L'Académie des technologies appelle à libérer le potentiel de l'hydrogène blanc

Pionnière dans la recherche sur l'hydrogène naturel, la France est en train de se faire damer le pion par des pays plus volontaristes comme les États-Unis ou l'Australie, alerte l'Académie des technologies. La faute à des lourdeurs administratives et peut-être à un manque d'intérêt des pouvoirs publics pour cette source d'énergie très prometteuse. Elle formule une série de recommandations pour relever le défi.

"Sur l'hydrogène naturel, la France était pionnière et elle est en train de se faire doubler par pas mal de pays." C'est la mise en garde de la géologue Isabelle Moretti, lors de la présentation, mardi 16 juillet, d'un avis de l'Académie des technologies visant à "accélérer la caractérisation de la ressource et l'exploration de l'hydrogène naturel en France". Ce document s'accompagne de recommandations pour "rester dans la course". Car "en France, il n'y a pas de feu rouge, mais on pourrait accélérer", estime la scientifique, principal auteur de cet avis.

La fabrication de l'hydrogène dans le sous-sol est longtemps restée "un sujet de recherche académique", souligne-t-elle. Mais il devient un enjeu énergétique au moment où tout le monde cherche à fabriquer de l'hydrogène décarboné. Or, à ce jour "99% de notre hydrogène n'est pas du tout décarboné, il vient soit du méthane soit des hydrocarbures liquides soit du charbon" (hydrogène "gris" ou "noir"), le reste étant produit par électrolyse (hydrogène "vert"), précodé, qui nécessite lui-même beaucoup d'énergie et d'eau.

Une industrie née au Mali

À cet égard, l'hydrogène "blanc" suscite de grands espoirs. Propre, il est en outrer "hypercompétitif, cela vaut le coup d'avancer", s'enthousiasme la chercheuse. La réaction qui génère cet hydrogène dans le sous-sol est à présent bien cernée : il s'agit d'une interaction entre l'eau et la roche. Le processus le plus connu tient à l'oxydation de roches ferreuses au contact de l'eau, entraînant la libération de l'hydrogène qui remonte à la surface. L'autre réaction est liée à la radiolyse, c'est-à-dire le rayonnement de roches radioactives qui casse les molécules d'eau à leur contact. 

"Cela fait 150 millions d'années que l'Atlantique s'ouvre et cela fait 150 millions d'années que cela crache de l'hydrogène", illustre Isabelle Moretti. L'enjeu est de capter cette ressource qui se génère en permanence (la question est de savoir à quelle vitesse) et paraît ainsi inépuisable.

On en a déjà quelques exemples. Cette industrie nouvelle est née par hasard en 1987, au Mali, lorsque la compagnie Hydroma qui cherchait de l'eau dans le village de Bourakebougou est tombée sur un gisement. Depuis une dizaine d'années, cet hydrogène y est brûlé pour produire l'électricité du village. "Mais ce n'est jamais devenu une grosse industrie car il y a beaucoup de problèmes de sécurité là-bas", explique Isabelle Moretti. L'expérience a fait des émules et de nombreux instituts de recherche se sont rués sur le créneau. La France pouvait même se prévaloir d'un certain leadership. Mais les États-Unis et l'Australie sont en train de prendre une longueur d'avance, ils ont inscrit l'hydrogène naturel dans la loi et délivrent des permis d'exploration à tout va.

"On doit pouvoir faire mieux sans faire mal"

"La géologie de certaines régions de France est propice à la présence de cette ressource", souligne l'Académie mais elle alerte sur le temps moyen – dix-huit mois – qu'il faut pour obtenir d'un tel permis, alors que les délais sont très courts aux États-Unis et de quelques mois à peine en Allemagne. Et une fois le gisement trouvé, les demandes de concession de production peuvent prendre jusqu'à trois ans ! "On doit pouvoir faire mieux sans faire mal", insiste Isabelle Moretti. L'enjeu est de connaître les réserves contenues dans le sous-sol du pays.

L'hydrogène naturel a été inscrit dans le code minier en 2022. Mais seulement deux permis ont été attribués à ce jour : le premier l'a été à la société TBH2 près d'Orthez (Pyrénées-Atlantiques) en novembre 2023, le second à 45-8 dans la Nièvre et le Doubs. D'autres sont en cours d'instruction en Nouvelle-Aquitaine, dans le Massif central, le Bugey et dans l'Est où de récentes découvertes ont récemment été annoncées en Moselle… En Nouvelle-Aquitaine, un projet baptisé H2NA consiste à évaluer l'ensemble du territoire en réunissant des acteurs comme le BRGM, le groupe CVA, l'UPPA et quelques industriels. C'est cette étude qui a conduit aux quelques dépôts de permis dans la région. Un travail similaire a été diligenté au plan national par la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) auprès de l’IFPEN, avec un budget de 300.000 euros. "Les choses vont dans la bonne direction mais beaucoup trop lentement", déplore Isabelle Moretti. Pour raccourcir les délais d'obtention des permis, l'avis préconise par exemple d'instruire en même temps les demandes pour l'hydrogène et l'hélium découlant d'une même réaction, alors qu'elles sont traitées par deux guichets différents. 

La Nouvelle-Aquitaine en pointe

L'Académie souligne également le fait que "les compagnies qui prennent actuellement des permis sont pour la plupart de petites compagnies et qu’elles n’ont pas une force de frappe suffisante, ni en personnel ni en fonds propres, pour commencer massivement les acquisitions une fois les permis octroyés". Elle ne souhaite pas "réinventer la roue" mais demande un changement de braquet et un soutien financier adéquat.

Pour l'heure, l'hydrogène blanc n'est pas mentionné dans les textes européens. L'avis plaide pour une labellisation de la Commission européenne qui permettrait de flécher des fonds et rassurer les clients sur l'impact environnemental de cette source d'énergie. Il suggère aussi un appel à manifestation d'intérêt dans le cadre du grand plan d'investissement France 2030. En comparaison, les États-Unis ont débloqué des enveloppes conséquentes. L’Inflation Reduction Act promulgué en 2022 garantit par exemple un bonus fiscal de 3 $/kg d’hydrogène décarboné produit aux États-Unis. Par ailleurs, 20 millions d'euros ont été consacrés à la recherche publique sur l'hydrogène naturel. Et les fonds privés affluent. La petite société Koloma a "tout de suite trouvé 60 millions de dollars pour démarrer, avec ça ils ont foré un certain nombre de puits. Résultat, un an après, ils ont levé 240 millions de dollars", indique Isabelle Moretti, comparant ces montants avec les 100.000 ou 200.000 euros que parviennent à décrocher les jeunes pousses hexagonales par à-coups.

Pour l'Académie, "la France doit réagir", mais elle insiste sur le fait que les sommes en jeu ne sont "pas énormes". "Quelques millions suffiraient pour faire une évaluation à grande échelle des zones prospectives. Par exemple, une somme équivalente aux 500.000 euros investis en Nouvelle-Aquitaine pour chaque région permettrait de compléter les cartes et d’avancer significativement dans cette exploration."