu".
Compte tenu de ces éléments, la convention conclue entre l'agence sanitaire locale et l'université relève du droit communautaire des marchés publics. Entre-t-elle toutefois dans l'une des exclusions du champ d'application du droit communautaire ? La Cour européenne écarte l'exception "in house" puisque l'agence sanitaire locale n'exerce pas de contrôle sur l'université, pour ne retenir que l'hypothèse de la convention de coopération entre personnes publiques.

Une mission d'ingénierie peut-elle faire l'objet d'une convention de coopération ?

La CJUE rappelle les conditions permettant d'exclure les conventions de coopération du champ d'application du droit communautaire des marchés publics. Dans sa jurisprudence Commission contre Allemagne du 9 juin 2009, elle considère qu'il faut que de "tels contrats soient conclus exclusivement par des entités publiques, sans la participation d'une partie privée, qu'aucun prestataire privé ne soit placé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents et que la coopération qu'ils instaurent soit uniquement régie par des considérations et des exigences propres à la poursuite d'objectifs d'intérêts publics". Or les activités ayant fait l'objet de la convention entre les personnes publiques italiennes relèvent de la compétence d'ingénieurs ou d'architectes et ne s'apparentent pas à une mission de recherche scientifique exercée par l'université.
La Cour émet donc des doutes sur le fait que ces prestations de services soient de nature à assurer une mission de service public mais renvoie le soin aux juridictions nationales de trancher la question au regard de la règle selon laquelle, "le droit de l'Union en matière de marchés publics s'oppose à une réglementation nationale qui autorise la conclusion, sans appel à la concurrence, d'un contrat par lequel des entités publiques instituent entre elles une coopération lorsque (…) un tel contrat n'a pas pour objet d'assurer la mise en œuvre d'une mission de service public commune à ces entités, qu'il n'est pas exclusivement régi par des considérations et des exigences propres à la poursuite d'objectifs d'intérêt public ou qu'il est de nature à placer un prestataire privé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents".
Ce rappel des principes de droit communautaire ne remet pas en cause les coopérations "public-public" françaises. A titre d'exemple, les collectivités territoriales peuvent recourir à une unité de valorisation énergétique pour le traitement des déchets, cette coopération étant considérée comme un outil de mutualisation.

L'Apasp

Références : CJUE, 19 décembre 2012, Azienda Sanitaria Locale di Leccce, C-159/11 ; CJUE, 19 décembre 2012, communiqué de presse n°173/12 ; Document de travail des services de la Commission concernant l'application du droit de l'Union européenne sur les marchés publics aux relations entre pouvoirs adjudicateurs, 6 octobre 2011 .

SCIC : une coopérative structurelle soumise à la mise en concurrence
Dans une question écrite ( n°5291), le député Jean Grellier demande au ministre de l'Economie et des Finances de préciser l'articulation entre l'obligation de mettre en concurrence un contrat conclu entre une personne publique et une société coopérative d'intérêt collectif (Scic) et le fait que des collectivités locales soient sociétaires de cette structure.
La réponse du gouvernement du 15 janvier 2013 rappelle qu'une Scic dont le capital est détenu jusqu'à 20% par des collectivités locales agit sur le marché concurrentiel en qualité d'opérateur économique. Elle est donc soumise aux règles des marchés publics lorsqu'elle conclut un contrat avec une personne publique. Pour emporter un marché, elle doit présenter l'offre économiquement la plus avantageuse, au même titre que les autres candidats et conformément aux règles de la concurrence. Une attribution directe du marché reste toutefois possible lorsque la Scic est le seul opérateur en mesure de fournir la prestation du marché (article 35 II 8°).