Les procureurs invités à la vigilance et à la fermeté face au développement du communautarisme
Le ministère de la Justice vient d’inviter par circulaire du 10 janvier les procureurs à veiller avec vigilance à la protection de la laïcité et à lutter contre la radicalisation et le communautarisme. Sont visés aussi bien "les abus et dérives commis au nom des religions" que les atteintes commises "en raison des religions".
En matière de lutte contre le communautarisme, les places Beauvau et Vendôme sont sur la même ligne : "L’heure n’est plus aux pudeurs et aux faux-semblants", comme l’expliquait le ministre de l’Intérieur aux préfets le 28 novembre dernier. "Une forme de repli identitaire et le développement du communautarisme menacent, dans certains territoires, la cohésion sociale", avertit ainsi à son tour et sans détour la garde des Sceaux dans une circulaire relative à la protection de la laïcité et à la lutte contre la radicalisation et le communautarisme qu’elle vient d’adresser aux procureurs.
Lutter contre les abus et dérives commis au nom des religions…
La ministre Nicole Belloubet y attire d’abord l’attention des procureurs sur "la nécessité d’une mobilisation constante contre les différents abus commis au nom de la religion, qu’il s’agisse de discours ou d’autres comportements". Sont visées "les dérives sectaires", dont elle rappelle qu’elles "sont parfaitement appréhendées par le droit pénal, comme toutes les formes de harcèlement moral". Les magistrats devront ainsi être particulièrement vigilants à l’égard des phénomènes dits d’évitement scolaire – à la faveur d’écoles hors contrats ou d’enseignements en ligne – relevés d’ailleurs par les procureurs eux-mêmes (ceux concernés par les plans de lutte contre la radicalisation dans les quartiers). Également dans le collimateur, les infractions d’outrage sexiste, "observées dans certains quartiers dans lesquels certains prétendent ainsi dicter aux femmes la façon dont elles devraient se comporter et s’habiller", ainsi que "les discours de haine", dont l’apologie d’actes de terrorisme. Sur ce point, la circulaire fait notamment valoir qu’il "serait inconcevable que les ministres des différents cultes puissent tenir des propos, prôner des comportements ou observer eux-mêmes certaines pratiques incompatibles avec les valeurs de notre société".
… et protéger des atteintes commises en raison des religions
Mais "face à la recrudescence des atteintes portées à l’encontre de nos concitoyens en raison de la religion ou des biens affectés à la pratique religieuse", la ministre appelle dans le même temps les procureurs à la fermeté contre "tout comportement ayant pour finalité de violer la liberté de chacun à exercer son culte" et contre "tout discours haineux, discrimination ou provocation à la discrimination fondée sur l’appartenance vraie ou supposée de la victime à une religion".
La ministre les exhorte ainsi à relever "chaque fois que possible" les circonstances aggravantes prévues par les textes renforçant la répression des crimes ou délits, notamment dans les cas de dégradation d’un bien cultuel ou de violation de sépulture et d’atteinte à l’intégrité des cadavres, cette dernière infraction méritant en outre "une réponse particulièrement sévère et rapide".
De même, les magistrats sont pressés, devant "des faits ayant causé des blessures physiques ou de graves dégâts matériels troublant hautement l’ordre public", de "privilégier les poursuites par la voie de la comparution immédiate ou le défèrement des mineurs auteurs devant le juge des enfants, chaque fois que cela sera possible et nécessaire, ainsi que de veiller à présenter des réquisitions empreintes de fermeté".
Une collaboration avec les préfets "pleine et entière"
La circulaire requiert par ailleurs une nouvelle fois des procureurs "une collaboration avec les préfets […] pleine et entière". Ainsi, outre les "groupes d’évaluation départementaux", d’autres instances partenariales "telles que les CLSPD, les états-majors de sécurité, les CPRAF, les Cora ou les Codaf doivent permettre de mieux appréhender collectivement les problématiques locales liées aux dérives communautaristes". Les procureurs sont enfin priés de réserver un "traitement particulièrement attentif" aux signalements opérés par les préfets sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale.
Guide et autres mémentos contre la radicalisation
À défaut de nouvelle stratégie nationale de prévention de la délinquance, attendue depuis 2017 et qui ne figurait toujours pas au programme des textes à venir dévoilé par le Premier ministre le 15 janvier, l’administration ne manque pas de vade-mecum. Dans sa circulaire du 10 janvier 2020, la garde des Sceaux annonce ainsi la prochaine diffusion d’un "mémento consacré à la lutte contre la radicalisation destiné notamment à fournir des outils opérationnels pour les juridictions". En décembre, c’était au tour de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) de publier un "Guide de prévention de la radicalisation dans la fonction publique – Quels outils statutaires de prévention et d’action ?", élaboré avec le concours de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, de l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), de la direction générale des collectivités locales et de la direction générale de l’offre de soins. Et donc, peut-on en conclure au passage, sans celui du comité interministériel pour la prévention de la délinquance et de la radicalisation…
En préambule, ce guide rappelle les "trois critères cumulatifs de la radicalisation violente : un processus marqué par des ruptures comportementales ; l’adhésion à une idéologique extrémiste et l’adoption de la violence (risque de passage à l’acte, soutien, apologie)". Puis il détaille les obligations déontologiques du fonctionnaire (obligations de neutralité, de laïcité et d’exécuter ses fonctions, devoirs de dignité et de réserve) dont l’inobservation (refus d’être placé sous l’autorité hiérarchique d’une personne du sexe opposé, de saluer certains collègues ou usagers, d’exécuter certaines missions, etc.) peut constituer des indices d’un processus de radicalisation. Il décrit ensuite les modalités d’organisation et de sensibilisation des services à la prévention de la radicalisation ainsi que les procédures de signalement. Il présente en outre les moyens à la disposition des employeurs pour analyser et qualifier les faits… et prendre le cas échéant les décisions idoines (rejet d’un candidat, refus de sa titularisation, changement d’affectation ou d’attributions d’un agent, mutation, retrait d’agrément, d’habilitation ou d’emploi fonctionnel, suspension, révocation).