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Europe - Transport ferroviaire : en route pour la concurrence

La Commission européenne a donné un coup de canif à son texte afin de calmer les ardeurs de Berlin et Paris. Mais les conditions posées par le quatrième "paquet ferroviaire" présenté le 30 janvier encouragent la fin des derniers bastions monopolistiques du rail d'ici sept ans.

Depuis vingt ans, la Commission européenne s'attelle avec opiniâtreté au secteur du rail, et sa gestuelle n'a pas changé : elle fait un pas, trébuche, se redresse, puis refait un pas.
Avec les résultats que l'on connaît : dans 16 Etats de l'UE, 90% du transport ferroviaire de passagers est entre les mains des opérateurs historiques. A l'avenir, les usagers pourront faire ce qui n'existe pas aujourd'hui : comparer les prix d'un Paris-Marseille ou d'un Cahors-Montauban avec ceux des concurrents de la SNCF.
Autant dire que la libéralisation, mot synonyme de dumping social ou de délitement du service public pour les cheminots, reste très virtuelle. Mais jusqu'à quand ? Décembre 2019, répond la Commission européenne, qui a présenté un paquet de 6 textes législatifs le 30 janvier. D'ici sept ans, l'ensemble des lignes de transports de voyageurs (TGV, TER, trains d'équilibre du territoire, trains de banlieue...) vont entrer dans une phase de mise en concurrence avec d'autres opérateurs que la SNCF.

Risques anti-concurrentiels

Pour ce faire, les règles du jeu doivent être les mêmes pour tous… enfin presque. De grands Etats comme l'Allemagne, l'Italie et bientôt la France, peuvent fonctionner selon le modèle de la holding, où le gestionnaire d'infrastructures – à l'instar de RFF - cohabite au sein de la même maison que le transporteur, comme la SNCF.
Un schéma que la Commission européenne ne manque pourtant pas de décrier, tant il présente des risques anti-concurrentiels : les nouveaux entrants se sont vus imposer "des redevances d'accès aux gares et aux voies pour les services de voyageurs considérablement plus élevées que les taux appliqués aux entreprises ferroviaires historiques", rappelle la Commission dans ses propres documents. "L'asymétrie de l'information peut avantager les entreprises ferroviaires historiques par rapport à leurs concurrents, et l'absence de transparence financière totale entraîne un risque persistant de financements croisés."
Des dérives repérées dans le Land de Saxe-Anhalt, où le gestionnaire d'infrastructure compense au profit de DB Regio l'augmentation des droits d'accès aux voies. Sous une autre forme, la SNCF a elle aussi été pointée du doigt sur le marché du transport de marchandises : "En sa qualité de gestionnaire de l'infrastructure déléguée, la SNCF avait collecté des informations confidentielles sur les demandes de sillons horaires introduites par ses concurrents et les avait utilisées dans l'intérêt commercial de sa filiale fret, Fret SNCF", relève la Commission.

"On ne va pas faire de l'idéologie"

Malgré ces indices négatifs, Bruxelles ne contraint pas les Etats à adopter le modèle séparé d'ici à 2019, accédant ainsi à la demande fermement exprimée par Berlin, et dans une certaine mesure, par Paris. En témoigne la réaction positive du ministre Frédéric Cuvillier, qui "accueille favorablement les propositions de la Commission".
"On ne va pas faire de l'idéologie sur le dégroupage", se conforme Siim Kallas, le commissaire européen aux Transports, réduit à accepter la souplesse accommodante du président Barroso. Une série de garde-fous est prévue : le gestionnaire de l'infrastructure ne peut pas détenir de parts dans le capital des entreprises ferroviaires du groupe, et vice-versa. Ses revenus ne peuvent pas non plus venir gonfler la force de frappe financière des transporteurs. Ces derniers ne peuvent pas recruter des anciens hauts responsables du gestionnaire d'infrastructure pendant les trois années qui suivent la fin de leur contrat, et inversement. Même logique pour les conseils d'administration, dont les membres ne peuvent siéger dans les deux instances.
Des précautions qui peinent à convaincre les professionnels : "Notre industrie est déjà complexe et sur-régulée. De nouvelles murailles de Chine n'empêcheront jamais la suspicion", déplore l'Association européenne du fret ferroviaire.

Zones rurales

Au delà de la gouvernance, Bruxelles s'attelle également aux modalités d'accès aux rails. N'importe quelle compagnie de n'importe quel pays doit pouvoir enregistrer des demandes de sillons et les obtenir dans des conditions transparentes (principe de "l'open access"). Dans ce cas, plusieurs transporteurs en concurrence offrent leurs services sur les mêmes trajets, un peu comme dans le secteur aérien.
Les entreprises pourront aussi investir le créneau des contrats de service public, qui représentent 90% des voyages en train effectués en Europe. La Commission souhaite en effet que le recours à l'appel d'offres se généralise. L'attribution directe de marchés est appelée à disparaître, sauf pour les lignes d'envergure limitée (contrat de moins de 5 millions d'euros ou desserte de moins de 150.000 km annuels). Pour Bruxelles, la compétition ferroviaire est une opportunité dont l'UE aurait tort de ne pas se saisir. A subventions égales, rapporte la Commission, la compagnie autrichienne Westbahn, concurrente de l'opérateur historique OBB, peut effectuer 7 dessertes quotidiennes entre Salzbourg et Graz, tout en affichant des coûts salariaux moins élevés.
Reste à prouver l'appétit des entreprises pour les lignes situées dans des régions peu denses condamnées à ne pas être rentables. "L'interopérabilité et la concurrence sont bonnes, mais nous nous assurerons qu'elles ne portent pas préjudice à l'obligation de service public. Tous les citoyens, y compris ceux situés dans les zones rurales et éloignées, doivent bénéficier d'un réseau ferroviaire de haute qualité", rappelle Saïd El Khadraoui, eurodéputé belge social-démocrate. Pour l'Unsa Ferroviaire, les options libérales retenues par Bruxelles "vont à l'encontre d'un service public de qualité et vers une dégradation de la politique d'aménagement du territoire".

Transfert de personnel

En guise de paratonnerre contre les foudres des syndicats, la Commission n'a pas prévu grand chose, si ce n'est le transfert du personnel des opérateurs existants vers les nouveaux entrants lorsque ces derniers décrochent des contrats de service public, avec le maintien des mêmes conditions salariales. Mais le libre choix prévaut : les autorités publiques peuvent ne pas imposer cette exigence au nouveau concessionnaire.
Le volet concurrentiel est complété par un pilier plus technique, lié aux autorisations nécessaires pour faire circuler les trains d'un pays à l'autre. Lancé à la fin des années 90, le Thalys a toujours besoin de 3 certificats différents pour transporter les passagers de Paris à Amsterdam en passant par Bruxelles.
Créée en 2004 et installée à Valenciennes, l'agence ferroviaire européenne voit ainsi ses compétences renforcées : elle pourra délivrer elle-même les documents nécessaires à la mise sur le marché des trains ainsi que les certificats attestant du respect des normes de sécurité par les transporteurs. Des actes aujourd'hui réalisés par les autorités nationales, qui n'hésitent pas à faire obstruction. La Commission escompte une réduction de 20% du coût et des délais d'accès au marché pour les concurrents des entreprises historiques.