Social - La Cour des comptes dresse un bilan nuancé de dix années de CNSA
Saisie en novembre 2012 par l'Assemblée nationale, la Cour des comptes publie un volumineux rapport de 180 pages - le premier depuis 2006 - sur "La mise en œuvre des missions de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA)". Balayant tous les aspects du fonctionnement de la CNSA, celui-ci porte un jugement plutôt positif sur l'action de la caisse, même si "la mise en oeuvre de ses missions reste perfectible".
Sur la gouvernance de la CNSA - qualifiée d'"originale" -, le rapport constate par exemple que "dans l'exercice de ses missions, la CNSA est en relation permanente avec deux acteurs majeurs dans son champ d'action : les agences régionales de santé (ARS) et les départements". De ce fait, ses "missions ambitieuses s'exercent dans le contexte d'une organisation décentralisée qui limite les possibilités d'action de l'établissement public national qu'est la CNSA".
Tout en comprenant le positionnement sur le conseil et la pédagogie invoqué par la caisse à l'égard de collectivités décentralisées, la Cour des comptes observe que ce positionnement "ne met pas en mesure la CNSA [...] d'assurer la plénitude de son rôle de garant de l'égalité de traitement des personnes âgées et handicapées sur l'ensemble du territoire national". Le rapport ne fait toutefois pas vraiment de propositions sur ce point, si ce n'est le renforcement du rôle du conseil scientifique de la CNSA, l'adoption de nouveaux critères de péréquation pour l'attribution des concours de la CNSA en matière d'APA - "en s'appuyant sur les travaux et simulations de la CNSA et sur la refonte du critère du potentiel fiscal" - ou encore l'extension - dans le domaine de l'APA - du rôle d'animation et d'appui méthodologique que joue la CNSA vis-à-vis de la prestation de compensation du handicap (PCH).
Des critères de répartition des créations de place à revoir
Les systèmes d'information sont un autre point faible de la CNSA, avec notamment un "manque de cohérence des applications de la CNSA, construites en silos" et dont la conception est antérieure à la création des ARS. Des progrès significatifs sont toutefois en cours avec la "lente montée en charge" du nouveau système d'information Hapi, première pierre d'un chantier d'"urbanisation" (au sens d'approche territoriale) de son système d'information.
Aujourd'hui, l'absence d'outils informatiques pertinents se fait surtout sentir dans l'évaluation des besoins collectifs. Ceci pèse notamment sur le rôle de la CNSA en matière d'adaptation de l'offre collective dans les établissements et services médicosociaux (ESMS). Si la période 2007-2012 "a été marquée par un effort très important de création de places dans les ESMS, dans le cadre de plans nationaux d'équipement" (Solidarité grand âge, Alzheimer, Handicap...), les critères utilisés par la caisse pour répartir ces moyens nouveaux entre régions sont "sommaires et peu nourris d'approche territoriale".
Sur les personnes âgées par exemple, les critères de répartition régionale des mesures nouvelles sont de 50% pour la part de la population régionale de plus de 75 ans, tandis que 50% sont "calculés à partir de l'euro par habitant (dépense effective sur le champ médicosocial CNSA, unités de soins de longue durée - USLD - et actes infirmiers de soins des infirmiers libéraux)". Dans le champ des personnes handicapées, les critères de répartition sont de 50% pour la part de la population régionale, 30% pour l'euro par habitant et 20% pour le taux d'équipement. Des critères dont la CNSA elle-même reconnaît qu'ils sont "perfectibles". Un groupe de travail devrait d'ailleurs faire des propositions opérationnelles sur ce point en 2014.
Le serpent et la réserve
Mais il faudra aussi s'attaquer à d'autres mécanismes qui freinent le rééquilibrage entre territoires, comme celui du "serpent" (mécanisme de lissage des réductions des écarts interrégionaux), jugé d'"une excessive prudence" et qui enserre les variations dans des limites de plus ou moins deux points autour de la moyenne (par exemple entre +1,9% et +5,9% pour une moyenne à +3,9%).
C'est aussi le cas - avec l'effet inverse - du mécanisme des réserves nationales, qui, de l'aveu même de la CNSA, "n'obéit à aucun cadre juridique spécifique", mais correspond "avant tout à un usage, qui a cependant été 'protocolisé' entre la CNSA et les cabinets successifs de la création de la CNSA à 2010". Depuis 2006, les décisions d'attribution sur la réserve nationale s'élèvent à 152,6 millions d'euros dans le champ du handicap (soit 3.112 places financées), et à 58,8 millions d'euros dans celui des personnes âgées (6.564 places). Après avoir examiné 57 dossiers financés par ce biais, la Cour des comptes constate que "la plupart des opérations ne sont pas conformes au principe d'équité territoriale entre les régions ou entre les départements" et qu'au contraire, "de nombreux dossiers ont eu pour effet d'accentuer les écarts d'équipement entre les territoires".
Le rapport émet également quelques observations sur les "plans d'aide à l'investissement" (PAI), financés sur les réserves de la CNSA. Ces observations ne portent pas sur le principe des PAI (120 millions d'euros en en 2012 et 2013), mais sur "le caractère irrégulier et imprévisible des montants des dotations annuelles des plans d'aide à l'investissement", qui "n'a pas facilité la gestion de ce dispositif par la CNSA et les ARS, laquelle a dû être très flexible et empirique". La Cour constate cependant que les PAI "ont permis une amélioration conséquente de l'accueil dans les ESMS pour personnes âgées et pour personnes handicapées".
Satisfecit pour l'animation du réseau des MDPH
La Cour des comptes est en revanche très positive sur le rôle de la CNSA dans l'animation du réseau des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), qui se double également d'un soutien financier qui s'est nettement renforcé (20 millions d'euros en 2006, 45 millions en 2008 et 60 millions depuis 2009). Ces actions d'animation sont "bien perçues" dans le réseau et la CNSA y bénéficie d'"une réputation de professionnalisme, de sérieux et de réactivité". Le rapport délivre notamment un satisfecit à la démarche d'harmonisation des pratiques, avec en particulier l'élaboration et la diffusion de documents d'aide à la décision et d'appui aux pratiques.
Sur les concours aux départements pour la compensation individuelle de la perte d'autonomie (PCH et APA), la Cour des comptes constate bien sûr le décrochage entre l'évolution des dépenses des départements pour ces deux prestations (multiplication par 3,5 pour l'APA entre 2002 et 2011) et l'aide apportée par la CNSA. En outre, "les règles de péréquation financière, définies par la loi et les règlements [...], conduisent à une répartition hétérogène des concours financiers et ne constituent pas un levier permettant de contribuer à l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire".
APA et PCH : des écarts entre départements difficiles à expliquer
Le rapport s'attarde aussi les disparités d'attribution des prestations selon les départements, qui ont des "causes multiples". Pour l'APA, la dépense moyenne par habitant de plus de 75 ans va ainsi de 602 euros dans les Yvelines à 1.596 euros en Corse-du-Sud, sans que l'on puisse vraiment dégager une typologie sociodémographique. La dépense est forte par exemple dans le Pas-de-Calais et l'Hérault, qui viennent juste après la Corse-du-Sud, mais faible dans le Jura ou dans la Meuse. Des écarts plus importants encore s'observent pour la PCH, avec une dépense allant de 14,58 euros par habitant de 20 à 59 ans dans la Haute-Saône à 108,35 euros en Haute-Corse.
Sans donner vraiment d'explication rationnelle, la Cour met en avant la complexité de ces prestations et la diversité des déterminants de leur niveau d'attribution. Sont également évoqués la pression sur la demande ou les écarts entre les taux d'accord. Pour tenter de limiter ces écarts, la CNSA dispose de deux moyens : la péréquation financière et l'accompagnement territorial des équipes chargées de l'instruction des prestations.
Sur le premier point, il est indispensable de mettre sur pied de nouveaux critères. Mais la Cour estime que "ce n'est qu'à partir de la refonte du critère du potentiel fiscal que la CNSA pourra à nouveau bâtir des hypothèses et effectuer des simulations pour la révision des critères de répartition de l'APA".
Sur l'accompagnement des équipes locales, le rapport souligne le contraste entre le cas de la PCH - où la CNSA joue un rôle de référent (mais qui ne semble pas avoir de grand effet sur les écarts) - et celui de l'APA. La cour entérine notamment la proposition de l'Igas en 2009 consistant à modifier la loi pour donner à la CNSA une mission d'appui méthodologique aux départements dans l'élaboration des schémas relatifs aux personnes en perte d'autonomie. En tout état de cause, il faudra améliorer la connaissance statistique des prestations et de leurs conditions d'attribution.
La sous-consommation chronique de l'OGD personnes âgées
Les départements s'intéresseront aussi à l'utilisation des réserves de la CNSA, objet de polémiques récurrentes entre l'Etat et les associations gestionnaires d'établissements sociaux et médicosociaux (notamment le "GR31" au sein du conseil d'administration de la caisse). La Cour rappelle que "la majeure partie des réserves constituées par la CNSA depuis 2005 provient des excédents réalisés sur la section I, qui retrace les crédits alloués aux établissements et services médico-sociaux" et, plus précisément, de la sous-consommation récurrente de l'objectif global de dépenses (OGD) personnes âgées. L'enjeu est de taille puisque le cumul des excédents atteint 3,27 milliards d'euros sur la période 2005-2012. Comme l'indique le rapport, "la sous-consommation de l'OGD personnes âgées a soulevé de nombreuses critiques, en particulier des représentants des établissements et des usagers, qui ont estimé que les pouvoirs publics constituaient des réserves indues".
La Cour constate les efforts accomplis par la CNSA pour corriger cette sous-consommation, notamment en appliquant les recommandations du rapport des inspections générales des affaires sociales et des finances. Mais le phénomène n'a pas pour autant disparu, même si la sous-consommation de l'OGD personnes âgées a atteint, en 2012, son niveau le plus faible, avec 189 millions d'euros.
Hold-up ou pas hold-up ?
Sur l'utilisation de ces réserves, la Cour des comptes constate qu'"au total, les réserves de la CNSA sur la période 2005-2012 ont bien été affectées à hauteur de 2.104 millions d'euros, soit 64% du total, à l'objectif fixé pour l'emploi de ses ressources". Le solde se décompose en plusieurs dépenses. Celles-ci comprennent tout d'abord le transfert de crédits de l'Ondam médicosocial (objectif national des dépenses d'assurance maladie) vers l'Ondam sanitaire (150 millions d'euros en 2009 et 100 millions en 2010). Contrairement aux associations d'établissements et à l'Assemblée des départements de France, la Cour estime que "ces restitutions de crédits, qui peuvent s'analyser comme une contribution à l'Ondam sanitaire, étaient justifiées par l'ajustement des recettes par rapport à des dépenses surévaluées".
Autre utilisation justifiée par la Cour : le financement par la CNSA d'autres dépenses d'une nature proche de la destination initiale des crédits (pour un montant au demeurant modeste de 41 millions d'euros, dont 19 millions d'aides supplémentaires au fonctionnement des MDPH). De son côté, le législateur a affecté - à travers des lois de finances rectificative de 2010 et de 2012 - 245 millions d'euros de réserves de la CNSA au financement d'un fonds de soutien exceptionnel aux départements. Au nom de la séparation des pouvoirs, le rapport ne se prononce pas sur le bien-fondé de ce transfert, mais le lien avec la destination initiale des crédits est évident, les difficultés de départements tenant au dérapage des dépenses sociales, et notamment l'APA et la PCH.
Restent 178 millions d'euros de transferts de charges de l'Etat à la CNSA. L'essentiel est constitué d'un transfert de 165 millions d'euros, en 2009, correspondant à des engagements d'aides à l'investissement au bénéfice des établissements médicosociaux que l'Etat avait pris dans le cadre des contrats de projet Etat-régions et qu'il a reporté sur la CNSA. La Cour constate que "si ces dépenses restent bien dans le champ de la CNSA, puisqu'il s'agissait d'engagements de l'Etat sur des investissements dans des établissements médicosociaux, cette opération représente un transfert de charges". Il est à noter que cette pratique n'a pas disparu, même si elle est plus discrète, puisque sont prévus en 2013 des transferts de 20 millions d'euros au titre des contrats de projet Etat-régions et de 5 millions au titre du financement d'emplois d'éducateurs sportifs dans le champ du handicap (non comptabilisés dans les calculs de la Cour des comptes, qui s'arrêtent à 2012).
Au final, ces 178 millions d'euros litigieux - même s'ils ne sont pas sans lien avec la raison d'être de la CNSA - représentent 5,5% des 3,27 milliards d'euros d'excédents cumulés sur la période 2005-2012. On est donc assez loin du "hold-up" évoqué par les représentants des établissements. D'autant plus que la Cour des comptes prend soin de préciser qu'"en tenant compte des 120 millions d'euros mobilisés en 2012 pour la constitution d'un plan d'aide à l'investissement, de la sous-consommation de l'OGD et du prélèvement de 170 millions d'euros pour le fonds d'aide aux départements, les réserves de la CNSA s'élevaient fin 2012 à 450 millions d'euros", soit 2,5 fois le montant du "hold-up".