La Stratégie nationale pour la biodiversité doit faire davantage de place aux collectivités
En travaux depuis plusieurs mois, la stratégie nationale pour la biodiversité 2030 vient de franchir une nouvelle étape, les 4 instances devant être consultées ayant désormais rendu leur avis. Si ce dernier est globalement favorable, les critiques ne manquent pas. Parmi elles, la trop faible place laissée aux collectivités territoriales par une stratégie jugée "très descendante" fait consensus. Pour le Conseil national de la protection de la nature, l’insuffisante articulation avec les collectivités constitue même "une faiblesse majeure" de la stratégie et "un risque très significatif d’échec".
Établir la stratégie nationale pour la biodiversité, 3e du nom (SNB3), est un travail au long cours. Après avoir présenté une première version "pré COP 15" le 15 mars 2022 (voir notre article du 16 mars 2022), le gouvernement avait remis le travail sur le métier pour présenter une version profondément remaniée le 20 juillet dernier (voir notre article du 24 juillet). Il va à nouveau pouvoir se remettre à l’œuvre, pour tenir compte des avis que viennent successivement de rendre le Conseil national de la protection de la nature (CNPN, le 27 septembre), le Comité national de l’eau (CNE, le 2 octobre), le Conseil national de la mer et des littoraux (CNML, le 6 octobre) et le Comité national de la biodiversité (CNB, ce 16 octobre). "La ministre ne veut pas d’une consultation de papier. Il ne s’agit pas de cocher une case, mais d’améliorer le projet en prenant autant que possible en compte ces avis", indique le cabinet de Sarah El Haïry, secrétaire d’État chargée de la biodiversité.
Avis favorables, mais…
Les 4 instances ont certes rendu un avis favorable. "Le texte a globalement évolué dans le bon sens […] et constitue un ensemble consistant et ambitieux dans ses intentions", souligne le CNML. Le CNB salue également "l’importance du travail réalisé pour la nouvelle version […], notamment en termes de cohérence, de structuration et de lisibilité, et par l’introduction de mesures positives pour la biodiversité". L’instance ne cache pas qu’elle "apprécie la prise en compte d’une partie des recommandations de son avis de mars 2022".
Mais les critiques n’en restent pas moins nombreuses. Le CNML semble ainsi relativiser ses éloges en observant que "les descriptions dans le chapeau sont souvent plus ambitieuses que les mesures" et exprime "certaines préoccupations", notamment concernant "les possibilités ou non d’activités envisageables dans les zones de protection forte". Le CNB regrette de même que "son invitation à hiérarchiser les mesures et regrouper les plus déterminantes […] n’ait pas été suivie d’effet" et déplore, entre autres, "une hiérarchisation, une opérationnalité et une programmation insuffisantes", "une rédaction parfois peu précise et manquant de cohérence" ou encore une "mise en cohérence avec les stratégies inégales". Une dernière observation partagée par le CNPN, qui estime que la nouvelle version "perd […] l’articulation majeure qui lui était donnée avec les autres politiques et stratégies publiques nationales et surtout oublie la dimension européenne". L’instance, peut-être la plus critique, déplore de manière générale une dimension trop "anthropocentrée et utilitariste" d’une SNB3 qui lui "apparaît davantage comme un recueil de plans, dispositifs, évolutions réglementaires… existants qu’une stratégie au vrai sens du terme". Le CNE estime pour sa part que la SNB "ne prend pas suffisamment en compte les effets du changement climatique et ses répercussions" et "souhaite que les indicateurs soient précisés".
Tous formulent en conséquence différentes recommandations, plus ou moins détaillées et faciles à mettre en œuvre (le CNPN préconise par exemple d’adosser constitutionnellement la SNB à la Charte de l’environnement), qu’il ne sera pas toujours aisé de suivre, car parfois contradictoires.
Dimension territoriale insuffisante
Une recommandation fait au moins consensus : le nécessaire renforcement de la dimension territoriale.
Le CNPN dénonce ainsi une stratégie "très descendante", qui "n’implique trop souvent que les services de l’État et ses opérateurs, sans y associer, ou trop peu, les autres parties prenantes", à commencer par les collectivités. "L’articulation avec les régions […] et les collectivités territoriales est une des faiblesses majeures de la SNB et constitue un risque très significatif d’échec", alerte-t-il. "L’absence d’objectifs en matière de concertation territoriale est un manque important", pointe-t-il encore. Aussi suggère-t-il "d’encadrer la déclinaison de la SNB dans les territoires avec leur pilotage par les préfets, en lien avec les exécutifs régionaux", en prévoyant notamment de cartographier les zones à enjeux et "des déclinaisons territoriales adaptées, intégrant le chiffrage des moyens nécessaires à l’action publique menée par l’État, les collectivités et les acteurs des territoires et, si besoin, une suite juridique nationale ou locale". Il propose encore de confier à un délégué interministériel la charge "d’assurer une articulation fluide avec les collectivités".
Le CNB déplore de même des "relations non approfondies" entre l’État et les collectivités. Il regrette en particulier que "l’implication des départements [ne soit] pas mentionnée", alors qu’ils jouent "un rôle technique et financier majeur". Il recommande de retravailler "l’articulation avec le niveau régional et local", qu’il juge lui aussi insuffisante, "en distinguant, d’une part, la question de la déclinaison territoriale de la SNB et de l’articulation avec les SRB (stratégies régionales) et, d’autre part, celle de la mobilisation des acteurs locaux, en renforçant les ambitions, la concrétisation et la redevabilité". Il suggère par ailleurs que toutes les actions sur l’exemplarité de l’État s’appliquent également aux collectivités et à leurs groupements.
Le CNE est sur la même longueur d’ondes, demandant "que les acteurs territoriaux (régions, départements, EPTB…) soient davantage impliqués dans la mise en œuvre des mesures de la SNB et leur implication davantage spécifiée dans la déclinaison des actions".
De manière générale, l’accent est également mis sur la nécessité de "toujours plus sensibiliser collectivités et usagers à la protection de la biodiversité", le CNE insistant sur la mise en place effective de formations des élus et le CNB sur celle des agents.
Publication sine die
Alors qu’en juillet dernier le gouvernement espérait une publication définitive de la stratégie "à l’automne prochain", le calendrier semble difficilement tenable. Au cabinet de Sarah El Haïry, on ne se risque plus à donner de date. "Le gouvernement va voir comment améliorer la stratégie, notamment sur la qualité des indicateurs et leur suivi. Il faut nous laisser le temps." La proposition de donner un caractère réglementaire à la SNB semble en revanche déjà exclue : "La bonne question, c’est de s’assurer que la stratégie sera bien mise en œuvre. Or il existe beaucoup de dispositions réglementaires qui ne sont pas mises en œuvre", argue le cabinet. Il avoue compter davantage sur le secrétaire général à la planification écologique pour jouer le rôle de "tour de contrôle".