Ehpad : une rallonge de 650 millions d'euros... en attendant la réforme du financement
Le gouvernement a décidé d'affecter 650 millions d'euros aux Ehpad, dont 190 millions pour les établissements publics, en réponse aux grosses difficultés financières du secteur, a fait savoir la ministre déléguée en charge des personnes âgées, Fadila Khattabi. Laquelle est par ailleurs revenue, auprès du quotidien Le Figaro, sur l'expérimentation de la fusion des sections soins et dépendance.
Quatorze réseaux du secteur du grand âge, public et associatif, avaient tiré lundi la sonnette d'alarme sur la "gravité de la situation" financière, d'une ampleur "inédite", touchant leurs établissements et les services d'autonomie à domicile (voir notre article). Parmi elles, la Fédération hospitalière de France (FHF) avait publié la semaine passée une enquête montrant que près de 85% des Ehpad publics, soit quasiment le double de 2019, avaient enregistré un déficit en 2023.
Pour parer à l'urgence, Fadila Khattabi a indiqué au quotidien Le Figaro qu'une hausse de 5% du "financement de l'État aux Ehpad publics, afin de leur apporter un ballon d'oxygène" avait été décidée. "Le montant pour les Ehpad associatifs devrait aussi augmenter de 5% à condition qu'ils trouvent un accord - en cours de négociation - sur les bas salaires. Pour le privé commercial, le soutien de l'État sera de 3%", explique-t-elle au Figaro.
Ce coup de pouce d'un montant global de 650 millions, dont 190 millions pour le public, consistant à l'affectation de lignes déjà comprises dans le budget 2024, sera acté dans une circulaire budgétaire, a-t-on confirmé au ministère.
Fadila Khattabi justifie la différence des hausses entre le public et le privé par le fait que "les 5% du public comprennent les revalorisations de salaire : point d’indice de la fonction publique, revalorisation des astreintes soir et week-end, etc." et que le privé commercial "peut moduler ses tarifs d’hébergement, ce que ne peuvent pas faire, en tout cas pas autant, le public et le privé associatif". Elle souligne en outre que 3%, c'est davantage que l'inflation qui "est à 2,5% en 2024".
Un "premier pas" à "prolonger"
Le secteur des Ehpad a salué cette annonce. Dans un communiqué mercredi, l'AD-PA (Association des directeurs au service des personnes âgées) a "salué cette prise de position très rapide de la ministre et y voit l'attention qu'elle montre pour ce secteur dont près de 80% des structures finissent un exercice 2023 en déficit". Pour autant, l'AD-PA "considère que ces hausses ne suffiront pas à répondre à l'urgence et aux enjeux de moyen terme". "Ce premier pas" nécessite "d'être prolongé par un même engagement de la part des départements" et d'être "élargi aux services à domicile", qui sont "tout aussi déficitaires et en risque de cessation d'activité", souligne l'AD-PA
De son côté, le président du Synerpa, principal syndicat des Ehpad privés, Jean-Christophe Amarantinis, a déclaré que "l'effort significatif" de l'État d'augmenter de 3% la dotation "est accueilli favorablement par le secteur même si ce taux ne compense pas entièrement l'inflation réelle subie". Cependant, il a exprimé "son incompréhension" par rapport à "l'exclusion du secteur privé commercial de certaines mesures sociales, notamment de revalorisations salariales". "Cette différenciation de traitement fragilise la capacité des acteurs privés du grand âge à accomplir leur mission", a-t-il jugé.
Interrogé par l'AFP, Olivier Richefou, vice-président de Départements de France (DF) et responsable du groupe de travail "grand âge", indique que les départements sont bien conscients de la situation financière "très compliquée" des Ehpad. Notant que DF avait appris dans la presse l'annonce de la ministre, faite sans concertation selon lui, il a souligné que chaque département était "libre" de décider d'une augmentation, ce que certains ont déjà fait.
Réforme du financement : "L’objectif n’est pas de recentraliser"
Par ailleurs, la ministre revient dans ses propos au Figaro sur la réforme du financement des Ehpad et donc l’expérimentation de la fusion des sections soins et dépendance inscrite dans la loi de financement de la sécurité sociale. Rappelons qu'il s'agira d'instaurer un "forfait global unique relatif aux soins et à l'entretien de l'autonomie", qui sera versé par l’Assurance maladie à l’établissement selon un montant fixé chaque année par l’ARS, ce qui impliquera pour le département de se désengager du financement de la part "dépendance" qu’il assumait jusque-là.
"L’objectif n’est pas de recentraliser, mais d’aider durablement les Ehpad. C’est une question d’efficacité et 80% des professionnels y sont favorables. De toute façon, les directeurs d’établissement viennent nous voir régulièrement pour des rallonges budgétaires, alors qu’ils sont en déficit sur les dépenses prises en charge par les départements", justifie Fadila Khattabi. Tout en prenant soin de souligner que "les départements ont un rôle crucial à jouer, en organisant l’aide à domicile, alors que 90% des Français souhaitent vieillir chez eux". Selon elle, la fusion "harmoniserait l’accompagnement des résidents d’un établissement à un autre".
Dix départements seraient aujourd'hui candidats à l'expérimentation, fait savoir la ministre, confirmant ainsi les pronostics que livrait à Localtis il y a un mois la directrice de la CNSA, Virginie Magnant (voir notre interview). En sachant que la date limite pour la première vague d'expérimentations a été fixée au 30 avril. Fadila Khattabi les y encourage : "Ils ont tout intérêt à le faire, car nous accompagnons vingt premiers candidats : ils pourront bénéficier d’un 'bonus' sur les fonds que nous récupérerons pour assumer ces responsabilités. On parle d’une enveloppe allant jusqu’à 10 millions d’euros."
Cela va permettre de regarder "comment on peut faire un peu d'économies", a jugé Olivier Richefou auprès de l'AFP. Par ailleurs, il est "déjà possible pour les Ehpad, quand les départements mettent en place des conventions d'aide sociale, d'instaurer des tarifs différenciés" pour les résidents en fonction de leurs ressources, a-t-il relevé. "Il n'est pas anormal que les usagers qui ont des capacités financières (...) participent à cette augmentation (des coûts) liée à l'inflation".