Environnement / Urbanisme - Le rapport Peylet esquisse les contours de l'Institut de la ville durable
Le conseiller d'Etat Roland Peylet a remis le 30 octobre un rapport intitulé "La ville durable, une politique publique à construire" à Patrick Kanner, ministre de la Ville, et Myriam El Khomri, secrétaire d’Etat chargée de la politique de la ville. Ce rapport rend compte des travaux de la "Mission ville durable" confiée par Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, à Roland Peylet en janvier dernier. Il apporte ainsi des précisions sur les objectifs du futur Institut de la ville durable, le calendrier de sa mise en place et les conditions de son fonctionnement, quelque trois semaines après la désignation de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) comme préfigurateur de cette instance (voir notre article du 28 octobre L'Institut de la ville durable incube à l'Anru).
Un institut pour permettre aux initiatives éparses de "se cristalliser"
"Incontestablement", selon Roland Peylet, se dessine en France "une volonté collective d’embrasser, compte tenu des enjeux qu’il recèle, l’objectif de ville durable dans sa globalité". Mais la profusion des acteurs concernés de près ou de loin par le sujet et la multitude des projets estampillés "ville durable" génèrent "une multiplication des lieux de rencontre portés par de nombreuses institutions et organismes et un foisonnement qui n’arrive pas à se 'cristalliser'".
L'état des lieux dressé par le rapport rend ainsi compte de l'absence de "synergie" entre les acteurs, de l'existence d'une "expertise balbutiante à fédérer" ou encore d'une "volonté collective mais brouillonne d'embrasser l'objectif de ville durable". Concernant par exemple les entreprises opérant dans ce champ, "si notre pays compte de nombreuses 'pointures' internationales, notamment dans les domaines de l’énergie, des services aux collectivités et de la construction, qui s’articulent à des PME innovantes sur des marchés plus spécialisés, il reste à coordonner et à intégrer les filières économiques correspondantes", ont précisé Roland Peylet et son équipe.
C'est donc bien dans ce rôle de "cristallisation" que le futur Institut de la ville durable (IVD) est attendu. Il s'agira d'une instance de coordination, à travers la capitalisation des recherches et des expériences existantes sur le sujet, mais aussi par l'accompagnement de projets mobilisant des acteurs publics et privés. "Bras de levier de la politique publique de la ville durable", l'IVD pourrait être en charge d'animer la réflexion collective visant à établir "une doctrine reconnue et partagée", suggère le rapport. Selon ce dernier, la notion de ville durable "reste à définir" : "la ville durable ne fait pas l’objet à ce jour d’une définition arrêtée, reconnue et partagée. Cependant, de grandes lignes consensuelles se dessinent. Il s’agit de les conforter."
La ville durable est moins "un modèle" qu’une "dynamique"
A condition de s'entendre, au préalable, sur la portée de la définition. Plutôt que des critères trop précis, pouvant être une source de contraintes pour des projets liés à un certain contexte territorial, la Mission ville durable évoque plus largement "une nouvelle culture des projets" et "des processus de fabrication et de renouvellement du cadre de vie". A l'issue des auditions, le rapport porte ainsi "l’idée selon laquelle la ville durable est moins un modèle qu’une démarche qui valorise les contextes territoriaux et locaux, une dynamique." Dans ce cadre, l'IVD "a vocation à concevoir et proposer à l’autorité politique, à qui il revient d’en valider les orientations, le contenu de la politique publique de la ville durable. Il en assurera ensuite la mise en œuvre." En lien à la fois avec les ministères, les grands opérateurs publics, les entreprises et les acteurs locaux, "l’objectif est de donner à l’État les moyens de favoriser l’émergence d’innovations et la diffusion auprès des acteurs de la ville des dynamiques de projet".
Et, sur ces enjeux d'"innovation" et de "diffusion", l'IVD se verrait logiquement confier un rôle d'animation des projets de démonstrateurs, la Mission ville durable amorçant ce travail en proposant d'ores et déjà de "premiers enseignements à partir des projets existants" (1) et la définition de "conditions de mise en œuvre des démonstrateurs". Le rapport préconise ainsi de lancer "dès le printemps 2015" un appel à manifestation "avec un niveau d’exigence élevé en matière d’innovation et de performance, en vue du choix de quatre à cinq territoires pilotes". Des projets destinés à porter la dimension de "vitrine" et de "promotion d'une offre intégrée en matière de ville durable", en France et à l'international. Paris, qui accueillera fin 2015 le Sommet sur le climat, a manifesté son intérêt dès le 17 octobre, par la voix d'Anne Hidalgo qui a souhaité que la capitale française devienne un "espace de démonstration visible" des réalisations innovantes en matière de développement durable.
Des moyens et une gouvernance à préciser
Pour atteindre ces ambitieux objectifs (2), l'Institut de la ville durable aura au moins besoin de moyens adéquats et d'une gouvernance appropriée. Sur le premier point, on sent, à la lecture du rapport, un certain flottement. Pour remplir ses missions, l'IVD devra "être reconnu comme l’opérateur de mise en œuvre des PIA [programmes d'investissements d'avenir] qui relèvent de la thématique de la ville durable", soutient la Mission ville durable. Avant d'évoquer des modalités alternatives : "les opérateurs désignés par le CGI [commissariat général à l'investissement] pour la mise en œuvre des PIA concernés par la ville durable (CDC, Ademe et Anru)" pourraient faire de l’Institut "leur prestataire commun pour l’expertise et la fourniture d’outils, de suivi et d’évaluation en vue notamment du choix d’indicateurs communs de création de valeur par les programmes et pour alimenter dans le même temps l’observatoire de l’Institut. L’Institut pourra être financé à la prestation ou selon des règles définies par le programme considéré". L'IVD sera-t-il une mégastructure récupérant les moyens des opérateurs publics qu'il sera amené à coordonner ou une instance légère et sans importants moyens dédiés ?
Quant à la composition de la future instance, qui pourrait prendre la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP), le rapport recommande "une gouvernance partagée, gage de réussite et de pérennité des missions qui seront confiées à l’Institut". Pour "promouvoir une approche décloisonnée de la conception et de la gestion des villes de demain (…), l’Institut de la ville durable doit être conçu comme un lieu d’échange et de rencontre entre tous les acteurs de la ville durable, à savoir l’Etat et ses établissements publics, les collectivités territoriales, les acteurs économiques, les chercheurs et les associations". Là encore, tout est à définir, les ministères de l'Ecologie et du Logement devant notamment trouver leur place. Si les associations d'élus pourraient être sollicitées, il n'est pas certain que des collectivités locales, même celles des territoires "démonstrateurs", soient associées.
La mission de préfiguration démarre le 7 novembre
La mission de préfiguration portée par l'Anru doit désormais s'atteler à apporter des réponses dans ces différentes zones d'incertitudes. En ce qui la concerne, son comité de pilotage devrait bien être composé "de représentants des ministères concernés, des collectivités locales, du monde académique et des entreprises impliquées dans la conception et la gestion urbaines", ont confirmé le ministère de la Ville et le secrétariat d'Etat dans un communiqué du 30 octobre. Sur le calendrier : "la première réunion du comité de pilotage est fixée au 7 novembre. Ses travaux devront aboutir en avril 2015".
En réponse à l'étonnement général suscité par la désignation de l'Anru pour piloter cette phase d'incubation, l'Anru a fait valoir dans un communiqué du 30 octobre "son expertise en matière d’intervention sur la ville, son fonctionnement partenarial reconnu" et s'est dite prête à définir, "en lien avec les parties prenantes (personnalités auditionnées par Roland Peylet, représentants des ministères concernés et des entreprises impliquées dans la démarche), (...) la gouvernance et les missions précises de l’Institut pour la ville durable dans un rapport remis au Premier ministre en mars 2015". Autre argument repris par la secrétaire d'Etat à la politique de la ville le 30 octobre : "nos quartiers ont pleinement droit à l’excellence". Au moins un site bénéficiaire du Nouveau Programme national de renouvellement urbain (NPNRU) devrait être choisi parmi les "quatre ou cinq territoires pilotes" sélectionnés en 2015.
Caroline Megglé avec AEF
(1) Et notamment les "EcoCités": "Dix-neuf opérations sont aujourd’hui en cours de réalisation, pour définir et mettre en œuvre des projets intégrés, innovants et démonstrateurs de ce que sera la ville de demain. En 2011, 200 millions d’euros du Fonds 'Ville de demain' ont été accordés pour le cofinancement de 12 projets de transports en commun en site propre, représentant 90 km d’infrastructures. Puis 146 projets innovants en matière de conception urbaine, de mobilité, de gestion des ressources et des énergies ont bénéficié du soutien financier de l’Etat, pour un montant de 94 millions d’euros. Au total, les projets soutenus représentent un montant total d’investissement estimé à 3,3 milliards d’euros."
(2) Pour résumer, selon le rapport, l'Institut de la ville durable a vocation à coordonner les actions visant à faire émerger et à "inscrire dans la durée" une nouvelle politique et à "en rassembler les moyens de façon lisible et rationnelle". Cette politique doit pouvoir "assurer :
- les conditions d’expérimentations et d’innovations sociales, économiques, juridiques et financières,
- la capitalisation des savoirs et savoir-faire sur la ville durable,
- le renforcement de la dynamique de lisibilité à l’international et à l’exportation,
- la coordination entre les différents acteurs, donc une gouvernance collective."