La Défenseure des droits dénonce une dégradation silencieuse de l'accès aux droits
Dans son rapport annuel 2024, la Défenseure des droits, Claire Hédon, alerte sur une montée continue des réclamations liées aux services publics, particulièrement dans les domaines sociaux, du droit des étrangers ou encore de l'état civil. En filigrane, la dématérialisation et le recul de l'accueil physique contribuent à exclure les plus vulnérables.

© Ayoub BENKARROUM-REA/ Claire Hédon en mars 2024
En 2024, les réclamations relatives aux relations avec les services publics représentent 96.028 saisines, soit près de 93 % des dossiers recevables traités par l'institution du Défenseur des droits dont le rapport annuel d'activité 2024 a été présenté ce mardi 25 mars 2025. Une progression de 4% par rapport à 2023 qui illustre, selon la Défenseure des droits, une "forte demande sociale face à l'éloignement du service public".
Donner la possibilité d'interagir avec l'administration par plusieurs canaux
Le constat est particulièrement marqué en matière de droits sociaux : 17.330 réclamations ont porté sur la protection sociale et la sécurité sociale. Les problématiques les plus fréquentes concernent les pensions de vieillesse (24%), les prestations familiales (15%) et l'assurance maladie (13%). La Défenseure souligne la complexité croissante des démarches, aggravée par la numérisation des services, qui pénalise les publics précaires ou peu familiers des outils numériques. Il faut donner aux usagers "la possibilité d'interagir avec l'administration par plusieurs canaux et pas seulement via le numérique" pour garantir un accès équitable aux services publics, martèle Claire Hédon. Selon la Défenseure, le numérique "ne peut pas se substituer aux rendez-vous physiques, téléphoniques ou aux dépôts de documents papiers", juge-t-elle, évoquant les "avancées" des espaces France services - "dispositif devenu central dans la relation entre les usagers et les services publics" - tout en soulignant ses limites, notamment l'impossibilité pour les conseillers, en appui pour l'utilisation d'internet, d'avoir "accès aux dossiers CAF ou d'assurance maladie". Pour mémoire, la Cour des comptes avait évalué ce programme début septembre 2024 (voir notre article du 4 septembre 2024). Dans son rapport, la Défenseure des droits demande à ce que des représentants des services publics soient présents dans les espaces France services pour qu'ils puissent "directement" intervenir sur un dossier.
Claire Hédon souligne également l'importance de la transparence dans l'utilisation de l'intelligence artificielle dans les services publics. Une mise en garde qui avait fait l'objet d'un rapport en novembre 2024 (voir notre article du 15 novembre 2024). "L'usager a besoin de savoir à quel moment l'IA est utilisée ou non et s'il y a une intervention humaine", fait-elle valoir, tout en évoquant le "risque discriminatoire" engendré par les algorithmes.
Étrangers : des dysfonctionnements aux conséquences lourdes
La situation est encore plus critique dans le domaine des droits des étrangers, qui concentre 38.127 réclamations. Près de 76% d'entre elles concernent le renouvellement des titres de séjour, où la plateforme de l'administration numérique des étrangers en France (Anef) reste défaillante. Le rapport insiste sur les conséquences lourdes de ces dysfonctionnements : "Des personnes en situation régulière se retrouvent placées dans l'irrégularité, perdent leur emploi, uniquement à cause d'un bug informatique ou d'un formulaire inaccessible." L'institution rappelle également que plus du tiers des réclamations globales reçues en 2024 sont liées à la thématique du droit des étrangers, confirmant l'alerte lancée dès 2023.
État civil, filiation, permis de conduire
Le rapport consacre également un développement à des problématiques plus spécifiques, telles que l'accès à l'état civil ou à la filiation. Ces situations génèrent une accumulation de retards, des décisions contradictoires entre préfectures ou tribunaux, voire des refus non motivés.
Concernant les permis de conduire, les saisines continuent de refléter des irrégularités dans l'instruction des dossiers, en particulier dans le traitement des suspensions ou annulations. L'institution appelle à "une meilleure coordination entre préfectures, forces de l'ordre et autorités médicales".
Conditions de détention
Le rapport s'attarde longuement sur les droits des personnes détenues, une population particulièrement exposée à des atteintes structurelles. La Défenseure des droits constate une augmentation importante des sollicitations des personnes détenues, notamment via le numéro d'appel gratuit qu'elle a mis en place (le 3141) et les saisines des délégués.
Sur les réclamations traitées, 61% relèvent directement de leurs conditions de détention. L'institution dénonce notamment la surpopulation carcérale, les défaillances dans l'accès aux soins, mais aussi des restrictions abusives des droits à correspondre ou recevoir des visites.
Enfants : urgence à agir face à la gravité des risques que font courir les dégradations environnementales
Dans le champ des droits de l'enfant, 3.073 réclamations ont été recensées, en net recul par rapport à 2023 (-21%). Ce chiffre en baisse n'est pas nécessairement signe d'amélioration : "Le recul des saisines peut aussi refléter une difficulté d'accès aux canaux de signalement ou une faible sensibilisation aux droits des mineurs", explique le rapport.
Les principales thématiques concernent l'éducation (30%), la protection de l'enfance (18%), ainsi que les problématiques liées à la santé et au handicap (15%) pour lequel un accompagnement humain reste insuffisant du fait des "difficultés de recrutement et d'attractivité du métier des AESH" mais dont le régime de prise en charge sur le temps de la pause méridienne vient d'être modifié par un décret (voir notre article du 17 février 2025).
La Défenseure rappelle que les mineurs non accompagnés (MNA) restent particulièrement vulnérables, avec des disparités territoriales marquées dans leur prise en charge. Ils représentent 6% des saisines de l'institution relatives aux droits de l’enfant en 2024. La Défenseure des droits recommande de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour "un recueil fiable de données s'agissant du nombre de personnes se disant MNA évalué chaque année par les départements, de celles faisant l'objet d'un refus d'admission à l'aide sociale à l'enfance (ASE) par les départements et, parmi ces dernières, celles étant finalement confiées par décision judiciaire à l'ASE".
Enfin, le rapport annuel 2024 sur les droits de l'enfant met en lumière les atteintes aux droits humains les plus fondamentaux – droits à la vie, à la sécurité, à la santé, au logement, ou encore, à la dignité – et souligne "l'urgence d'agir face à la gravité des risques que font courir les dégradations environnementales" sur les enfants.
Renforcer la médiation dans les territoires
Face à cette montée des contentieux et à la complexification des procédures, la Défenseure des droits promeut la médiation comme levier de régulation efficace. En 2024, 74% des médiations engagées ont abouti à un règlement amiable, et 53.437 dossiers ont été traités selon cette modalité.
Les 620 délégués territoriaux, souvent en première ligne dans les zones rurales ou les quartiers prioritaires, permettent de réduire la fracture numérique et institutionnelle. Pour Claire Hédon, "il est indispensable de maintenir une présence physique du service public, notamment dans les territoires les plus en difficulté".
Un parcours d'obstacles pour une partie de la population
Le rapport 2024 propose plusieurs recommandations structurelles : amélioration de la lisibilité des démarches, accessibilité numérique inclusive, garantie du droit au recours, mais aussi formation renforcée des agents publics à l'accueil des publics fragiles.
Alors que les mutations technologiques et la dématérialisation des services publics se poursuivent, la Défenseure des droits insiste sur le fait qu'"un État de droit ne peut tolérer que l'accès aux droits fondamentaux devienne un parcours d'obstacles pour une partie de la population".