PLFSS 2019 - L'Assemblée nationale adopte une mesure radicale pour désengorger les urgences
A l'initiative d'Olivier Véran, le rapporteur général (LREM) du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2019 (et médecin hospitalier), la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté un amendement (n°AS659) pour régler de façon radicale la question de l'engorgement des urgences hospitalières. La mesure part du constat que 23 millions de personnes sont accueillies chaque année aux urgences, un chiffre en progression annuelle de 2 à 3% depuis quinze ans. Selon l'exposé des motifs, "cette augmentation est source de tension pour les patients comme pour les professionnels de santé". L'amendement s'appuie aussi sur une étude de la Drees (direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques des ministères sociaux) sur l'activité des services d'urgence, montrant que 28% des patients accueillis auraient pu être prise en charge par un médecin généraliste, le jour même ou le lendemain, sans nécessiter d'examens complémentaires.
Un "forfait réorientation", pour une durée de deux ans
Pour contrer cet engorgement, l'amendement ouvre la possibilité, pour les établissements de santé, de facturer une prestation d'hospitalisation - dont le montant resterait à déterminer - pour "la réorientation d'un patient effectuée par un service et ou une unité d'accueil et de traitement des urgences". Cette mesure aurait un caractère provisoire, le temps de rééquilibrer les prises en charge de ces patients "non urgents" entre la ville et l'hôpital. L'amendement prévoit en effet que cette prestation de réorientation serait "intégralement prise en charge par les régimes obligatoires d'assurance maladie pendant une durée de deux ans à compter de son entrée en vigueur". Les effets de la mesure sur l'accès aux soins et l'organisation des services d'urgence feraient ensuite l'objet d'une évaluation avant échéance de cette période deux ans.
La réorientation des patients ne relevant pas de l'urgence pourrait se faire vers une consultation de ville, une maison médicale de garde ou une consultation hospitalière spécialisée, dans le cadre d'un rendez-vous programmé.
Le dispositif proposé par Olivier Véran comprend également la création d'un "forfait de consultation aux urgences", qui ne figure toutefois pas dans le texte car sa création est d'ordre réglementaire. En d'autres termes, lorsque le patient serait réorienté par le service d'urgence vers un médecin de ville, il serait considéré comme respectant le parcours de soins et pris en charge en conséquence par l'assurance maladie. S'il refuse la réorientation, il serait alors pris en charge par les urgences, mais sortirait du parcours de soins.
"Une bien curieuse idée"
La mesure adoptée par la commission des affaires sociales n'a pas manqué de surprendre, dans la mesure où elle consiste, en apparence, à rémunérer pour ne pas prendre en charge (en réalité, le forfait prévu pour la réorientation remplacerait le forfait perçu par les hôpitaux pour la prise en charge de chaque urgence, d'où la neutralité de la mesure en termes de coût).
Le dispositif proposé pose aussi la question de la capacité des médecins libéraux à absorber un flux de patients qui pourrait, dans l'absolu, représenter plus du quart du flux actuel des urgences hospitalières, soit plus de six millions de patients.
Les réactions du côté des syndicats de médecins libéraux sont d'ailleurs mitigées. Dans un communiqué du 17 octobre, la CSMF (Confédération des syndicats de médecins français) estime que cette mesure est "une bien curieuse idée, digne du pays d'Ubu". Elle se demande s'il ne serait pas "plus simple de créer un forfait de prise en charge d'une urgence de ville lorsque des médecins libéraux sont organisés pour répondre à ce besoin de la population". Selon la CSMF, une telle mesure inciterait les "structures regroupées" à "s'organiser pour accueillir des urgences de ville dans des conditions adéquates".
En revanche, du côté du ministère de la Santé, l'accueil semble plus favorable. L'exposé des motifs de l'amendement ne manque d'ailleurs pas de rappeler la déclaration d'Agnès Buzyn devant la commission des affaires sociales, le 10 octobre, confirmant "l'intention du gouvernement de proposer une mesure incitative à la bonne orientation des flux d'urgence par la création d'un forfait de réorientation qui pourrait être pris en charge complètement par l'assurance maladie", et rappelant qu'elle serait favorable à toute initiative parlementaire en ce sens. La mesure a donc de fortes chances de se retrouver dans le texte final, même si quelques aménagements ne sont pas à exclure.