Congrès des maires – Pauvreté, Ehpad : des communes en proie à "l'explosion des besoins"

"Le ciment national s’effrite", a alerté solennellement Philippe Laurent, maire de Sceaux et vice-président de l’AMF, appelant l’État à ne pas "assécher" les communes et les associations qui viennent en aide aux populations fragiles. Plusieurs maires ont témoigné de leurs difficultés à faire face à des besoins sociaux en hausse et à la "pérennisation" de certaines situations, là où l’appui du CCAS était auparavant plus ponctuel. À cela s’ajoute la situation financière catastrophique des Ehpad et autres services d’aide publics. En Bretagne, au moins 20 CCAS ont déposé pour leur Ehpad un recours contre l’État pour le sommer de leur rembourser les dépenses liées à des engagements nationaux.   

Pour les maires qui s’exprimaient ce 19 novembre 2024 au 106e Congrès de l’Association des maires de France (AMF), lors du forum consacré au travail des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (CCAS et CIAS), un cap a été franchi dans "l'explosion des besoins" et le manque de ressources pour y faire face. "Je suis élu depuis plus de 40 ans et c’est la première fois que nous nous retrouvons dans une situation sociale de ce type", a tenu à témoigner Philippe Laurent, maire de Sceaux et vice-président de l’AMF. "Quand un pays comme le nôtre n’est pas à même de permettre une existence digne à l’ensemble de ses citoyens, y compris à ceux qui ont un travail, le ciment national s’effrite", a-t-il poursuivi avec gravité. 

Sur "cette précarité qui augmente d’année en année", un tableau général a été dressé par Jean Stellittano, secrétaire national du Secours populaire français, à l’appui du dernier baromètre réalisé par l’association (voir notre article)."Avec la dématérialisation, on a mis beaucoup de Français hors course", souligne-t-il notamment, comme en écho au récent rapport du Secours catholique (voir l’encadré à notre article). 

À Mayotte, "on n’arrive pas à absorber" 

"Chaque année, on se rend compte que la pauvreté s’installe un peu plus dans nos territoires, et encore plus dans nos territoires ultramarins", confirme Luc Carvounas, maire d’Alfortville et président de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (Unccas). "Je ne connais pas un collègue qui n’a pas abondé la dotation pour son CCAS", cela pour "répondre à des publics toujours plus importants, plus de retraités, plus de jeunes, plus de salariés", indique encore celui qui est aussi vice-président de l’AMF. 

L’augmentation des besoins se traduit notamment par une "pérennisation" des demandes d’aide, y compris de la part de personnes qui ont un emploi, illustre Agnès Bourgeais, maire de Rezé. "Ces questions doivent être prises en charge globalement", estime-t-elle, citant la nécessité d’agir sur l’accès au logement, la rémunération décente du travail, les impacts de la pauvreté en termes de santé, d’alimentation et d’éducation. 

À Schoelcher (Martinique), un "plan alimentaire solidaire" vise à "s’attaquer aux causes" de la pauvreté, en partenariat avec le syndicat des agriculteurs. Des fruits et légumes sont produits localement pour constituer des paniers d’aide alimentaire – "quand on produit localement, cela revient moins cher", explique Yolène Largen-Marine, adjointe au maire de Schoelcher. Des ateliers de jardinage, sur le budget alimentaire ou sur la façon de cuisiner sont aussi organisés, dans le but de permettre aux personnes en situation de précarité de "se réapproprier la terre" et de "renouer avec une manière de s’alimenter". 

À Mayotte, alors que les crises sont multiples – crise migratoire, vie chère, insécurité, eau… -, "c’est une course contre la montre tous les jours pour venir en aide à nos populations", assure Ali Moussa Moussa Ben, maire de Bandrélé, qui décrit un quotidien de maire "très difficile". Qu’il s’agisse de scolarisation des enfants ou de santé, "on n’arrive pas à absorber", déplore-t-il. Quand la pression de l’urgence est telle, "comment construire avec tout cela ?", interroge l’élu. 

Ehpad publics en déficit : 20 CCAS attaquent l’État 

"Nous, communes, avons l’obligation d’accompagner, mais l’État a l’obligation de traiter les causes", interpelle Agnès Bourgeais.  "Nous sommes sur une question existentielle, véritablement", appuie Philippe Laurent, exhortant l’État à ne pas "assécher" les "seuls acteurs qui sont à même de garder ce lien social" - c’est-à-dire "les communes, appuyées sur les départements, leurs CCAS et les associations". 

Outre cette demande sociale qui se renforce, certaines communes, avec leur CCAS, font face à une autre problématique : la gestion d’un Ehpad en déficit. "85% des Ehpad publics sont en déficit et également 75% des services d’aide à domicile qui dépendent des collectivités", situe Marylène Millet, maire de Saint-Genis-Laval (69) et coprésidente – avec Luc Carvonas - de la commission des affaires sociales de l’AMF. "Pourquoi ? Pas parce que nous sommes de mauvais gestionnaires, mais parce que rien que pour l’année 2022, il y a eu 6% d’inflation et 1% accordé en plus aux Ehpad pour fonctionner", résume-t-elle. 

Il y a un an, des maires bretons avaient interpelé Aurore Bergé, alors ministre des Solidarités, sur la situation de leurs Ehpad (voir notre article) – une enveloppe avait été débloquée en fin d’année pour "sauver l’année 2023". "2024, c’est pire que tout", témoigne Annie Bras-Denis, maire de Plouart (Côtes-d’Armor), membre du Collectif des maires et territoires en résistance pour le grand âge. "À l’entrée de l’été, nous avons engagé des recours grâcieux à l’encontre de nos autorités tutelles, en l’occurrence l’État et les conseils départementaux", explique Annie Bras-Denis. Finalement soutenus par des départements eux-mêmes "en très grande difficulté", 20 CCAS – dont le déficit cumulé de leurs Ehpad s’élève à 9 millions d’euros - ont lancé chacun des procédures au tribunal administratif pour obtenir de l’État les financements liés aux engagements pris au niveau national – en particulier les revalorisations Ségur (environ 20% de la part Etat n’aurait pas été financé). Le collectif souhaite fédérer des maires au-delà de la Bretagne et poursuivre ses réflexions juridiques sur le devenir des Ehpad publics. Posée à sa préfète, une question de la maire de Plouart est restée en particulier sans réponse : "où est-ce que je dépose le bilan de mon CCAS si je ne peux plus avancer ?"

"Devoir attaquer l’État pour avoir gain de cause… on marche sur la tête", s’indigne Luc Carvounas. Le président de l’Unccas insiste sur la nécessité de préparer la société du bien vieillir dans toutes ces dimensions – y compris celles de l’aide à domicile et de ses emplois, du statut des aidants, de l’adaptabilité des logements. Il appelle à une "grande cause nationale" sur ce sujet… mais il n’est désormais plus question de la loi de programmation sur laquelle s’engageait Élisabeth Borne il y a un an. Et, dans les discours de politique générale de Gabriel Attal (30 janvier 2024) et de Michel Barnier (1er octobre 2024), le vieillissement de la population n’a pas été évoqué.