Archives

Communication / Elus - Justifier le barrage de Sivens n'est pas de la "propagande électorale"

Le contentieux électoral des élections sénatoriales - qui relève du Conseil constitutionnel - est sensiblement moins fourni que celui des législatives ou des municipales. Une décision du 7 mai 2015 apporte des précisions. Elle concerne l'élection de Thierry Carcenac, le 28 septembre 2014, en qualité de sénateur (PS) du Tarn. Pour comprendre le sens de la décision, il est important de rappeler que l'intéressé est également président du conseil départemental du Tarn (il vient d'ailleurs d'être réélu le 2 avril dernier).

L'article L.48-2 du Code électoral ne s'applique pas aux sénateurs

En l'espèce, un grand électeur du Parti de Gauche soulevait deux moyens pour contester l'élection du sénateur du Tarn. Le premier porte sur le non-respect de l'article L.48-2 du Code électoral : "Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale." Le requérant faisait valoir l'envoi, par Thierry Carcenac, "à l'ensemble des délégués sénatoriaux d'une lettre circulaire justifiant la construction du barrage dit de Sivens, dont le projet était placé au cœur de sa campagne électorale".
Sur ce point, la réponse du Conseil constitutionnel est claire et cursive, puisque les dispositions invoquées de l'article L.48-2 "n'ont pas été rendues applicables à l'élection des sénateurs". En tout état de cause, la lettre, qui se borne à rappeler "les conditions dans lesquelles le projet de barrage a été adopté par le conseil général et ne fait que répondre aux contestations visant ce projet, ne saurait être regardée comme un abus de propagande ni comme une manœuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin".

Communiquer sur le barrage n'est pas soutenir le candidat

Le second moyen est tiré de l'article L.58-2 du Code électoral, prévoyant que "les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués". Le requérant estimait notamment que la publication, les 17 et 24 septembre 2014, dans la presse locale, de deux communiqués du département - intitulés respectivement "Pourquoi une retenue d'eau à Sivens ?" et "La retenue d'eau de Sivens, une ressource vitale pour un territoire" - aurait revêtu le caractère d'une action de propagande électorale et aurait donc été constitutive d'un concours apporté par le conseil général du Tarn.
Le Conseil constitutionnel ne suit pas l'argument et considère que "ces publications se bornaient à exposer des arguments en faveur de la construction du barrage dit de Sivens, dans les circonstances particulières liées à la contestation de ce projet, sans faire référence aux élections sénatoriales ni même mentionner le nom de M. Carcenac". Dès lors, "ces deux publications ne sauraient être regardées comme ayant un lien avec la campagne électorale et comme portant atteinte à l'égalité entre les candidats et altérant la sincérité du scrutin". Elles ne sauraient davantage être rattachées à la campagne de l'intéressé et tomber sous le coup de l'article L.52-8.
La position du Conseil constitutionnel est intéressante, dans la mesure où elle témoigne d'un interprétation très souple de l'article L.52-8. Même sans allusion à la campagne des sénatoriales ni mention du nom de Thierry Carcenac, il semble en effet difficile de croire que des grands électeurs - par définition au fait de l'actualité politique locale en raison de leur mandat municipal - pouvaient ne pas faire le rapprochement entre le contenu des communiqués et le rôle clé joué par le candidat dans le soutien au barrage. Le tout en pleine campagne des sénatoriales, puisque le second communiqué paraît à quatre jour de l'élection...

Jean-Noël Escudié / PCA

Référence : Conseil constitutionnel, décision n°2014-4905 SEN du 7 mai 2015 (Journal officiel du 10 mai 2015).