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Commande publique - La transaction, une façon amiable pour résilier un marché devenu inopérant

Les juges du fond de Marseille ont récemment validé le recours à une transaction pour résilier un marché public de travaux devenu inopérant. Cet arrêt illustre tout l'intérêt pour les pouvoirs adjudicateurs de penser à transiger au niveau de la phase de résiliation d'un marché.

La communauté d'agglomération Nice-Côte d'Azur (Canca) avait attribué un marché de maintenance et d'exploitation d'un complexe composé de la ligne du tramway de Nice et de ses aménagements annexes. Les entreprises titulaires du marché ont rencontré des difficultés dans l'exécution des prestations, des sondages du sol ayant fait apparaître des discordances avec les données transmises lors de la conception du projet. La réalisation de travaux supplémentaires par rapport à ce qui était initialement prévu se révélait nécessaire. En outre, le maître de l'ouvrage souhaitait ajouter de nouvelles prestations par le biais d'un avenant au marché initial, mais cette modification a été refusée par les entreprises puis par la commission d'appel d'offres. Au terme de tergiversations multiples, un jugement du tribunal administratif de Nice du 2 février 2007 a fini par annuler la décision d'attribution du marché. Le maître de l'ouvrage a fait appel de cette décision.
Face à ces irrégularités juridiques, les parties ont préféré s'accorder, de façon amiable, pour mettre un terme au marché. Elles ont ainsi décidé de le résilier par la voie d'un protocole transactionnel signé et approuvé par délibération du conseil de la Canca, le 28 février 2008. Cet accord est venu fixer le montant des prestations et travaux supplémentaires réalisés dans le cadre d'ordre de services du maître d'œuvre ainsi que l'indemnité liée au retard dans l'exécution du marché imputable au maître de l'ouvrage.
Le préfet des Alpes-Maritimes a saisi le juge d'une demande en annulation de la transaction et de la décision du conseil de la communauté validant cet accord. Il considérait que le protocole transactionnel portait atteinte aux principes de liberté d'accès à la commande publique et de transparence des procédures ainsi qu'aux règles de la commande publique, notamment celles régissant les ordres de réquisitions des comptables. Par ailleurs, il assimilait la transaction à un avenant de régulation interdit par le Code des marchés publics.
Pour la cour administrative d'appel de Marseille, le principe même du recours à la transaction dans le cadre d'un marché public de travaux en cours d'exécution ne peut pas être remis en cause. Comme le prévoit l'article 2044 du Code civil, la transaction est "un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître". En tant que mode amiable de règlement des litiges, la transaction est largement encouragée par l'Etat, via notamment les circulaires de 2009 et de 2011. Les autorités et entités adjudicatrices ont donc la faculté de transiger. En ce sens, les juges concluent qu'"alors même qu'un différend n'était pas encore né entre les parties à la date de la délibération contestée et de la transaction, la Canca et les entreprises concernées ont pu légalement avoir recours à la transaction".
La cour vérifie ensuite la validité du protocole transactionnel, conformément aux critères jurisprudentiels dégagés par le Conseil d'Etat. Elle rappelle que la remise "d'un dossier financier ou d'une étude d'expertise (…) ne constitue pas une condition de validité de la transaction". Par ailleurs, le juge veille à ce qu'il y ait bien des concessions réciproques entre les parties. La Canca s'est engagée à payer une somme correspondant d'une part, aux prestations et travaux réalisés et, d'autre part, à l'indemnité couvrant le retard dans l'exécution. En contrepartie, les titulaires du marché renoncent à toute réclamation ou action fondée sur l'exécution du marché en cause. Le juge estime que les concessions n'étaient pas manifestement disproportionnées. Enfin, il rappelle que la transaction est un contrat qui s'applique dès sa signature par les parties et en dehors d'une homologation du juge, conformément à l'article 2052 du Code civil.
Finalement, la fin du marché apparaissait comme inévitable face aux complications juridiques nées en cours d'exécution. Cette situation inextricable a été résolue grâce à une résiliation négociée entre les parties. La Canca a pu ainsi réduire le montant des indemnités dues en cas d'achèvement du marché avant l'arrivée de son terme. De plus, les parties ont économisé les lourdeurs liées à une procédure de justice. Cet arrêt illustre tout l'intérêt pour les pouvoirs adjudicateurs de penser à transiger même au niveau de la phase de résiliation du marché. La transaction permet une négociation tant sur le principe de la résiliation que sur les conséquences indemnitaires de ce choix.

Références :
CAA de Marseille, 16 juillet 2012, n° 09MA00879;Circulaire du 6 avril 2011 relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits; Instruction n° 10-009-m0 du 12 avril 2010 relative au recours à la transaction pour la prévention et le règlement des litiges portant sur l'exécution des contrats de la commande publique; Circulaire du 7 septembre 2009 relative au recours à la transaction pour la prévention et le règlement des litiges portant sur l'exécution des contrats de la commande publique