Archives

Social - La définition de la pauvreté ne fait pas consensus en Europe

L'Insee publie, dans le numéro 421 de sa revue "Economie et Statistique" (septembre 2009), les résultats d'une étude sur les perceptions de la pauvreté en Europe. Intitulée "Qu'est-ce qu'être pauvre aujourd'hui en Europe ? : l'analyse du consensus sur les privations", elle s'appuie à la fois sur l'enquête "Standards de vie" réalisée par l'Insee en 2006 et sur l'Eurobaromètre 67.1, commandité en 2007 par la Commission européenne. Cette étude s'inscrit dans le mouvement de réflexion en cours sur la mesure de la pauvreté, encore illustré très récemment par la publication du guide de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas) sur les nouveaux indicateurs pour la connaissance locale de la pauvreté (voir notre article ci-contre du 9 septembre 2009). Il est vrai que 2010 sera l'"Année européenne de lutte contre la pauvreté et l'exclusion".
S'inscrivant dans une tendance de plus en plus prégnante, l'étude de l'Insee ne se cantonne pas à la pauvreté monétaire, mais porte plutôt sur la "pauvreté en conditions de vie", autrement dit une pauvreté définie comme le fait d'être victime d'un certain nombre de privations. En pratique, l'étude cherche à comparer le classement des privations jugées plus ou moins inacceptables dans les Etats membres de l'Union européenne. Son principal enseignement réside à la fois dans une définition assez restrictive de la pauvreté et dans l'absence de consensus sur le "panier de privations inacceptables" au sein des différents pays. Côté français, sur une liste de 74 privations possibles, environ la moitié est considérée comme inacceptable par plus de 50% des Français. Mais seule une douzaine de privations font véritablement consensus en étant jugées inacceptables par plus de 80% des Français. Elles correspondent à une vision assez restrictive et traditionnelle de la pauvreté, perçue comme une situation où l'on doit se priver régulièrement d'un repas plusieurs fois par semaine, où l'on ne peut pas payer à ses enfants des vêtements à leur taille, où l'on est obligé de vivre dans un logement sans eau chaude ou humide, où l'on ne peut pas se payer ou payer à ses enfants certains soins (dentaires notamment), où l'on ne peut pas maintenir la température du logement au-dessus de 16 degrés...
Si l'on retrouve bien sûr un certain nombre de rapprochements entre les pays européens, les écarts n'en sont pas moins importants et significatifs. Par exemple, les Anglais citent dans les tout premiers rangs des privations inacceptables le fait de ne pas avoir de réseau d'amis ou de parents, dimension "sociétale" qui est peu présente dans les réponses françaises. De même, aux Pays-Bas, seuls 22 biens et services sur les 74 proposés sont jugés absolument nécessaires par plus de 50% des répondants. A l'inverse, on en compte 47 en Grèce. Les écarts sont parfois surprenants et vont à l'encontre de ce que l'on aurait pu imaginer. Ainsi, 26% des Roumains jugent absolument nécessaire de disposer d'un ordinateur alors que ce n'est le cas que de 5% des Français, des Espagnols et des Allemands de l'Ouest (l'étude distinguant les deux parties de l'Allemagne). Le seul thème sur lequel les Européens se retrouvent pour juger inacceptable le fait d'en être privé est celui de la santé. Les Européens estiment ainsi inacceptables l'absence de soins médicaux pour un enfant (81%) ou pour un adulte (77%), le fait de ne pouvoir recevoir de médicaments ou de vitamines pour un enfant (75%) ou pour un adulte (74%), ou encore le fait de ne pas pouvoir effectuer des visites médicales régulières pour un enfant (75%).
Ces fortes divergences de perception amènent les auteurs de l'étude à s'interroger sur le "poids national" dans l'appréciation de la pauvreté et, par conséquent, sur la difficulté d'utiliser la notion de pauvreté dans les comparaisons internationales.

 

Jean-Noël Escudié / PCA