Insertion - Le RSA, modèle et échec de l'évaluation ?
Dans le dernier numéro de sa revue "Economie et Statistique" - largement consacré au RSA (voir aussi nos articles ci-contre des 24 et 29 avril 2014) -, l'Insee publie un article introductif relatif aux "Ambitions et évaluations du revenu de solidarité active". Le RSA présente en effet la caractéristique d'être la prestation ayant fait, de très loin, l'objet de l'évaluation la plus poussée.
Une évaluation avant même la prestation
Celle-ci a débuté avant même la mise en place de la prestation, puisqu'elle a accompagné toute la phase d'expérimentation du RSA, de juin 2007 à juin 2009. Elle a été coordonnée par un comité d'évaluation des expérimentations du RSA - présidé par l'économiste François Bourguignon -, qui a rendu ses conclusions définitives en mai 2009. Le comité a travaillé notamment sur différents aspects : garantir aux foyers que la reprise d'emploi ou l'augmentation des revenus d'activité s'accompagne systématiquement d'une hausse de leur revenu disponible, réduire le taux de pauvreté des travailleurs modestes, améliorer l'accompagnement social et professionnel et simplifier les dispositifs existants... Pourtant, cette évaluation a fait l'objet d'un certain nombre de limites - déjà signalées à l'époque - dont les effets se font encore sentir aujourd'hui.
Par exemple, les foyers intégrés à la phase d'évaluation de l'expérimentation (soit environ 15.800 foyers bénéficiaires) semblent avoir bénéficié d'un accompagnement renforcé, qui a conduit à surestimer l'impact du RSA sur l'insertion et l'accès à l'emploi. Un autre biais a résidé, selon l'étude de l'Insee, dans "l'absence de doute sur le recours à la prestation de la part des intéressés". Ceci "n'a pas permis d'investir les questions de recherche des foyers éligibles au RSA activité, de leur instabilité éventuelle dans l'emploi et de leur perception du dispositif".
L'étude rappelle opportunément que, lors de la mise en place de la prestation en 2009, le nombre attendu de foyers bénéficiaires du RSA activité seul était de 1,5 million. Les simulations réalisées à l'époque par la direction générale du travail, la Drees ou la Cnaf reposaient en effet sur une hypothèse de recours à la prestation de 100%... Or, au 31 décembre 2013, la France comptait 505.000 bénéficiaires du RSA activité seul, soit trois fois moins que l'estimation initiale (voir notre article ci-contre du 24 mars 2014).
Une évaluation en continu sur près de cinq ans
L'évaluation du RSA n'a pas cessé avec la mise en place de la prestation en juin 2009. Au comité d'évaluation des expérimentations a succédé en effet un comité national d'évaluation (CNE), également présidé par François Bourguignon. Ce comité a publié deux rapports intermédiaires et un rapport final. Ce dernier, publié en décembre 2011, a clos le cycle d'évaluation ouvert en juillet 2007, mais sans apporter d'éléments vraiment probants sur l'impact du RSA. Tout en reprenant les mêmes thématiques que son prédécesseur, le CNE a également abordé d'autres sujets directement liés à la mise en place de la prestation, comme l'analyse de la montée en charge de la réforme, les effets du mode de gouvernance retenu ou encore les raisons du non-recours massif au RSA activité.
Non-recours au RSA activité : une perte de revenu pour 776.000 foyers
Sur ce dernier point, le dossier du dernier numéro d'Economie et Statistique consacre un article original à la question. Plutôt que de s'interroger sur les causes du non-recours - comme cela a déjà été fait -, il s'intéresse plutôt aux conséquences du non-recours au RSA activité sur les publics cibles. Ce travail permet de voir comment le non‑recours varie selon les configurations familiales, la date de l'événement conduisant le foyer à devenir éligible, l'instabilité de la situation professionnelle ou encore le sentiment de sécurité ressenti.
Ces travaux montrent que 151.000 personnes seraient effectivement sorties de la pauvreté grâce au RSA activité seul, mais que 645.000 auraient pu également être dans ce cas si le recours avait été total. Le taux de pauvreté de 2010 aurait ainsi diminué de 0,3 point grâce au RSA activité seul, mais il aurait pu diminuer de 1,1 point en cas de plein recours. En outre, 776.000 foyers supporteraient une perte de revenu mensuel du fait de leur non‑recours, et cette perte serait en moyenne de 83 euros par mois.