La Cour des comptes juge "limitée" l'ambition de modernisation de l'État depuis 2017
Dans un rapport publié fin janvier 2024, la Cour des comptes dresse un bilan des actions de modernisation de l'Etat entamées depuis 2017, au début du premier quinquennat d'Emmanuel Macron. Elle regrette que cette "transformation publique" ne questionne plus "ni le périmètre des missions de l'Etat, ni la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités locales" et que "l'objectif budgétaire initial ait été relégué au second plan".
Le programme "Action publique 2022", lancé en 2017, visait à améliorer la qualité des services publics, à moderniser l’environnement de travail des agents et à réduire les dépenses publiques. Y est-il parvenu ? La Cour des comptes, dans un rapport intitulé "La modernisation de l’État : des méthodes renouvelées, une ambition limitée", publié le 26 janvier 2024, dresse un bilan "mitigé". Elle avance des pistes pour une politique de modernisation "plus ambitieuse et moins coûteuse" pour les finances publiques.
Encore fallait-il commencer par rappeler l'historique des différentes étiquettes des actions de modernisation de l'Etat, entamées en 2017 sous le gouvernement d'Edouard Philippe. Ainsi, l'appellation "Action publique 2022" a été abandonnée au profit des "Politiques prioritaires du gouvernement" (PPG), elles-mêmes déclinées en 150 chantiers centrés sur l'accessibilité numérique et territoriale des services publics, la rénovation du pilotage et la simplification des démarches autour de "moments de vie". Ces démarches sont désormais identifiées sous le vocable de "transformation publique". Une "transformation publique" qui ne questionne plus "ni le périmètre des missions de l'Etat, ni la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités locales", regrettent les magistrats. Ils estiment que "l'objectif budgétaire initial a été relégué au second plan", alors que "la France présente pourtant une forte singularité en matière de dépenses publiques qui aurait justifié une approche plus ambitieuse".
Une mission de coordination de la CITP à renforcer
Dans les faits, la démarche actuelle de transformation est pilotée par le Comité interministériel de la transformation publique (CITP) dont les juges de la rue Cambon estiment que "la mission de coordination […] mériterait d’être renforcée, de façon à mieux coordonner les deux dynamiques qui sont actuellement à l’œuvre" ; à savoir "une approche plutôt classique de la modernisation, accompagnée d’une méthode plus innovante et territorialisée de pilotage des politiques prioritaires".
Les magistrats estiment par ailleurs qu'une réflexion devrait être menée sur la "publication d'indicateurs pertinents, permettant d'apprécier l'efficience et la qualité du service public et de comparer entre différents territoires l'action menée localement". Il s'agit là d'une initiative déjà mise en œuvre par la DITP (direction interministérielle de la transformation publique) "qui accorde une grande importance à la publication des résultats des tableaux de suivi des PPG, permettant aux usagers de pointer du doigt les écarts de performance entre départements". "Cette démarche, qui ne permet pas cependant aux usagers d’identifier précisément l'acteur responsable d'une sous-performance, devrait être poursuivie voire renforcée", encourage la Cour. Elle suggère à l'administration "de s'emparer par exemple davantage des enjeux de comparaison des coûts entre collectivités, en s'appuyant notamment sur les travaux des juridictions financières".
"Remédier de manière décisive à la fragmentation de l'action publique locale"
Le rapport s'attarde également sur "le rôle des préfets" qui traduit "la complexité de l'organisation administrative que les réformes entreprises depuis 2017 n'ont que peu abordée". Ainsi, "le positionnement du préfet comme pivot de l'action territoriale de l'État a été réaffirmé dans un rôle d'ensemblier des politiques publiques à l'échelon local" mais "ces mesures n'ont toutefois pas eu l’ambition de remédier de manière décisive à la fragmentation de l'action publique locale et d'optimiser la répartition des compétences entre Etat et collectivités territoriales", estime la Cour. "Si nombre de collectivités territoriales développent de longue date des approches qui peuvent être novatrices, certaines se sont montrées réticentes face aux initiatives de l'État", relèvent encore les Sages. "Aucune feuille de route n'a pu être établie avec les grandes associations d’élus pour fixer des principes communs ou engager des convergences techniques", regrettent encore les magistrats, estimant qu'"a contrario, les collectivités sont parfois insuffisamment associées aux projets nationaux". À titre d’exemple, ils citent le programme Service Public + qui "s'étend à la sphère de la sécurité sociale, mais ne concernait ni les hôpitaux, ni les établissements d’enseignement avant leur intégration par le CITP de 2023, ni les collectivités territoriales".
Elargir le dispositif "Dites-le-nous une fois"
Les Sages de la rue Cambon reviennent également sur le dispositif "Dites-le-nous une fois", proposé par la Direction interministérielle du numérique (Dinum), qui limite la charge déclarative des usagers en mettant en commun les données disponibles (lire encadré). "Une version ultime de ce dispositif conduirait l'État à identifier directement les bénéficiaires des aides puis les leur verser directement, sans démarche spécifique de leur part", décrit le rapport. Des solutions de ce type sont déjà en cours de déploiement, avec par exemple le versement automatique prévu à partir de 2024 des bourses des collégiens et lycéens sur la base des informations rendues disponibles par la Cnaf. Dans cette logique, la Cour suggère aussi "la création d'une interface commune à l’Éducation nationale et aux collectivités territoriales concernant les inscriptions administratives en écoles primaires, collèges et lycées".
La transformation publique souffre, selon la Cour des comptes, d'un manque de coordination entre les deux directions interministérielles à la manœuvre, la DITP (Direction interministérielle de la transformation publique) et la Dinum (Direction interministérielle du numérique). Créée en 2019, la Dinum "constitue le deuxième acteur majeur de la modernisation", écrit la Cour. Et pour cause, "parmi les outils mobilisés pour accélérer la modernisation de l'action publique, le numérique occupe une place centrale", observent les auteurs du rapport, qui estiment que "les défis restent cependant immenses". "Ils nécessitent une stratégie de développement de la culture numérique pour définir des règles claires de mutualisation des compétences entre les administrations, assurer la maîtrise par l'État des outils numériques et le doter des moyens humains et financiers adéquats", décrivent-ils. C'est l'objet de la nouvelle feuille de route de la Dinum, publiée le 9 mars 2023, "dont il faudra dans les mois à venir mesurer l'effectivité et l'efficacité de la mise en œuvre". Quoiqu'il en soit et sans attendre, la Cour recommande de renforcer "le rôle d'orchestration au sein de l’État par la Dinum". Selon elle, "elle gagnerait à dépasser le champ des projets ponctuels (startups d’État) pour initier une réelle stratégie collective du développement de la culture numérique, en répartissant clairement les projets entre les différents acteurs et en définissant des règles de mise en commun des compétences". |