Insertion - A la Réunion, le bouclier fiscal bénéficie à 5 000 RMistes

En matière de bénéficiaires inattendus du bouclier fiscal, après l'agriculteur de l'Ile de Ré, voici venu le RMiste de la Réunion. Révélée par le quotidien Le Monde, l'affaire concerne en effet entre 4 et 5.000 foyers bénéficiaires du RMI sur l'île de l'océan Indien. Un chiffre à comparer avec ceux de la métropole : seulement 3.000 demandes déposées à la fin de septembre 2007, alors que le ministère des Finances en attendait 100.000. Pourtant, les RMistes réunionnais sont très loin d'être assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), ni même à l'impôt sur le revenu. Mais le bouclier fiscal les protégera contre... les impôts locaux. Cette situation inhabituelle s'explique par deux éléments propres à la Réunion. D'une part, l'île compte un nombre très important d'allocataires du RMI (environ 75.000 personnes). D'autre part, une fraction importante de ces derniers est propriétaire d'un logement et/ou d'un terrain et, par conséquent, assujetti à la taxe sur le foncier bâti ou non bâti, ainsi qu'à la fraction non dégrevée de la taxe d'habitation. Compte tenu de la faiblesse des ressources des allocataires du RMI, les impôts locaux peuvent rapidement atteindre 50% de leurs revenus et donc ouvrir droit à un remboursement au titre du bouclier fiscal. Ce seuil est d'autant plus vite atteint que l'allocation du RMI n'est pas prise en compte pour la détermination du droit à restitution. Une personne célibataire avec un enfant, par exemple, peut percevoir jusqu'à 7.935 euros d'allocation de RMI sur une année. Mais, au titre du droit au bouclier fiscal, elle sera considérée comme n'ayant aucun revenu. Dans ces conditions, le premier euro d'impôt local atteint déjà 100% de ses revenus pris en compte... Si Le Monde a révélé cette affaire dans son édition des 2 et 3 décembre, celle-ci était déjà bien connue sur place. Dans une lettre du 25 octobre, la section régionale du Syndicat national unifié des impôts (SNUI) réclame ainsi "des mesures exceptionnelles" pour faire face à l'afflux de demandes et trouve "inadmissible que la direction générale [des impôts] traite la Réunion comme la Lozère ou les Hauts-de-Seine", alors que l'île présente une "proportion de propriétaires/allocataires de RMI [...] beaucoup plus importante qu'ailleurs". Bien que plus discrets, certains départements ruraux de métropole pourraient toutefois connaître également des cas similaires, notamment du côté des agriculteurs en difficulté.
La mise en oeuvre du bouclier fiscal ne devrait rien changer en matière sociale, bien qu'elle améliore de fait les ressources disponibles des bénéficiaires du RMI. Les textes sur cette prestation ne mentionnent pas, en effet, les remboursements d'impôts parmi les ressources prises en compte pour le calcul de l'allocation. Elle pourrait en revanche avoir un impact en matière de fiscalité locale. Certes, le Sénat a arraché de haute lutte, lors de l'adoption de la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (Tepa), une disposition prévoyant une prise en charge intégrale par l'Etat des restitutions au titre du bouclier fiscal concernant des impôts locaux. Mais ce principe risque fort d'être écorné. D'une part, on voit mal les collectivités locales accepter d'assumer, en termes d'image, le fait de percevoir des impôts locaux sur des bénéficiaires du RMI, dont on sait pertinemment qu'ils ont droit au bouclier fiscal mais ne percevront la restitution que plusieurs mois - voire années - après le paiement d'un impôt non dû. D'autre part, l'amendement du Sénat a été adopté contre l'avis du gouvernement, même si celui-ci a ensuite abandonné la partie. Christine Lagarde, la ministre de l'Economie et des Finances, avait alors déclaré trouver "juste que l'Etat et les collectivités territoriales se partagent les refacturations" (sur la base de la part respective des deux catégories d'impôts dans la charge fiscale du foyer concerné). Or, dans le cas des bénéficiaires du RMI, il ne s'agit pas d'un partage, mais d'une substitution intégrale de l'Etat aux collectivités locales, dans la mesure où, contrairement au cas des ménages aisés, la restitution porte exclusivement sur des impôts locaux. S'il sera difficile à l'Etat de revenir frontalement sur l'amendement - compte tenu de la position très ferme du Parlement -, il pourrait bien le faire par le biais d'une discrète compensation dans les dotations versées aux collectivités.

 

Jean-Noël Escudié / PCA