Le débroussaillement, c’est maintenant !
Le gouvernement lance ce 21 octobre sa deuxième campagne de communication sur les obligations légales de débroussaillement (OLD), alors que s’ouvre la période de l’année la plus propice à ces travaux. Si les OLD ont été récemment à la fois renforcées et simplifiées, elles restent insuffisamment mises en œuvre, alors que le risque incendie va croissant et que les enjeux sont aussi graves que multiples.
Ce 21 octobre, le gouvernement lance officiellement sa deuxième campagne de communication sur les obligations légales de débroussaillement (la première avait été lancée en 2023 en deux temps : d’abord en mars puis en novembre). "L’automne et l’hiver sont les bonnes périodes pour réaliser ces travaux. La nature est au repos, les végétaux ont perdu leurs feuilles, l’impact sur la biodiversité est moindre qu’en période de nidification, par exemple", souligne le conseiller forêt du ministère de l’Agriculture, Louis de Redon. "Et le risque de départ de feu est atténué", ajoute Lionel Berthet, adjoint à la cheffe de service des risques naturels et hydrauliques de la direction générale de la prévention des risques.
Des obligations anciennes mais toujours insuffisamment mises en œuvre
"Ces obligations existent dans le code forestier depuis 1985, mais sont encore insuffisamment mises en œuvre", déplore Isabelle Bertrand, chargée de mission DFCI (défense de la forêt contre les incendies) au ministère de l'Agriculture. Après le terrible été 2022 (une "saison en enfer", selon le président Macron), elles ont été renforcées – et leur mise en œuvre simplifiée – par la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie. Laquelle a été complétée depuis par plusieurs décrets durcissant l’arsenal répressif, précisant les modalités de mise en œuvre des actions de débroussaillement et les prenant davantage en compte dans les documents et autorisations d’urbanisme (voir notre article du 2 avril) ou encore rendant obligatoire, à compter du 1er janvier prochain, l’information de l’acheteur ou du locataire d’un bien situé dans une zone assujettie à une "OLD" (voir notre article du 2 mai). Sans compter l’arrêté de février dernier établissant la liste des bois et forêts particulièrement exposés au risque d’incendie.
Enjeux multiples
L’enjeu est de taille : "90% des maisons détruites ou fortement endommagées par des feux de forêt étaient situées sur des terrains qui n’étaient pas, ou mal, débroussaillés", indique Lionel Berthet. Or, "en cas d’incendie de forêt, même si elle brûle, la maison reste l’endroit le plus protégé", insiste l’inspecteur général François Pradon, chef d’état-major de la sécurité civile au ministère de l’Intérieur, alors qu’"une personne à l’extérieur de sa maison n’a pratiquement aucune chance de survie".
L’enjeu dépasse bien évidemment la seule protection des personnes et des biens. La faune et la flore, le cadre de vie, le paysage ou encore le climat sont également concernés, souligne Louis de Redon, en soulignant la "multifonctionnalité" de la forêt. Et de mettre en avant ses dimensions environnementale - avec la protection et la conservation de la biodiversité, la prévention des risques naturels, comme les glissements de terrain ou l’érosion du littoral, la production de matériaux durables ou encore la captation de carbone -, économique, avec un chiffre d’affaires de la filière bois française de 13 milliards d’euros, ou encore sociale.
Le seul risque naturel dont on peut atténuer l’intensité
Or, "une grande partie des feux de végétation naissent à l’interface entre la forêt et les zones habitées", souligne Lionel Berthet, en rappelant que "9 feux sur 10 sont d’origine humaine". Raison de plus pour faire le nécessaire, d’autant que "le feu, c’est le seul risque naturel où le citoyen a la capacité de réduire l’intensité du phénomène, alors qu’on ne peut pas diminuer la quantité de pluie en matière de risque inondation ou la force du vent en matière de risque tempête", insiste Christophe Chantepy, de l’Office national des forêts. Comment ? "En diminuant la masse de combustible et en cassant les continuités", objectifs du débroussaillement. "Dans une châtaigneraie, il faut voir une souris courir", indiquait naguère Grégory Allione, alors président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers. Il ne s’agit pas de "faire une coupe rase", précise Christophe Chantepy. Concrètement, il s’agit "d’intervenir dans les trois strates de végétation : dans les strates herbacées et ligneuses basses [- de 1m], qui participent le plus à la combustion", et où "la grande majorité des végétaux doit être supprimée" ; dans la partie arbustive (de 1 à 10 mètres), où les arbustes situés sous les arbres devront en particulier être supprimés "pour éviter l’ascenseur du feu" ; et dans la strate arborée (+ de 10 m), où dans certains cas il conviendra de mettre à distance les arbres entre eux, notamment pour "éviter les feux de cime". Le tout en prenant soin "d’évacuer tous les résidus, du combustible en puissance".
Faciliter et renforcer l’efficacité l’action des services d’incendie
Outre la limitation des départs de feux d’une part, et leur propagation d’autre part, l’objectif est de permettre aux services d’incendie et de secours d’intervenir plus facilement et rapidement, en facilitant leur repérage et leur circulation, est-il rappelé. C’est encore leur permettre d’immobiliser "moins d’engins pour la défense des points sensibles" - des personnes et des biens, sans action sur la progression du sinistre -, qui pourront dès lors être davantage engagés pour attaquer le feu, enseigne l’inspecteur général François Pradon. "Aujourd’hui, sur dix engins engagés sur un feu de forêt, cinq luttent contre le feu et cinq font de la défense de points sensibles. Plus on augmentera le débroussaillement, plus on sera en mesure d’attaquer le feu et plus faible sera le nombre de maisons impactées. C’est une boucle vertueuse", expose-t-il.
Une forêt plus fragile, et donc vulnérable à un risque incendie par ailleurs croissant
Mener à bien les opérations de débroussaillement est d’autant plus nécessaire que "si la forêt française est en extension depuis plus d’un siècle, son état se dégrade sous le coup notamment des sécheresses et des attaques parasitaires" (voir notre article du 14 octobre sur l’édition 2024 de l’inventaire forestier national), pointe Louis de Redon. Ce qui la rend plus vulnérable au risque incendie, qui va par ailleurs croissant. "Le changement climatique induit une intensification du risque, mais aussi son extension sur notre territoire national", rappelle-t-il. Alors qu'il frappait historiquement "les régions Paca, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine", il fait désormais "tache d’huile vers Auvergne-Rhône-Alpes, la façade atlantique en montant le long des Pays de la Loire, la Bretagne et même la Normandie, et avec une sensibilité particulière du Centre-Val-de-Loire et de l’Île-de-France", souligne Isabelle Bertrand. Des feux qui seront en outre "de plus en plus rapides, de plus en plus imprévisibles, et de plus en plus intensifs en kWh de dégagement de chaleur", prévient encore François Pradon, qui insiste en conséquence sur la nécessité de renforcer les moyens – "grâce aux pactes capacitaires, plus de 1.000 camions-citernes vont être achetés dans les deux prochaines années" –, l’acculturation et la formation ainsi que la solidarité nationale. Sur ce dernier point, il s’attend d’ailleurs "à des inversions de solidarité, avec des colonnes du sud qui monteraient dans le nord, alors que le mouvement est aujourd’hui inverse dans 95% des cas". Il attire également l’attention sur le fait que si la saison 2024 a été "clémente" sur le front des incendies, notamment sur la zone sud-ouest, permettant "de concentrer tous nos moyens sur la zone sud", le nombre de départs de feux est resté à peu près identique aux autres années dans cette dernière, laquelle a concentré "98% des départs de feu" de l’été. Isabelle Bertrand précise ainsi qu’à fin septembre, environ 8.200 départs de feux avaient été comptabilisés depuis le 1er janvier – 1.700 feux de forêts et 6.500 feux de végétation. 5.500 hectares ont été brûlés dont 3.200 hectares de forêt.