Ehpad : il est urgent d’agir, selon un rapport du Sénat
La majorité des Ehpad publics et privés non lucratifs sont en déficit et la situation des Ehpad privés lucratifs s’est également dégradée, alertent trois sénatrices dans un rapport rendu public cette semaine. Ces dernières appellent à "reconstruire" le modèle des Ehpad, tant au niveau du modèle de financement et de gouvernance que des moyens alloués à l’investissement.
"La situation financière des Ehpad s’est fortement dégradée depuis trois ans", alerte la commission des affaires sociales du Sénat. Dans un rapport d’information intitulé "Ehpad : un modèle à reconstruire" rendu public le 25 septembre 2024, les sénatrices Chantal Deseyne (LR, Eure-et-Loir), Solanges Nadille (RDPI, Guadeloupe) et Anne Souyris (Écologiste, Paris) brossent un tableau détaillé de la situation des quelque 7.500 établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de France. Selon des données Drees, on comptait fin 2019 environ 3.300 Ehpad publics offrant 296.000 places (58% du total des places), 2.300 Ehpad privés à but non lucratif avec 177.000 places (29%) et 1.800 Ehpad privés à but lucratif proposant 138.000 places (23%). Tous statuts confondus, "la part des Ehpad déficitaires est passée de 27% à 66%" entre 2020 et 2023.
Ehpad publics : une situation "jugée intenable par l’Association des maires de France"
La situation des établissements publics est "particulièrement alarmante", selon des données de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) citées dans le rapport : en particulier celle des Ehpad rattachés à un établissement public de santé (67% en déficit fin 2022) et des Ehpad gérés par un centre communal ou intercommunal d’action sociale (CCAS-CIAS, 66% en déficit), mais également celle des Ehpad publics autonomes (61% en déficit). Et les chiffres se sont dégradés depuis fin 2022 : 84% des Ehpad rattachés à la fonction publique hospitalière (autonomes ou rattachés à un établissement de santé) étaient en déficit en 2023 selon la Fédération hospitalière de France (FHF) et, concernant les établissements gérés par un CCAS ou un CIAS, "la situation s’est aggravée et [le déficit] concerne désormais la quasi-totalité de ces Ehpad" selon l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (Unccas). "Si les conseils municipaux continuent de voter des subventions à leur CCAS pour maintenir les Ehpad à l’équilibre, la situation est désormais jugée intenable par l’Association des maires de France (AMF)", rapportent les sénatrices.
Les Ehpad privés non lucratifs connaissent quant à eux "une situation critique sans filet de sécurité" : plus de 50% d’entre eux étaient en déficit fin 2022 selon la CNSA, un taux qui se serait élevé à 73% en 2023 selon une estimation réalisée par la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (Fehap) à partir d’une enquête. "Pour atteindre l’équilibre financier, il faudrait fermer six places par établissement, soit 13.920 places pour les seuls Ehpad associatifs en 2023", selon la Fehap. Si l’AMF "a également attiré l’attention des rapporteures sur la situation, jugée catastrophique, des Ehpad associatifs", le rapport mentionne le fait que ces derniers "ne bénéficient pas systématiquement de subventions exceptionnelles au même titre que les Ehpad communaux".
Enfin, les Ehpad privés commerciaux "bénéficient d’une liberté tarifaire leur permettant d’ajuster leurs recettes", puisque la majorité des places qu’ils proposent ne sont pas habilitées à l’aide sociale à l’hébergement (6% d’habilitation totale à l’ASH, contre 73% dans les Ehpad privés à but non lucratif et 91% dans les Ehpad publics). Les Ehpad privés lucratifs ont toutefois également vu leur situation se dégrader avec un taux de résultat net divisé par deux entre 2017 et 2023, notamment du fait de "la chute des taux d’occupation [qui] a été plus profonde" que dans les autres secteurs.
Valeur du point GIR, prix des chambres habilitées à l’ASH : des disparités départementales
"L’analyse section par section (pour 2022) montre que les déficits sont essentiellement liés aux sections hébergement et dépendance", relèvent les rapporteures. Des "divergences" dans les politiques départementales sont mises en avant, notamment au niveau de la valeur du point GIR (groupe iso-ressources, correspondant au niveau de perte d’autonomie des personnes âgées) ayant un impact important sur l’équilibre de la section dépendance. Cette valeur variait "en 2023 entre les départements de 6,60 à 9,50 euros", selon des données de la CNSA, "ces écarts [tendant] toutefois à se réduire". Des disparités importantes sont également constatées en ce qui concerne l’évolution des "prix des chambres seules habilitées à l’ASH", avec "une hausse comprise entre 0,6% et 8,5% selon les départements" entre 2022 et 2023. "La hausse a été de 3,9% en moyenne nationale, soit un taux inférieur à l’inflation annuelle", constatent les sénatrices. Les écarts peuvent refléter "des phénomènes de rattrapage", dans des départements où ces prix étaient et restent particulièrement bas, est-il expliqué.
"Hors habilitation à l’aide sociale, le prix des chambres seules a évolué de - 0,5% à 10% entre 2022 et 2023", est-il encore précisé. Ces différences sont d’abord liées aux prix de l’immobilier, mais également à la structuration de l’offre entre public, privé non lucratif et privé lucratif.
Repenser le financement et rendre les Ehpad plus attractifs
Le rapport présente une analyse détaillée des causes de la crise actuelle (impact de la pandémie de Covid-19 et du scandale Orpéa, "effet ciseaux" entre des recettes insuffisantes et des dépenses de fonctionnement tirées vers le haut par l’inflation et les revalorisations salariales) mais aussi des "limites du modèle de tarification et de financement". Les sénatrices soulignent l’intérêt de l’expérimentation d'une fusion des sections soins et dépendance, à laquelle 23 départements seraient candidats pour démarrer dès 2025. Elles appellent à aller plus loin dans cette démarche de clarification, en [intégrant] dans le périmètre des sections soins et dépendance des dépenses aujourd’hui financées par la section hébergement bien que relevant du soin et de la prévention de la perte d’autonomie".
C’est l’une des 19 propositions qui sont formulées dans le rapport. Parmi les autres qui ont trait au financement, on peut citer : la pérennisation du fonds d’urgence de 100 millions d’euros, l’établissement d’une valeur nationale de convergence du point GIR, l’instauration d’un "plancher de revalorisation du tarif hébergement opposable à l’aide sociale indexé sur l’inflation" ou encore la création d’une deuxième journée de solidarité pour financer la branche Autonomie. Pour rendre les métiers attractifs, les sénatrices recommandent de "fixer, dans une loi de programmation, une cible globale de ratio d’encadrement de 8 ETP pour 10 résidents" et d’"homogénéiser les conditions d’accès aux emplois de soignant entre les fonctions publiques hospitalière et territoriale".
D’autres propositions portent sur la nécessité de rendre les Ehpad eux-mêmes plus attractifs et, a minima, de les rénover : ouvrir des services (type antenne France services et commerces de première nécessité) au sein des Ehpad de territoires ruraux "dévitalisés", "créer une foncière nationale visant à mutualiser les moyens d’ingénierie de projets pour les Ehpad publics", "lancer un plan de rattrapage de l’offre d’Ehpad en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion", ouvrir le fonds vert aux Ehpad "habilités majoritairement à l’aide sociale pour financer les projets de rénovation".
Les sénatrices appellent enfin à "régler la question de la gouvernance des Ehpad et, plus généralement, des politiques de l’autonomie", en s’appuyant sur le futur service public départemental de l’autonomie mais sans faire l’impasse d’une "clarification des rôles respectifs des ARS [agences régionales de santé] et des départements".