Investissement social : un rapport précise la doctrine française
L'investissement social à la française chercherait à combiner une approche de responsabilisation des individus et le maintien d'une "sécurité économique garantie". Un rapport publié le 12 décembre plaide pour le déploiement d'une stratégie d'investissement social tout en laissant bon nombre de questions en suspens.
Publié le 12 décembre, un rapport intitulé "L'investissement social : quelle stratégie pour la France ?" rend compte d'échanges qui ont eu lieu entre janvier 2016 et janvier 2017, à l'initiative de cinq organisations - Apprentis d’Auteuil, la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), France Stratégie et le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po Paris. Alors que le gouvernement vient de lancer la concertation en vue de l'élaboration d'une stratégie d'investissement social pour lutter contre la pauvreté des enfants et des jeunes (voir notre article du 5 décembre 2017), ce rapport est l'occasion de préciser la doctrine française relative à cette notion qui s'est peu à peu imposée dans le débat public national.
Articuler "responsabilité des personnes" et "sécurité économique garantie"
"Les fonctionnements traditionnels de l'Etat social" auraient montré leurs "limites" et seraient sous le coup d'une "triple crise : de financement, d’efficacité et de légitimité". L'investissement social viendrait dans ce contexte "apporter une nouvelle réponse aux défis sociaux du moment". Ses maîtres-mots : la prévention des risques sociaux et le renforcement des capacités des individus.
Si ces thèmes ne sont pas nouveaux, la série de rencontres a été, semble-t-il, l'occasion de clarifier la doctrine française, en référence à d'autres modèles européens. Si les Français choisissent de mettre l'accent sur l'"accompagnement", c'est ainsi pour se distinguer des logiques d'"activation de la protection sociale" plébiscitées dans d'autres pays. "Ces politiques se sont souvent traduites par une responsabilisation des pauvres et une diminution, parfois drastique, de leurs droits sociaux", peut-on lire dans le rapport. "Complémentaire du système actuel", l'investissement social tel qu'il est promu ici "repose sur le principe de l’articulation de la responsabilité des personnes avec l’accès à une sécurité économique garantie".
Encore faut-il s'entendre sur le niveau du "revenu minimum décent". Le collectif Alerte considère qu'il devrait être de 800 à 850 euros par personne et par mois, sous la forme d'une prestation unique "versée automatiquement sous la forme d’un différentiel et accessible dès 18 ans", a rappelé Louis Gallois, président de la Fédération des acteurs de la solidarité (Fnars).
Créer de nouveaux droits pour garantir l'"universalité" des politiques d'investissement social
Pour "mieux équiper et accompagner les individus dans leurs parcours de vie", le rapport fournit des pistes dans cinq domaines : la petite enfance, l'articulation de la vie familiale et de la vie professionnelle, la jeunesse, la lutte contre la pauvreté et la formation.
Prise en compte de la personne dans sa globalité et "empowerment", décloisonnement institutionnel et renforcement du partenariat entre collectivités – notamment entre la région et le département pour une appréhension croisée de la formation et de l'accompagnement social -, renforcement de l'évaluation… Nombre de ces orientations sont connues, elles ont été notamment mises en avant sous l'étendard du développement social. Le rapport fait d'ailleurs référence au récent plan d’action interministériel en faveur du travail social et du développement social (voir notre article du 22 octobre 2015) issu des états généraux du travail social, ainsi qu'au rapport de Bertrand Schwartz ayant conduit à la création des missions locales en 1982.
Les auteurs du rapport recommandent surtout de changer le curseur en "[assurant] l’universalité des politiques d’investissement social". Cela pourrait passer par la "création de nouveaux droits sociaux", tels qu'un droit opposable à l'accueil du jeune enfant. Autre orientation proposée : "réorienter les priorités en ciblant les dépenses sur les équipements plutôt que sur les aides individuelles".
"Remettre de l’ordre dans les financements" : un préalable ?
Comment une telle priorité donnée à l'investissement social se traduirait dans les dépenses publiques ? Cet enjeu est très succinctement abordé par Fabrice Lenglart, commissaire général adjoint à France Stratégie, dans un chapitre restituant des propos de la dernière séance du cycle. "Faire de l’investissement social est coûteux, du moins à court terme." Ainsi, pour Fabrice Lenglart, "toutes les options doivent être envisagées, y compris celle de laisser les individus qui en ont les possibilités investir dans leur propre capital humain ou celui de leurs enfants (santé, éducation, formation)".
Une ouverture qui contraste avec la notion de droits universels à des services et équipements de qualité et qui témoigne d'un flou, à ce stade, sur l'impact que pourrait avoir une stratégie d'investissement social - dotée de moyens conséquents - sur l'évolution de notre modèle social.
Cette considération fait d'ailleurs davantage écho aux politiques actuelles de solidarité et aux arbitrages qui s'imposent déjà aux départements. "Aujourd’hui le manque de financements conduit les collectivités à parer au plus pressé, par exemple en aidant les familles les plus en difficulté, sans plus pouvoir mener une action en direction de toutes les familles", a ainsi témoigné Mathieu Klein, président du Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle. Selon lui, "pour sauvegarder la dimension universaliste des politiques publiques que mènent les collectivités territoriales, il faut remettre de l’ordre dans les financements".