Biodiversité : un rapport d'inspection appelle à réorienter les subventions dommageables
Selon le rapport d'une mission d'inspection chargée par le gouvernement d'évaluer les besoins de financement de la stratégie nationale pour la biodiversité à l'horizon 2030, la réduction et/ou la réorientation de certaines dépenses publiques (recentrage des aides au logement, réévaluation des projets de nouvelles routes, revue des niches fiscales portant sur la taxe d’aménagement, réorientation de la PAC) doit devenir la priorité en matière de politiques de biodiversité.
"En dépit de son effondrement, la biodiversité fait l’objet de moyens financiers et stratégiques publics limités au regard des enjeux et des engagements pris par la France au niveau international et européen", constatent les membres de la mission d'inspection chargée par le gouvernement d'évaluer les besoins de financement de la stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) à l'horizon 2030 dans leur rapport daté de novembre dernier mais publié ce 6 janvier seulement. "A contrario, poursuivent-ils, les subventions dommageables à la biodiversité, qui concernent essentiellement les aides agricoles et les aides favorisant l’artificialisation des sols (logement, transports), sont au moins quatre fois plus élevées que les dépenses favorables à sa préservation et à sa restauration."
Légère hausse des dépenses favorables à la biodiversité entre 2018 et 2021
En 2021, la mission a recensé près de 2,3 milliards d'euros de dépenses publiques directement favorables à la biodiversité (aires protégées, préservation des espèces, restauration écologique, protection du milieu marin, connaissances, police de l’environnement) et 2,4 milliards d'euros de dépenses supplémentaires en lien avec la biodiversité et œuvrant à la réduction des pressions (adoption de pratiques agricoles favorables, lutte contre l’artificialisation des sols, politique du grand cycle de l’eau). Après une période de stagnation (2012-2018), ces dépenses favorables à la biodiversité, qui représentent entre 0,2% et 0,3% de la dépense publique, ont connu une légère hausse entre 2018 et 2021, notamment grâce au plan de relance.
Le financement privé direct des actions en faveur de la biodiversité est, lui, difficile à recenser mais reste marginal, selon le rapport. L’essentiel des financements vient donc de l’État et de ses opérateurs (notamment l’Office français de la biodiversité / OFB, et les agences de l’eau) à hauteur de 1,3 milliard d'euros sur le périmètre des politiques de biodiversité (soit 57% du total) et de 1 milliard d'euros sur les politiques connexes.
Environ 1,3 milliard d'euros de dépenses de la part des collectivités
Les collectivités territoriales ont réalisé pour leur part en 2021 près de 900 millions d'euros de dépenses directement favorables à la biodiversité, avec une part prépondérante des départements (430 millions d'euros soit 47%) qui reste toutefois inférieure au montant de la part de la taxe d’aménagement affectée au financement des espaces naturels sensibles (ENS). Sur le périmètre des politiques connexes, les collectivités territoriales représentent 400 millions d'euros de dépenses supplémentaires. Par ailleurs, l’Union européenne (UE) est à l’origine, en France, de 60 millions d'euros par an de dépenses directes en faveur de la biodiversité et 990 millions d'euros sur les politiques connexes incluant la politique agricole commune (PAC).
Afin d’améliorer le recensement des dépenses favorables, la mission recommande d'abord d’approfondir les exercices de budgétisation verte de l’État et des collectivités en matière de biodiversité et de suivre plus spécifiquement les dépenses des départements. "En complément, l’exercice du contrôle de légalité doit vérifier le bon emploi des recettes, ajoute-t-elle. Enfin, le cofinancement d’actions de biodiversité avec les départements pourrait être conditionné à la vérification du bon emploi des recettes."
Territorialisation d'une partie des mesures de la SNB pour obtenir des financements complémentaires
Au regard des objectifs poursuivis par la SNB pour 2030, les financements actuels sont "limités", estime le rapport. Sur la base d’une hiérarchisation des mesures de la SNB, la mission a recensé un besoin de financement brut pour l’État et ses opérateurs de 619 millions d'euros en 2023 et jusqu’à 890 millions d'euros en 2027 (soit +39 % par rapport au niveau de 2021). "Une partie des mesures fait l’objet d’un financement existant ou annoncé porté par d’autres politiques publiques et devant mieux prendre en compte les enjeux de biodiversité : pérennisation du fonds friches, actions de renaturation en ville, guichet de renouvellement forestier", ajoute-t-elle. En complément, elle évalue les besoins de financement nets à 174 millions d'euros en 2023 et jusqu’à 465 millions d'euros en 2027, ce qui nécessite selon elle des crédits nouveaux de l’État mis en œuvre au niveau national comme au niveau déconcentré. "À ce titre, la territorialisation d’une partie des mesures, en particulier en matière d’aires protégées et de restauration écologique, doit permettre d’obtenir des financements complémentaires, notamment de la part des collectivités territoriales, sur la base de projets locaux", précise-t-elle.
Réduire de 4,6% les subventions dommageables d'ici 2027
Mais le niveau actuel comme les besoins nouveaux de financement en faveur de la biodiversité restent très inférieurs au montant des subventions dommageables, pointe le rapport. Malgré l’engagement de la France depuis 2010 de les réduire, la mission estime que les subventions dommageables à la biodiversité de l’État et de l’UE restent globalement stables et représentent un minimum de 10,2 milliards d'euros en 2022, soit un montant 4,4 fois supérieur à celui de leurs dépenses favorables. Ces subventions, qui participent à d’autres objectifs de politique publique, se concentrent sur le soutien aux pratiques agricoles dommageables (6,7 milliards d'euros, notamment au titre de la PAC) et les aides favorisant l’artificialisation des sols (2,9 milliards d'euros). Ces dernières recouvrent le financement de nouvelles infrastructures linéaires de transport (1,3 milliard d'euros), le soutien au logement neuf (900 millions d'euros) et les dépenses fiscales en matière d’aménagement (600 millions d'euros). "Or, une réduction de 4,6% des subventions dommageables d’ici 2027 permettrait de financer l’intégralité des besoins nouveaux liés à la SNB tout en diminuant les pressions sur la biodiversité", soutient la mission. Dès lors, elle juge que la réduction et/ou la réorientation de certaines dépenses (recentrage des aides au logement, réévaluation des projets de nouvelles routes, revue des niches fiscales portant sur la taxe d’aménagement, réorientation de la PAC) doit être "la priorité en matière de politiques de biodiversité".
Renforcement du principe pollueur-payeur
En complément des financements publics, elle propose de mobiliser certains leviers jouant sur les incitations des acteurs privés en faveur de la préservation et de la restauration de la biodiversité. Partant du constat que la fiscalité environnementale favorable à la biodiversité est "limitée et faiblement incitative", elle recommande de renforcer le principe pollueur-payeur "sans toutefois faire de la fiscalité un outil de rendement et de financement de la SNB". Ainsi, elle propose de "corriger" certaines redevances des agences de l’eau dans le sens d’une meilleure prise en compte des comportements néfastes ayant des répercussions sur la biodiversité. Par ailleurs, même si l’atteinte de l’objectif de 'zéro artificialisation nette' reposera selon elle sur "une conjonction de leviers règlementaires, budgétaires et fiscaux", la mission propose de "mieux prendre en compte la biodiversité dans la fiscalité du foncier et de l’aménagement et en particulier de réformer les taxes sur la cession des terrains nus rendus constructibles".
En matière d’aménagement, les obligations liées à la séquence éviter-réduire-compenser (ERC) doivent devenir "incontournables". Elle propose notamment de répondre aux limites actuelles par un accompagnement des collectivités dans l’intégration de la séquence ERC au sein des documents d’urbanisme et dans l’identification des zones prioritaires de renaturation. En matière de compensation, elle souhaite rendre cette dernière à la fois "plus fluide" mais aussi "plus en phase avec les coûts réels des dommages causés à la biodiversité." Cela peut notamment passer par un "renforcement de l’offre de compensation en expérimentant de nouveaux sites naturels de compensation (SNC) sur le territoire", illustre-t-elle.