La réindustrialisation tributaire de "l'effet local"

Le développement industriel ne se décrète pas d'en haut mais doit beaucoup à "l'effet local" : c'est en substance le message d'un rapport de La Fabrique de l'industrie publié au moment où le gouvernement met la dernière touche à son projet de loi sur l'industrie verte. Dans ce rapport intitulé "Refaire de l'industrie un projet de territoire", l'économiste Caroline Granier souligne l'importance de la bonne collaboration des acteurs locaux autour d'un projet commun. En dépit de ses handicaps, un territoire peut ainsi se relever en actionnant plusieurs leviers : le foncier, les compétences et l'attractivité des sites pour les salariés et leur famille... Mais chaque parcours est unique.

"L'industrie ne tombe pas du ciel, pas plus qu'elle n'est léguée une fois pour toutes en héritage du passé." Par cette phrase en forme d'avertissement, Caroline Granier, docteure en sciences économiques et cheffe de projet pour La Fabrique de l'industrie, pose tout l'enjeu de la réindustrialisation actuellement sur toutes les lèvres, après quarante ans d'abandon. Dans une étude de ce cercle de réflexion intitulée "Refaire de l'industrie un projet de territoire", publiée le 13 avril 2023, elle s'attache à mettre en avant les mécanismes qui permettent à la mayonnaise de prendre... ou non.

Au moment où le gouvernement met la dernière touche à son projet de loi sur l'industrie verte, qui devrait être examiné le 4 mai par le Conseil national de la transition écologique puis présenté en conseil des ministres mi-mai, la note souligne l'importance du "projet de territoire". Ce que les intercommunalités n'ont de cesse de faire valoir mais qu'elles n'étaient pas parvenues à imposer avec le plan France 2030 (voir notre article du 5 janvier 2023). La donne est sans doute en train de changer avec le futur projet de loi (voir notre article du 4 avril 2023)

À partir de l'étude approfondie de quatre territoires (Angoulême-Cognac, Alsace centrale, Nord Poitou et Seine Aval-Mantes) et des données issues de l'Observatoire des Territoires d'industrie, Caroline Granier arrive à cette conclusion : "Il apparaît assez vite que chacune de ces constructions est unique et qu'il serait vain de chercher une recette miracle s'appliquant à l'ensemble des territoires." Il existe pourtant bien quelques ingrédients - localisation géographique, ressources naturelles, foncier disponible - mais ils ne sont rien sans le facteur local qui tient à la bonne collaboration entre acteurs publics et privés, entre élus et industriels. Bref, à la "gouvernance territoriale". "Outre la conjoncture nationale et le portefeuille sectoriel d'activités, d'autres facteurs plus informels contribuent à modeler la trajectoire d'un territoire comme la capacité des acteurs à coopérer, la cohésion des agents et la gouvernance du territoire, ces facteurs forment 'l'effet local', souligne Caroline Granier. "Les territoires caractérisés par un effet local positif sont ceux qui parviennent à tirer leur épingle du jeu, même quand ils sont intégrés dans un environnement macrorégional difficile", comme le territoire Alsace centrale qui a vu son emploi industriel baisser plus faiblement que dans le reste de la France, révélant une certaine résilience.

Un "dialogue fécond"

La note fourmille d'exemples de terrain pour rendre compte de tout ce que les statistiques ne montrent pas. Elle s'attarde par exemple sur la gouvernance originale mise en place par la ville de Romans-sur-Isère, autour de l'industrie de la chaussure, à travers un pôle territorial de coopération économique (PTCE), Pôle Sud, destiné à regrouper dans un même lieu les acteurs de l'économie sociale et solidaire, du développement économique local et les acteurs publics. Le pôle, qui doit promouvoir l'activité industrielle locale, s'appuie sur l'association Romans Cuir, fondée en 2012 pour fédérer les petites entreprises toujours présentes sur le territoire. Elle a créé le label "Véritable chaussure de Romans" (VCR) pour promouvoir la production locale. Une fois par an, le pôle organise des soirées "Start-up de territoire" rassemblant la population afin de réfléchir collectivement... La démarche a pu être pérennisée grâce à l'obtention du label Territoires d'innovation de grande ambition du Programme d'investissements d'avenir (PIA).

L'État peut cependant donner une impulsion. Le dialogue industriels-élus est l'une des réussites à mettre à l'actif des Territoires d'industrie. Sur les quatre territoires étudiés, le dispositif impulsé par l'État a permis un "dialogue fécond" entre des acteurs qui ne se parlaient pas suffisamment, accélérant le déploiement de projets existants. Ce que Guillaume Basset et Olivier Lluansi, anciens délégués aux Territoires d'industrie, ont déjà mis en avant dans une note publiée en février dernier toujours pour La Fabrique de l'industrie. Au passage, les deux auteurs tordent le cou à un certain fatalisme puisqu'ils montrent qu'entre 2009 et 2015, une cinquantaine de territoires avaient continué à créer de l'emploi industriel quand tous les autres en détruisaient. Ce qu'ils expliquent par "une envie et un attachement farouche à l’industrie". S'appuyant sur la démarche Rebond lancée en réponse à la fermeture de l’usine de Bridgestone à Béthune, ils estiment que 450.000 emplois industriels pourraient être créés en dix ans dans les territoires. Soit davantage que ce qui est escompté avec le programme France 2030 (430.000). Mais l'absence de visibilité sur la poursuite du programme suscite l'inquiétude d'Intercommunalités de France dont le président Sébastien Martin a écrit à la Première ministre, le 20 avril, pour avoir des nouvelles...

La représentation d'un "futur commun"

Derrière cette gouvernance territoriale, il y a la volonté des acteurs locaux de "refaire de l’industrie un élément fort de l’identité du territoire". La représentation d'un "futur commun" permet de fédérer autour d'un projet et d'une identité. "Cette production totémique est évidente dans le cas de Cognac, elle l’est également pour la vallée de l’Arve dont l’identité est clairement liée au décolletage par exemple. D’autres manières de représenter un territoire émergent depuis peu : Dunkerque est ainsi devenu un territoire de référence en matière d’écologie industrielle, Grand-Orly Seine Bièvre (GOSB) se veut celui de la 'ville productive'", illustre la note. Pour ce dernier exemple, le projet est issu d'une cinquantaine d'acteurs (entreprises industrielles, aménageurs, promoteurs, Banque des Territoires, chambres consulaires, associations) avec une feuille de route du développement des activités productives en ville, le tout aboutissant à un "Manifeste pour un territoire industriel et productif" avec les actions et les nouveaux outils à mettre en place.

La note relève de nombreuses initiatives déployées localement pour répondre aux grands enjeux actuels, que ce soit en matière de compétences, d'attractivité et d'accueil des industriels et des familles, d'accès au foncier... Ainsi en est-il des efforts de l'agglomération de Niort pour l'accueil des familles. Elle a mis en ligne sur son site une CVthèque afin de "favoriser l’appariement entre les besoins des entreprises et les conjoints en recherche d’un emploi". Toujours sur ce territoire, l'entreprise Canametal a créé sa propre école, en lien avec Pôle emploi, pour former des personnes éloignées de l'emploi aux métiers de la soudure. Le Pays de Vitré a pour sa part créé une association appelée "L’académie des métiers" qui fédère les entreprises locales pour redorer l'image de l'industrie... Les campus des métiers, les écoles de production sont également à mettre à l'actif des Territoires d'industrie.

93% des ZAE saturées d'ici à 2030

Mais le nerf de la guerre, comme l'a bien identifié le futur projet de loi, est l'accès au foncier, à l'aune du zéro artificialisation nette (ZAN) fixé pour 2050. Initialement absent des Territoires d'industrie, il est désormais reconnu comme un enjeu de premier plan, avec la création des "Sites industriels clés en main" lancés à l'automne 2020 pour permettre aux industriels de s'installer plus vite sur des sites pré-identifiés et pour lesquels les démarches administratives ont été anticipées ou "purgées". En 2022, on dénombre 127 sites labellisés, dont le Grand Port maritime de Dunkerque. Seulement, "28% des zones d’activités économiques [ZAE] sont saturées en 2022, 41% le seront à l’horizon 2025 et 93% à l’horizon 2030", rappelle la note sur la base d'une enquête d'Intercommunalités de France. L'un des enjeux actuels vient du "recensement" du foncier et à son "recyclage", souligne Caroline Granier. C'est le sens des missions confiées au préfet Rollon Mouchel-Blaisot et au directeur général de la Banque des Territoires, Olivier Sichel (voir notre article du 9 mars 2023). Cette dernière vient d'ailleurs de lancer un service gratuit à destination des intercommunalités pour les aider à réaliser l'atlas de leurs zones d'activités avant le 24 août 2023, comme le leur impose la loi (voir notre article du 17 avril 2023). Avec les nouvelles contraintes du ZAN, "il ne sera pas efficace de s’attacher à traiter uniquement la question de la reconversion du bâti existant : il faut aussi, dès à présent, concevoir des bâtiments et leur mutabilité à long terme, tout en évitant leur transformation en friche dans le futur", insiste l'économiste.

Selon Caroline Granier, l'industrie de demain devra "concilier les objectifs en matière de transition écologique, d’aménagement du territoire et de politique industrielle". Elle devra à ce titre "être beaucoup plus respectueuse de l’environnement", ne serait-ce que pour pouvoir être acceptée par la population. À ce titre, le contrat de relance et de transition écologique (CRTE) pourrait servir de véhicule. Pas sûr qu'il en prenne le chemin (voir notre article du 15 mars 2023).

 

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