INTERVIEW - "La réforme des rythmes scolaires a légitimé la ville dans son rôle éducatif"
Localtis – Vous avez choisi pour votre congrès 2016 de questionner la profession des directeurs de l'éducation des villes sur le thème "Parents, ville, école : construire une alliance éducative, utopie ou réalité ?" Selon vous, en est-on encore loin ?
Rozenn Merrien - La réforme des rythmes éducatifs et la généralisation des projets éducatifs territoriaux (PEDT) ont favorisé une dynamique sur l'ensemble du territoire. Il était plus facile de travailler sur un objet qui soit à la fois commun et concret, et qui a une traduction pour chacun : parents, école, ville.
Là où il n'y en avait pas, des instances d'échanges ont été créées autour de cette question pratique d'organisation des nouveaux rythmes. Et les instances qui existaient déjà, sous l'impulsion des villes, ont été confortées. Cette réforme a positionné la ville comme animateur de la recherche de cette alliance parents/ville/école.
L'Andev a été créée en 1992, dans la foulée des lois de décentralisation, avec pour objet de porter le message de la légitimité de la ville dans son rôle éducatif. Vingt cinq ans plus tard, cette place n'est plus débattue et elle a même été confortée par la réforme des rythmes dans laquelle l'Etat a confié à la ville l'animation du PEDT. Tout l'enjeu des PEDT est là : conforter la relation qui a prévalu lors de l'organisation des temps scolaires pour que désormais tous les acteurs de l'éducation prennent part à l'action publique locale.
La ville porte-t-elle la responsabilité des réussites et des échecs de la coéducation ?
Nous nous plaçons désormais tous du point de vue de l'enfant et il y a consensus pour dire que l'alliance parents/ville/école est nécessaire pour l'épanouissement de l'enfant. La ville est facilitateur ; elle est responsable au même niveau que les autres acteurs.
Le thème de ce congrès nous incite, nous, directeurs de l'éducation des villes, à réinterroger notre positionnement professionnel. Nous voulons inverser le regard : dépasser le discours sur les freins à la coéducation pour chercher les moyens de mettre en œuvre les conditions propices à l'investissement et à la participation des politiques publiques avec et par les parents.
Concrètement, cela peut se traduire par exemple par la création d'espaces de rencontres bienveillants, qui donnent la place à la parole des familles, où l'on fait confiance à leur "expertise d'usage".
Les espaces d'accueil des parents doivent-ils, selon vous, se situer dans l'école ou hors enceinte scolaire ?
Je n'ai pas de philosophie, cela dépend des particularités locales. Et quand je dis "locales", je pense même "micro-locales" : une école va vivre l'arrivée des parents comme une intrusion alors qu'une autre, dans le quartier voisin, sera déjà très ouverte aux familles, aux associations… Notre rôle n'est pas d'être donneur d'ordre, mais de valoriser les initiatives locales qui viennent des parents, des enseignants, des animateurs, des associations…
Dans les quartiers de la politique de la ville, les conseils citoyens sont en partie constitués sur le principe du tirage au sort. Pensez-vous que ce système pourrait faciliter la participation des familles "les plus éloignées de l'école" à la politique éducative locale ?
Toutes les expérimentations de participation des citoyens aux politiques publiques locales méritent d'être observées et évaluées. Et la représentativité des parents dans nos instances est aussi un débat.
La ville peut accompagner les parents qui souhaitent s'informer et s'investir (et dans ce cas, les centres sociaux - en particulier ceux qui sont dotés d'un comité d'usagers - peuvent servir de lien). Mais c'est le choix de chacun. Parfois, on demande aux parents "les plus éloignés de l'école" ce qu'on ne demande pas aux autres !
Maintenant que les rythmes scolaires sont calés, quel pourrait être le nouveau thème fédérateur du trio parents/ville/école ?
Il y a effectivement un consensus sur l'absolue nécessité de ne pas remettre en cause le travail engagé sur les rythmes scolaires. Les défis qui nous attendent sont ceux du monde éducatif : la question des inégalités, les sorties du système scolaire sans diplôme, la garantie des conditions d'apprentissage dans un contexte anxiogène… Anxiogène à double titre : du fait des menaces sécuritaires et du fait de la pression de la "réussite" qui pèse sur l'enfant.
A chaque territoire de se saisir de ces enjeux et de les décliner sur des projets très concrets qui rassemblent toute la communauté éducative. A Saint-Denis, nous travaillons par exemple sur la question du "plaisir de lire" et nous déclinons cette question dans les temps scolaires, extrascolaires et périscolaires.
Les directeurs de l'éducation des villes travaillent-ils avec leurs collègues des autres services municipaux et/ou intercommunaux ?
Le travail transversal a toujours existé - pas partout, mais souvent - mais il s'est renforcé. Depuis la réforme des rythmes scolaires, on voit se développer des liens plus étroits avec les collègues des services culturels, sportifs… qui nous ont aussi ouverts à leurs partenaires associatifs. Avec les services techniques municipaux, nous avions toujours eu des relations ; elles se sont renforcées avec le contexte sécuritaire.
Durant votre congrès, l'atelier consacré à la sécurisation des écoles est sans doute celui qui a réuni le plus de participants. Dans un contexte de risque-attentat, le discours sur "l'école ouverte à tous" (et dans tous les sens du terme) est-il toujours tenable ?
Sur le principe, l'école doit rester ouverte aux acteurs qui contribuent à la réussite des enfants et être fermée à ceux qui mettent en péril l'école républicaine. Après, il faut prendre des précautions face aux intrusions malveillantes. C'est un défi auquel les collègues sont effectivement confrontés.
Pour finir, on parle toujours des "parents" ou des "familles", mais dans la réalité ne devrait-on pas parler plutôt des "mamans" ?
Aujourd'hui, on parle vraiment des deux : des pères et des mères. La participation des pères aux politiques éducatives est réellement en train d'évoluer, on le voit dans nos instances représentatives. Signe des temps, quelques villes, comme Saint-Denis, commencent à mettre en place des ateliers père/enfant.