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Social - Le Conseil constitutionnel décapite les commissions départementales d'aide sociale

En jugeant inconstitutionnelle leur composition, le Conseil sonne le glas de ces commissions chargées d'examiner l'ensemble des recours relatifs aux prestations d'aide sociale de l'Etat ou des départements. Si cette décision n'est pas vraiment une suprise, reste à connaître quelles en seront les suites.

Moins commentée que celle relative au financement de la protection de l'enfance (voir notre article ci-contre du 25 mars 2011), la décision 2010-110 QPC (question prioritaire de constitutionnalité) du Conseil constitutionnel du 25 mars 2011 est pourtant beaucoup plus lourde de conséquences. Elle décapite en effet totalement les commissions départementales d'aide sociale. Saisi par un particulier, le Conseil a déclaré contraires à la constitution le deuxième et le troisième alinéa de l'article L.134-6 du Code de l'action sociale et des familles (CASF). Ceux-ci prévoient que la commission départementale comprend trois conseillers généraux élus par le conseil général et trois fonctionnaires de l'Etat en activité ou à la retraite, désignés par le représentant de l'Etat dans le département. Avec la suppression de ces six membres, la commission départementale se trouve réduite à son seul président - le président du tribunal de grande instance du chef-lieu ou le magistrat désigné par lui - et au commissaire du gouvernement désigné par le préfet, qui présente des conclusions mais n'a pas voix délibérative. En d'autres termes, les commissions délibératives ne sont plus en état de fonctionner dans la situation juridique ainsi créée...
Pour comprendre les conséquences de cette situation, il faut rappeler que les commissions départementales sont compétentes pour examiner l'ensemble des recours relatifs aux prestations d'aide sociale de l'Etat ou des départements, à l'exception de celles concernant l'aide sociale à l'enfance et le revenu de solidarité active (le contentieux de ce dernier ayant été transféré aux tribunaux administratifs lors de la création de cette prestation). Ceci recouvre, entre autres, les prestations relatives aux personnes âgées et aux personnes handicapées, l'aide médicale, la couverture maladie universelle (CMU)... Bien qu'il n'existe pas de statistiques publiées sur la question, on peut estimer à environ 20.000 le nombre annuel de recours traités par les commissions départementales (sachant que, selon le Syndicat des juridictions administratives, le nombre de recours relatifs au RMI était d'environ 10.000 au moment de la création du RSA et que ceux-ci représentaient alors le tiers de l'activité des commissions départementales). On mesure mieux ainsi les conséquences pratiques de la décision du Conseil constitutionnel.

Une violation du principe d'impartialité

Pour fonder sa décision, le Conseil s'est appuyé sur la méconnaissance, par l'article L.134-6 du CASF, du principe de la séparation des pouvoirs et de la garantie des droits des justiciables (article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : "Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution"). Or, les commissions départementales d'aide sociale constituent des juridictions administratives du premier degré, compétentes pour examiner les recours formés, en matière d'aide sociale, contre les décisions du président du conseil général ou du préfet. Dans ces conditions, le fait que "ni l'article L.134-6, ni aucune autre disposition législative applicable à la commission départementale d'aide sociale n'institue les garanties appropriées permettant de satisfaire au principe d'indépendance des fonctionnaires siégeant dans cette juridiction" est contraire à la Constitution. De même, "la participation de membres de l'assemblée délibérante du département lorsque ce dernier est partie à l'instance" méconnaît le principe d'impartialité.
Comme il en a pris l'habitude dans ce cas de figure, le Conseil constitutionnel valide cependant les décisions rendues antérieurement (sous réserve que l'une des parties n'ait pas invoqué l'inconstitutionnalité de la composition de la commission). En revanche, les contentieux en cours se voient, de fait, suspendus à compter de la date de publication de la décision au Journal officiel (en l'occurrence, le 26 mars 2011).

Pas vraiment une surprise

Il est très vraisemblable que la décision du Conseil constitutionnel sonne le glas des commissions départementales d'aide sociale. Cette décision peut toutefois difficilement passer pour une surprise. En effet, le Conseil d'Etat - qui a validé la transmission de la QPC au Conseil constitutionnel - tient les commissions départementales dans son collimateur depuis 2002 (voir par exemple notre article ci-contre du 5 avril 2006). Dans son rapport 2010 sur l'activité des juridictions administratives, il réclamait à nouveau une réforme en profondeur de ces instances. Outre la question de leur impartialité et celle des droits des justiciables, le Conseil d'Etat dénonçait en particulier les irrégularités répétées dans les procédures (par exemple sur la convocation des parties ou la non transmission de certaines décisions aux justiciables) et le manque de motivation des décisions.
Face à cette demande répétée du Conseil d'Etat, les pouvoirs publics se sont hâtés lentement, exception faite de la décision relative au RSA, dont la dévolution aux tribunaux administratifs était surtout dictée par le fait que cette prestation reprend aussi - outre le RMI - des allocations qui ne relevaient pas des commissions départementales (allocation de parent isolé, prime pour l'emploi...). Dans une réponse de février 2009 à une question écrite de Jean-Luc Warsmann, député des Ardennes et président de la commission des lois de l'Assemblée, le ministère évoquait certes la mise en place d'un groupe de travail chargé d'examiner "l'ensemble des moyens permettant de rendre plus moderne et efficace cette justice spécialisée rattachée depuis sa création aux ministères sociaux, eu égard au droit particulier de l'aide sociale et au public fragile qu'elle accueille". Mais ces réflexions ne semblent pas avoir eu de suites concrètes.
Le gouvernement va désormais devoir accélérer sérieusement les choses. Deux solutions s'offrent à lui. La première consisterait à tenter de répondre à la censure du Conseil constitutionnel en revoyant de fond en comble la composition et l'indépendance des commissions départementales. Cette hypothèse semble à la fois très difficile à mettre en œuvre (quels membres désigner ?) et sans véritable objet (dans ces conditions, pourquoi ne pas garantir l'indépendance en transférant directement le contentieux aux tribunaux administratifs, comme cela a été fait pour le RSA ?). La seconde solution consisterait à maintenir les commissions départementales, mais en les sortant de l'ordre juridictionnel pour en faire de simples commissions administratives, chargées d'assister le préfet ou le président du conseil général dans l'examen des recours gracieux, tandis que le contentieux serait transféré aux tribunaux administratifs. Les commissions départementales rejoindraient ainsi, au cimetière des instances de l'aide sociale, les commissions d'admission à l'aide sociale, supprimées le 1er janvier 2007 à la satisfaction de tous les acteurs concernés (voir notre article ci-contre du 3 janvier 2007).

Références : décision numéro 2010-110 QPC du 25 mars 2011 relative à la composition de la commission départementale d'aide sociale.

Jean-Noël Escudié / PCA

Et la commission centrale d'aide sociale ?
Le recours ne portant que sur la commission départementale, le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur la question. Mais, au vu de sa décision et de ses considérants, on peut s'interroger sur la constitutionnalité de la commission centrale d'aide sociale, qui examine les recours contre les décisions des commissions départementales ou ceux dirigés contre une décision des ministres concernés. Certes, la moitié de la commission centrale d'aide sociale est constituée "des membres du Conseil d'Etat, des magistrats de la Cour des comptes ou des magistrats de l'ordre judiciaire en activité ou honoraires désignés respectivement par le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour des comptes ou le garde des sceaux, ministre de la Justice". Par ailleurs, les départements ne sont pas représentés dans cette instance nationale, contrairement aux commissions départementales. En revanche, l'autre moitié de la commission centrale est composée de "fonctionnaires ou personnes particulièrement qualifiées en matière d'aide ou d'action sociale désignées par le ministre chargé de l'action sociale". Dans ces conditions, ne risquent-ils pas d'être considérés comme juges et parties, au même titre que les représentants du préfet au sein de la commission départementale ?