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Loi sur les expérimentations : les collectivités pourront plus facilement adapter les normes

La loi organique simplifiant les expérimentations mises en œuvre sur la base des dispositions constitutionnelles votées en 2003 dans le cadre de l'acte II de la décentralisation a été publiée ce 20 avril. En facilitant le recours – aujourd'hui excessivement complexe – à ces expérimentations, l'exécutif entend promouvoir l'adaptation des normes aux particularités des territoires. Ce principe de différenciation territoriale sera aussi au cœur de l'étape suivante que constitue le projet de loi 4D. En attendant, gros plan sur les mesures de cette loi sur les expérimentations.

La majorité de droite au Sénat a critiqué "un texte à petit souffle". De leur côté, les parlementaires proches de la France insoumise et du Parti communiste ont dénoncé "une atteinte au principe d'indivisibilité de la nation", ou encore une "rupture d'égalité entre les citoyens". Mais le projet de loi organique sur la simplification des expérimentations a été approuvé haut la main dans les deux chambres. Un vote conforme des députés le 16 mars dernier a accéléré son adoption définitive. Saisi par le Premier ministre, le Conseil constitutionnel a validé l'intégralité de la loi dans une décision rendue le 15 avril. C'est donc, dans la foulée, ce 20 avril, que la loi a été publiée.

À droit constitutionnel inchangé (la réforme constitutionnelle un temps envisagée n'ayant pas abouti), le texte vise à favoriser le recours aux expérimentations sur la base de l'alinéa 4 de l'article 72 de la Constitution. On le sait, le dispositif créé par la révision constitutionnelle de 2003 sur l'organisation décentralisée de la République n'a pas eu l'effet escompté. Seules quatre expérimentations ont été menées dans ce cadre : sur le RSA, la tarification sociale de l'eau, la répartition des fonds inutilisés de la taxe d'apprentissage et l'apprentissage jusqu'à 30 ans. A contrario, les collectivités territoriales sont beaucoup plus fréquemment impliquées dans des expérimentations sur le fondement de l’article 37-1 de la Constitution.

La lourdeur de la procédure de l'article 72 de la Constitution est en cause : les collectivités doivent "franchir pas moins de sept étapes pour mettre en œuvre une expérimentation", a relevé Stéphane Mazars, rapporteur (LREM) du projet de loi à l'Assemblée nationale. La nouvelle loi organique vise donc à apporter une souplesse bienvenue et ce, à différents stades. Le délai de mise en œuvre des expérimentations pourrait ainsi être ramené à deux mois, selon le ministère de la Cohésion des territoires. Il avait fallu entre cinq et vingt-quatre mois selon les cas, pour que les expérimentations menées par le passé puissent entrer en vigueur.

Le détail des dispositions de la loi organique.

  • Une procédure d’entrée simplifiée

Il est mis fin au régime d’autorisation préalable pour l’entrée des collectivités territoriales dans l’expérimentation (article 1 et 2). Il est prévu en effet que "toute collectivité territoriale entrant dans le champ d’application défini par cette loi (…) peut décider de participer à l’expérimentation (…) par une délibération motivée de son assemblée délibérante". Est ainsi supprimée l’étape par laquelle le gouvernement, après vérification que les conditions légales ou réglementaires sont remplies, publie par décret la liste des collectivités territoriales autorisées à prendre part à l’expérimentation.

Le régime spécial du contrôle de légalité exercé sur la délibération de la collectivité est, lui, maintenu (article 4). Si le préfet assortit son recours d’une demande de suspension, la délibération cesse automatiquement de produire ses effets, et ce jusqu’à ce que le tribunal administratif ait statué sur cette demande.

  • Une accélération de l’entrée en vigueur des actes dérogatoires

L’adoption des actes dérogeant aux lois, pris par les collectivités ayant décidé de participer à l’expérimentation, est facilitée : ils entrent en vigueur dans les conditions de droit commun (article 3). Mais à une différence près : ils sont publiés, à titre d'information, au Journal officiel. Le contrôle de légalité à leur encontre s’exerce également dans les conditions de droit commun. Jusqu'à présent, les actes dérogatoires ne pouvaient entrer en vigueur sans avoir été publiés au Journal officiel. Ils pouvaient par ailleurs faire l’objet du même contrôle de légalité renforcé que la délibération par laquelle la collectivité demande à entrer dans l’expérimentation.

  • Une évaluation renforcée des expérimentations

La procédure d'évaluation des expérimentations est revue (article 5). Principale innovation : la création d'une évaluation à mi-parcours. Le rapport que le gouvernement transmet au Parlement présente une évaluation intermédiaire des effets des mesures prises par les collectivités expérimentatrices "en ce qui concerne notamment le coût et la qualité des services rendus aux usagers, l'organisation des collectivités territoriales et des services de l'Etat ainsi que leurs incidences financières et fiscales." En outre, ce rapport présente les collectivités ayant décidé de participer à l'expérimentation et comporte, le cas échéant, des observations des collectivités participant à l'expérimentation.

L'évaluation qui intervient avant le terme de l'expérimentation est maintenue. De même que le rapport annuel du gouvernement au Parlement qui vise à recenser l'ensemble des propositions d'expérimentation et exposer les suites qui leur ont été réservées.

  • Les suites de l'expérimentation

C'est sans doute le volet de la réforme le plus attendu. Jusqu'à présent, une expérimentation pouvait faire l'objet de trois décisions à son issue : sa prolongation (éventuellement sous une forme modifiée) pour une durée de trois ans maximum, sa généralisation à l'ensemble des collectivités, et enfin son abandon pur et simple.

D'autres issues sont à présent envisageables. Sous réserve du principe d'égalité, les mesures prises à titre expérimental peuvent être maintenues dans les collectivités ayant participé à l'expérimentation, ou seulement dans certaines d'entre elles. Le Conseil constitutionnel a toutefois formulé une quasi réserve dans sa décision du 15 avril : il a considéré que "le législateur ne saurait maintenir à titre pérenne des mesures prises à titre expérimental dans les seules collectivités territoriales ayant participé à l'expérimentation sans les étendre aux autres collectivités présentant les mêmes caractéristiques justifiant qu'il soit dérogé au droit commun".

La loi prévoit par ailleurs la possibilité, dans le respect du principe d'égalité, d'étendre les mesures prises de manière expérimentale à "d'autres collectivités".

Enfin, il est prévu que le législateur puisse modifier les dispositions régissant l'exercice de la compétence ayant fait l'objet de l'expérimentation.

  • Dérogations aux normes réglementaires

Les évolutions prévues pour les expérimentations autorisées par la loi sont étendues aux expérimentations auxquelles il est donné un feu vert par décret (article 7). Ces dernières consistent à expérimenter des mesures dérogatoires à des dispositions réglementaires.

Selon la ministre, le projet de loi organique "représente une première étape vers la loi 4D (différenciation, décentralisation, déconcentration et diverses mesures de simplification), que le conseil des ministres examinera le 12 mai. Le projet de loi très attendu par les élus locaux "proposera d’autres outils visant le même objectif comme par exemple le transfert de compétences aux seules collectivités volontaires, un pouvoir réglementaire local renforcé ou des mesures de déconcentration spécifiques". Mais le lien entre les deux textes intervient aussi dans l'autre sens : le futur projet de loi 4D sera le "premier support" pour "héberger" de nouvelles expérimentations désormais permises par la loi organique. Figure par exemple déjà dans l'avant-projet de loi 4D l'expérimentation d'une délégation de compétences étendue aux intercommunalités en matière de logement social.

Au-delà des évolutions inscrites dans les deux textes, la ministre envisage d'"accompagner" les collectivités territoriales. Le but est de "s’assurer de l’effectivité des futures expérimentations." Des "guichets permanents" vont être installés auprès des préfets (voir notre article du 4 mars). Créés par voie réglementaire, ils seront chargés de recueillir les propositions des collectivités. En outre, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) effectuera "un travail juridique d'accompagnement des volontés des collectivités ou des associations d'élus locaux".

Référence : loi organique n° 2021-467 du 19 avril 2021 relative à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution, publiée au JO du 20 avril 2021.