La garde des Sceaux livre sa politique pénale en matière de lutte contre le terrorisme
Dans une circulaire à l'ensemble des parquets, la ministre de la Justice expose les principes directeurs devant guider l'action du jeune parquet national antiterroriste ainsi que les modalités d'interaction de ce dernier avec les parquets locaux, et singulièrement avec les magistrats référents ou délégués à la lutte contre le terrorisme. Ces derniers doivent particulièrement veiller à la situation des mineurs de retour de zones d'opérations, en liaison étroite avec préfets et conseils départementaux.
"Dans le contexte d'une menace terroriste toujours prégnante", la garde des Sceaux vient d'adresser à l'ensemble des parquets une circulaire de politique pénale en matière de lutte contre le terrorisme.
Le parquet national antiterroriste invité à une "judiciarisation systématique"
La circulaire expose dans un premier temps les principes devant conduire l'action du procureur national antiterroriste, ministère public dédié, créé par la loi de programmation et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 afin de "renforcer la force de frappe judiciaire" en la matière (selon les termes employés dans une précédente circulaire du 1er juillet dernier présentant ce nouvel organe).
La ministre de la Justice y rappelle "le principe de judiciarisation systématique" des individus susceptibles de se voir reprocher des faits qualifiés de terrorisme, "la qualification juridique la plus élevée [devant] être systématiquement recherchée" lors de l'ouverture de l'enquête et maintenue dans les cas d'actions violentes, tentées ou consommées, mais aussi projetées lorsque ledit projet présentait un degré d'aboutissement élevé ou que ses auteurs étaient en possession d'armes, étaient en contact opérationnel (ou cherchaient à l'être) avec une organisation terroriste ou encore lorsque des éléments de leur personnalité le justifient.
Les parquets locaux toujours en première ligne
La circulaire précise ensuite les modalités d'articulation de ce parquet spécialisé avec l'action des parquets locaux, qui reste cruciale. C'est à ces derniers qu'il appartient ainsi de diligenter les premiers actes d'enquête, sous des qualifications de droit commun. En présence de faits susceptibles de relever d'une qualification terroriste, le parquet local doit prendre immédiatement attache avec le parquet national antiterroriste, ou le saisir "dès lors que ces faits ont été commis intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur", suivant la définition du code pénal.
Cette qualification "s'apprécie in concreto". La circulaire liste pour ce faire différents critères devant non "pas être étudiés séparément, mais au contraire faire l'objet d'une "analyse globale". Parmi eux, le "type de victimes ciblées" – particulièrement les représentants des forces de l'ordre ou des autorités de l'État – "ou, à l'inverse, indistinctes". L'enjeu est notamment d'exclure le "passage à l'acte exclusivement motivé par une pulsion psychiatrique" ou encore celui, "fut-il violent, d'un individu radicalisé […] dans un différend purement privé et personnel et sans lien avec un projet terroriste". Une ligne de partage difficile à tracer alors que, indique la garde des Sceaux, "la nature, la forme et les manifestations de la menace terroriste ont pu évoluer au cours des dernières années, se caractérisant par le passage à l'acte […] d'individus isolés, dénués parfois de liens opérationnels directs avec une organisation identifiée et dont le degré de radicalisation terroriste peut parfois paraître difficile à caractériser lorsque d'éventuelles pathologies psychiques semblent sous-jacentes".
La ministre prévient par ailleurs que "la multiplication des projets d’action violente imputables à la mouvance d’ultra-droite et la montée en puissance des radicalismes d’ultra-gauche et d’ultra-droite témoignent de situations qui doivent faire l’objet d’une analyse spécifique".
Sur le terrain, le rôle-clé du magistrat référent ou délégué à la lutte contre le terrorisme
La circulaire détaille en outre le rôle clé tenu par le magistrat référent ou délégué à la lutte contre le terrorisme, véritable rouage entre le parquet local et le parquet antiterroriste. "Compte tenu de la connaissance qu'il doit acquérir sur la radicalisation dans son ressort", ce magistrat tient ainsi informé le procureur de la République antiterroriste de toute situation locale qui serait susceptible de l'intéresser et de toute infraction commise par un individu poursuivi (ou en cours d'exécution de peine, ou même précédemment condamné pour terrorisme et ayant purgé sa peine) pour des faits de terrorisme. À cette fin, il doit s'assurer "d'être identifié par tous les acteurs locaux de lutte contre la radicalisation". "Chargé de la détection et du traitement judiciaire des signaux faibles de radicalisation", il doit lui-même être informé de la présence sur son ressort de tout individu placé sous main de justice pour des faits de terrorisme.
Le cas particulier des mineurs de retour de zones d'opérations
Les mineurs, "parfois très jeunes", de retour de zones d'opérations de groupements terroristes, notamment de la zone irako-syrienne, devront faire l'objet d'une attention particulière "tant au regard de la gravité des traumatismes subis que de la fragilité psychologique qu’ils sont susceptibles de présenter". Le parquet antiterroriste doit assurer le suivi centralisé de ces mineurs et notamment collecter l'ensemble des informations utiles avant leur arrivée sur le territoire, qu'il doit ensuite communiquer aux magistrats référents pour que ces derniers puissent, en urgence, assurer la protection de ces mineurs.
Les magistrats référents ou délégués devront en outre "porter la plus grande attention aux mineurs de retour de zone suivis en assistance éducative". "Dès l'arrivée du mineur sur le territoire national", ils devront en informer le préfet et le conseil départemental. Sa situation devra ensuite être régulièrement évoquée dans le cadre des cellules départementales de suivi pour la prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles (CPRAF), dans leur formation restreinte. Elle devra également l'être au terme de cette procédure par les institutions partenaires des CPRAF, "afin notamment d'évaluer, en cas de danger ou de risque de danger, la pertinence d'une nouvelle saisine de l'autorité judiciaire".
Référence : circulaire NOR JUSD2003946C du 17 février 2020 de politique pénale en matière de lutte contre le terrorisme |