"La réindustrialisation doit se faire avec les citoyens", martèle l'Académie des technologies

La réindustrialisation ne sera pas possible sans une implication sincère des citoyens, estime l'Académie des technologies, dans une note présentée le 22 janvier. Ce qui suppose de la part des entreprises "beaucoup d'empathie" et de s'appuyer sur le "terreau local". En outre, le pays devra relever quatre défis : l'énergie, l'excellence numérique, les compétences et l'accès aux intrants.

Loin des incantations, la "réindustrialisation" ne réussira qu'à un certain nombre de "conditions indispensables", estime l'Académie des technologies, dans une note présentée lundi 22 janvier, rappelant que la France a perdu 3 millions d'emplois industriels en 40 ans et se situe à la 22e place sur 27 en taux d'emploi industriel au sein de l'Union européenne. Son nouveau président, Patrick Pélata, ex-directeur général délégué de Renault, a fait part de ses "convictions" à la presse. "La réindustrialisation doit se faire avec les citoyens", a-t-il martelé. Et selon lui, la France est bien "équipée" avec la loi Barnier qui a instauré la commission nationale du débat public imposant une consultation pour tout investissement supérieur à 300 millions d'euros. Pour les entreprises, la question est de "s'en emparer avec sincérité", en impliquant en amont des projets les élus, les citoyens, les associations, les syndicats, les lycées, les universités… Ce qui suppose "beaucoup d'empathie", "d'écoute des attentes, des inquiétudes et des spécificités", d'accepter une démarche participative pour adapter éventuellement le projet en amont… Par ailleurs, "il faut travailler avec une logique d'écosystème", a-t-il souligné. Grandes entreprises, ETI, PME, start-up, laboratoires de recherche, universités, formation continue, cet ensemble doit fonctionner en "terreau" au niveau local, en lien avec les collectivités locales et l'État.

"Il y a un devoir d'explication"

L'Académie des technologies se montre particulièrement soucieuse du problème de "l'acceptabilité" sociale des projets de réindustrialisation à l'heure des grandes transitions. "Il y a un devoir d'explication", a estimé Patrick Pélata, avec le besoin d'un "meilleur débat national sur la transition énergétique, écologique et numérique en cours". Il faut, selon lui, "aider ces débats à devenir plus rationnels" car "c'est le doute qui bloque l'action". "Il est très important de prévenir, informer longtemps à l'avance, il est important que les gens en face sentent qu'on parle vrai, qu'il n'y a pas de tabou", a abondé Dominique Vernay, pré­sident honoris causa de l'Académie. Et les académiciens de louer à cet égard le travail de vulgarisation de Jean-Marc Jancovici, responsable du Shift Project et auteur de la BD à succès "Un monde sans fin".

Pour l'Académie, "nul besoin d’être bon partout", mais "il faut l'être sur des maillons critiques" des filières. Seulement la réindustrialisation suppose de surmonter quatre grands défis. "Sans énergie, sans excellence numérique, sans compétences et sans intrants, il n'y aura pas de réindustrialisation", a développé Patrick Pélata, appelant à "accélérer le développement des énergies décarbonées". Sur les 1.700 Twh que représente la consommation énergétique du pays, 1.100 proviennent des énergies fossiles. Part qui doit être ramenée à zéro d'ici à 2050. Or, l'électrification des usages parallèle à la décarbonation va engendrer quasiment un doublement de la demande d'électricité d'ici là. "Pendant très longtemps, on n'aura pas assez d'énergie décarbonée", "il faut en faire beaucoup plus", estime Patrick Pélata, pour qui tous les leviers doivent être actionnés : éolien, solaire, hydrogène, biomasse, géothermie et nucléaire. "Il ne faut pas se laisser prendre de vitesse, ce qui a été le cas sur le nucléaire", a-t-il déploré. Mais avec son mix énergétique, la France part avec de sérieux atouts. Elle présente un des plus faibles niveaux d'émissions de CO2 en Europe : 68 gr de CO2 par Kwh, contre 250 en moyenne en Europe et 370 en Allemagne.

Accélérer l'inventaire minier

Deuxième défi : la question des intrants (minerais, terres rares…), nécessaires à l'approvisionnement de l'industrie et à la recherche d'une plus grande "souveraineté". Le sous-sol français regorge de ressources (tungstène, antimoine, lithium, germanium…) mais encore faut-il accélérer l'inventaire minier et ne pas bâcler la consultation des habitants sur toute ouverture de mines. Un sujet sensible pour les habitants comme l'a montré le projet de mine de lithium porté par Imerys, à Beauvoir (Allier), avec l'ambition d’équiper les batteries de 700.000 véhicules chaque année. Des centaines d'emplois pourraient être créés. Le débat public qui va démarrer dans les prochains jours s'annonce houleux.

Pour Dominique Vernay, il faut aussi "avoir une vision mondialisée" des ressources et des partenariats durables et diversifiés avec les pays qui les produisent "dans un monde très turbulent". Et de prendre pour exemple la Chine qui, depuis le mois d'août 2023, se réserve le droit de ne plus exporter de gallium et de germanium, deux métaux essentiels pour l'électronique…

Pour réussir sa réindustrialisation, le pays doit relever le défi des compétences (avec 100.000 recrutements nécessaires par an, sachant qu'aujourd'hui la moitié des jeunes formés à l'industrie partent dans d'autres filières, et le numérique considéré comme "une technologie clé pour la décarbonation et la compétitivité de l'industrie". Sur le numérique, "il ne faut pas croire qu'on a baissé la garde", a affirmé Dominique Vernay, citant des prouesses technologiques développées avec les voisins européens : les supercalculateurs (HPC), les processeurs (avec les sociétés Kalrey et Sipearl), les circuits intégrés (avec STMicroelectronics), les calculateurs quantiques et l'initiative Gaïa X sur les échanges de données. La France consacre quelque 9,3 milliards d'euros à la recherche dans le numérique (dont 8 en provenance du privé) et forme chaque année 40.000 informaticiens aux niveaux doctorat, ingénieur ou technicien supérieur. L'Académie lance un "cri d'alarme" sur les besoins de compétence dans les domaines de l'intelligence artificielle, de la cybersécurité et sur les "couches basses" des systèmes (matériel, systèmes d’exploitation et intergiciels). En résumé, la réindustrialisation nécessite une "cohérence de l'ensemble", a insisté Denis Ranque, ex-patron de Thalès, membre de l'Académie, prenant l'exemple de la planification énergétique : un sujet "extrêmement compliqué car chaque compartiment du jeu communique avec les autres".

 

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