Jeunes, immigrés, célibataires, urbains… l’Observatoire des inégalités présente les visages les plus courants de la pauvreté
Dans son rapport sur la pauvreté qu’il vient de rendre public, l’Observatoire des inégalités compile les données les plus récentes sur la pauvreté, qui touchait 8% de la population de France métropolitaine en 2022 selon le seuil de 50% du revenu médian. Le rapport met notamment en avant les catégories de la population et les territoires les plus touchés, à commencer par l’outre-mer.
"La pauvreté n’explose pas. Mais elle gagne du terrain." L’Observatoire des inégalités a rendu public, ce 3 décembre 2024, son quatrième rapport sur la pauvreté en France. Réalisé avec le soutien de près de 900 contributeurs dans le cadre d’une campagne de financement participatif, ce rapport vise à "dresser un état des lieux rigoureux de la pauvreté dans notre pays", à partir des dernières données disponibles.
Dans l’Hexagone, 5,1 millions de personnes avaient moins de 1.000 euros pour vivre en 2022
L’Observatoire des inégalités utilise, quand c’est possible, le seuil de pauvreté fixé à 50% du revenu médian (1.014 euros en 2022), considérant qu’"une conception trop large de la pauvreté" peut conduire à "[relativiser] l’importance du phénomène" et également à "[nourrir] les critiques du système social français". Selon ce seuil, 5,1 millions de personnes étaient pauvres en 2022, soit 8,1% de la population en France métropolitaine. C’est 1,4 million de personnes de plus qu’en 2002, année où un point bas avait été atteint. Selon le seuil à 60% du revenu médian (soit 1.216 euros en 2022), davantage mis en avant par l’Insee, 9,1 millions de personnes étaient pauvres en 2022, ce qui représente 14,4% de la population hexagonale. Et 2,4 millions de personnes (3,7% de la population de métropole) vivaient sous le seuil de 40% du revenu médian (811 euros) en 2022.
Au moins "deux millions de pauvres échappent aux statistiques", indique l’Observatoire des inégalités. Parmi eux, environ 1,5 million de personnes pauvres en outre-mer. Mais aussi des personnes pauvres n’habitant pas en "logement ordinaire" : quelque 280.000 personnes en collectivité (maisons de retraite, prison…), 100.000 personnes en "habitation mobile" et 200.000 personnes sans domicile. S’ajoutent encore à ces 2 millions "des étudiants qui ne résident plus chez leurs parents et qui pour certains vivent avec très peu" - l’Insee ayant estimé en 2017 que 200.000 étudiants étaient pauvres.
Dans une partie consacrée aux territoires, il est rappelé que "les plus défavorisés vivent principalement dans les grandes villes" : 63% des personnes pauvres vivaient dans des pôles urbains en 2021 (dont 36% en commune centre et 27% en banlieue), 31% sont dans les couronnes périurbaines et 6% dans le "rural isolé". Les écarts de ce niveau de pauvreté entre régions ("de 11% dans les Pays de la Loire à 36% à La Réunion", mais également 53% en Guyane et 77% à Mayotte), départements (entre 9 et 36%) et communes (entre 5 et 46%) sont mis en avant.
"45% des personnes pauvres ont moins de trente ans"
L’Observatoire des inégalités fournit des repères sur les catégories les plus touchées par la pauvreté. "Près d’un tiers sont des mineurs", des enfants qui "subissent la pauvreté de leurs parents". "Si l’on y ajoute les jeunes adultes, 45% des personnes pauvres ont moins de trente ans", soulignent les auteurs du rapport. "Les personnes âgées sont nettement moins concernées, avec des taux de pauvreté qui restent inférieurs à 5%", contre 11,4% pour les mineurs et 10% pour les 18-29 ans (taux à 50% du revenu médian). Si la pauvreté des plus âgés a beaucoup baissé dans les années 1970-80, avec la hausse des retraites des femmes, les personnes âgées pauvres sont naturellement "dans une situation plus durable de pauvreté contrairement aux plus jeunes qui peuvent espérer un avenir meilleur".
Autre catégorie davantage concernée : les célibataires, "deux fois plus touchés que les couples" avec 12,8% des personnes seules de moins de 65 ans pauvres, "et même 19,2% des familles monoparentales", contre 5,6% des couples. Les personnes en situation de handicap sont aussi sur-représentées : une personne handicapée sur cinq est pauvre, selon le seuil de 60%, "contre 13% des personnes valides". Concernant les personnes immigrées, le taux de pauvreté atteint 18,8%, soit trois fois plus que celui des personnes nées en France.
Enfin, un quart des chômeurs et 22% des inactifs non retraités sont pauvres. Et 1,1 million de travailleurs sont également au-dessous du seuil de pauvreté, ce qui correspond à 4% des personnes en emploi – "une proportion qui reste assez stable depuis 20 ans".
"Notre modèle social laisse encore trop de monde sur le bord de la route"
"Comment vivent les pauvres ?", interroge l’Observatoire des inégalités dans un dossier détaillé qui porte sur les revenus, les conditions de logement, les personnes accueillies en centre d’hébergement et les personnes à la rue, les "privations de la pauvreté ordinaire" (voir notre article).
"La hausse du taux de pauvreté ne veut pas dire que les plus pauvres s’appauvrissent, mais qu’une part croissante de la population la plus modeste s’éloigne du niveau de vie des classes moyennes", souligne l’Observatoire des inégalités. Le revenu maximum des 10% plus pauvres stagne depuis 20 ans autour de 1.000 euros, atteignant 1.081 euros en 2022 après impôts et prestations sociales, mettent en avant les auteurs. À l’inverse, "la part des dépenses contraintes dans le revenu des ménages est passée de 13% au début des années 1960 à 28% en 2022" - ces dépenses représentant un tiers du revenu des 20% de ménages les plus modestes, "contre moins d’un cinquième pour les 20% les plus riches".
Pour contenir la pauvreté, "la France fait plutôt mieux que ses voisins" européens, peut-on lire dans le rapport. Mais "notre modèle social laisse encore trop de monde sur le bord de la route", estiment Louis Maurin, directeur, et Anne Brunner, directrice des études. Parmi les propositions portées par l’Observatoire des inégalités : assurer à chacun un revenu d’au moins 1.000 euros pour une personne seule, assouplir les modalités de régularisation pour permettre aux étrangers de travailler et donner davantage de "moyens", de "temps" et de "compétences" aux travailleurs sociaux.
› Pour le CNLE, le plan budgétaire et structurel à moyen terme "surestime les effets de la baisse du chômage sur la pauvreté"Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) publie ce jour un avis sur le plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT) de la France pour 2025-2029, qui a été transmis à la Commission européenne le 31 octobre dernier. "La lutte contre la pauvreté ne fait pas partie des objectifs prioritaires, et n’est évoquée que comme un effet induit de l’augmentation du taux d’emploi et de la mise en place du dispositif de solidarité à la source", déplore le CNLE. "Le PSMT surestime les effets de la baisse du chômage sur la pauvreté, et ne prend pas suffisamment en compte les conséquences sociales de la transition écologique", poursuit le CNLE, renvoyant à son rapport publié en juin 2024 intitulé "Faire de la transition écologique un levier d’inclusion sociale". S’inquiétant des effets possibles de réformes en cours sur "les conditions de vie des personnes modestes et vulnérables", le CNLE appelle à "sécuriser le versement des prestations sociales", à "mettre en place un droit à l’emploi" porté au niveau européen, à "rendre effectif le droit au logement" et, plus généralement, à améliorer "l’accès aux droits pour les plus précaires". |