Social - Le Conseil constitutionnel valide l'interdiction totale des coupures d'eau
Le Conseil constitutionnel a validé le 29 mai l'interdiction faite à tout distributeur de couper l'alimentation en eau dans une résidence principale même en cas d'impayé et cela tout au long de l'année. Cette disposition a été introduite dans le droit français par la loi Brottes du 15 avril 2013, complétée par son décret d'application du 27 février 2014. C'est la même loi qui a institué aussi le principe de trêve hivernale pour l'électricité et le gaz, au bénéfice de tous les consommateurs sans distinction de revenus.
La société Saur avait déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) après avoir été attaquée en justice pour une coupure d'eau réalisée pendant plusieurs mois sur l'un de ses clients en Picardie. Celui-ci avait déposé fin 2014 un recours devant le tribunal de grande instance d'Amiens qui a ordonné le rétablissement immédiat de l'eau et mis le reste de son jugement en attente du fait du dépôt par la Saur de cette question prioritaire de constitutionnalité. Dans sa QPC, la Saur faisait valoir qu'en adoptant l'interdiction totale des coupures d'eau, le législateur a porté une atteinte excessive, d'une part, à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre, et, d'autre part, aux principes d'égalité devant la loi et les charges publiques.
"Un besoin essentiel de la personne"
Dans sa décision, le Conseil a écarté ces griefs. Il a d'abord relevé qu'en prévoyant l'interdiction, quelle que soit la situation des personnes et pendant l'année entière, le législateur a entendu s'assurer qu'aucune personne en situation de précarité ne puisse être privée d'eau. "Les dispositions contestées, en garantissant dans ces conditions l'accès à l'eau qui répond à un besoin essentiel de la personne, poursuivent ainsi l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent", a-t-il souligné. Il a ensuite rappelé, en s'appuyant sur les règles fixées par le Code général des collectivités territoriales, l'encadrement législatif spécifique qui entoure les contrats passés pour la distribution d'eau et en a déduit que les distributeurs d'eau exercent leur activité sur un marché réglementé.
Dans sa décision, il a donc "jugé que l'atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre qui résulte de l'interdiction d'interrompre la distribution d'eau n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur". Il "a écarté les griefs" du distributeur d'eau, qui avait dénoncé "une atteinte excessive à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre". Il a par conséquent déclaré conforme à la Constitution la dernière phrase du troisième alinéa de l'article L. 115-3 du code de l'action sociale et des familles.
Dispositif légal "équilibré", selon François Brottes
"C'est une belle victoire pour les défenseurs de la dignité des plus démunis. C'est aussi la reconnaissance d'un besoin essentiel de tous qui l'emporte", s'est réjoui François Brottes dans un communiqué. Le président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, auteur de la loi de 2013, rappelle néanmoins que dans le projet de loi de transition énergétique en cours de discussion, les députés ont prévu que les distributeurs puissent dans certains cas réduire le débit, comme c'est le cas pour l'électricité, mais qu'à son initiative, ils ont tenu à rétablir l'interdiction généralisée du principe des coupures d'eau que les sénateurs avaient supprimée. Selon lui, "les distributeurs conservent tous les moyens légaux de recouvrer leurs créances puisque la dette des usagers n'est pas effacée". "Simplement, le dispositif légal est désormais équilibré : il permet d'apporter un accompagnement spécifique aux plus démunis, tout en neutralisant un éventuel 'effet d'aubaine' pour les autres", a-t-il estimé.
Les associations satisfaites
L'association France Libertés s'est elle aussi félicitée de la décision du Conseil constitutionnel : "Le verdict est sans appel", a-t-elle réagi dans un communiqué, saluant également "l'aboutissement d'un long combat pour le respect de la loi et de la dignité des plus démunis". Mais pour elle, la bataille n'est pas complètement terminée. "Le droit à l'eau n'est visiblement pas la préoccupation des entreprises, notamment de la Saur et de Veolia", a regretté l'association, qui s'était portée partie civile. "Leur acharnement à faire passer leurs objectifs économiques avant les droits humains doit désormais être pris en compte par les collectivités et les élus quand ils prennent les décisions relatives à la mise en oeuvre de ce service public", a-t-elle ajouté, soulignant que "l'eau ne peut pas être traitée comme une marchandise".
La CLCV y voit "une décision qui fera date" et "consacre sa mobilisation sur le sujet". L'association de défense des consommateurs et usagers rappelle être montée au créneau en février dernier, lorsque les sénateurs ont adopté dans le projet de loi sur la transition énergétique un amendement "qui remettait en cause le droit à l'eau". Elle estime avoir été entendue à la fois par la ministre de l'Ecologie qui avait alors promis que le droit à l'eau ne serait pas remis en question mais aussi par les députés qui ont rétabli le 16 avril le principe d'interdiction généralisée des coupures d'eau.
Contactée par l'AFP, la Saur n'a pas souhaité commenté la décision du Conseil constitutionnel. Ces derniers mois, la justice a déjà condamné plusieurs distributeurs, dont la Lyonnaise des Eaux (Aisne), Veolia Eau (Cher) et la régie publique Noreade (Nord), pour avoir coupé l'eau pendant une longue période à des clients ayant des arriérés de factures. La décision rendue le 29 mai vient donc conforter les défenseurs du droit à l'eau.