ESS - Evaluation de l'impact social : l'Avise et la SFE invitent acteurs et financeurs à la discussion
La Société française de l'évaluation et l'Avise organisaient le 30 mai à Paris une journée d'étude intitulée "Evaluation, impact social, utilité sociale – Regards croisés". L'occasion de mettre en avant des démarches d'évaluation conduites par des acteurs de l'économie sociale et solidaire très divers, mais aussi par des collectivités. Et de s'interroger sur les finalités de l'évaluation et sur les rapports entre acteurs et financeurs à l'ère de la recherche d'"impact social".
"L'évaluation, pour des structures qui ont déjà des difficultés, ne semble pas une priorité." En 2006, alors directeur d'une association de médiation sociale à Angoulême en difficulté financière, Laurent Giraud s'est pourtant lui-même lancé avec quatre autres responsables d'associations dans une vaste démarche d'évaluation et de construction d'un référentiel d'activité de la médiation. Il a ainsi convaincu sa communauté d'agglomération de pérenniser des postes qui étaient menacés. A l'issue de leur travail, les cinq directeurs ont également été sollicités par les pouvoirs publics pour créer un réseau national dédié à la médiation sociale et consolider ainsi le secteur. "D'une démarche d'évaluation faite il y a plus de dix ans, on en est à la structuration d'un cadre normatif", s'est félicité Laurent Giraud, aujourd'hui directeur du réseau France Médiation (voir notre article du 25 janvier 2017 "Une norme encadre désormais le métier de médiateur social").
L'évaluation : un investissement nécessaire ?
La notion d'impact social est aujourd'hui très en vogue et a été largement mise en avant pendant la présidence de François Hollande (voir ci-dessous nos articles sur les contrats à impact social, ou encore notre article de janvier 2017 "La fondation pour l'investissement social financera l'évaluation d'expérimentations sociales public-privé"). L'"impact social" était également abondamment cité par le programme d'Emmanuel Macron dédié à l'ESS.
Qu'apporte cette notion à la démarche d'évaluation des acteurs de l'ESS ? Pour qui et pour quels motifs ces derniers évaluent-ils leur action ? Y a-t-il une bonne méthode, des méthodes à éviter ? Ou l'enjeu réside-t-il davantage dans une appropriation collective de la démarche retenue ? Autant de questions abordées le 30 mai 2017, lors d'une journée d'étude organisée par la Société française de l'évaluation (SFE) et l'Avise (Agence d'ingénierie et de services pour entreprendre autrement).
Comme dans le cas de la médiation sociale, c'est une démarche d'évaluation qui a permis à l'Association nationale des groupements de créateurs (ANGC) de démontrer l'utilité de son dispositif d'insertion des jeunes. Financée en partie par le fonds d'expérimentation pour la jeunesse (FEJ), cette évaluation randomisée aura duré six ans et coûté 500.000 euros. Mais le jeu en vaudrait la chandelle. "L'Ile-de-France, qui avait cessé de financer le dispositif, est revenue avec ces résultats", a souligné Cécile Campy, directrice adjointe de l'ANGC.
Des évaluations moins élaborées quand elles sont destinées aux financeurs
Selon le cabinet KPMG qui présentait les résultats de son "baromètre de la mesure d'impact social", 41% des 327 structures de l'ESS répondantes auraient déjà mesuré leur impact social ces dernières années. Parmi les motivations citées pour entreprendre une telle démarche, on trouve d'abord la volonté d'améliorer l'activité, de rendre des comptes à des partenaires et de communiquer sur l'activité, puis, de façon moins prégnante, la nécessité de répondre à des contraintes réglementaires et la recherche de financements.
"Ce qui déclenche effectivement la démarche, c'est la nécessité d'accéder à des fonds", a souligné quant à elle Manon Réguer-Petit, consultante-chercheure de l’Agence Phare, s'appuyant sur une étude plus qualitative. Elle distingue les évaluations destinées aux financeurs, servant d'abord à "prouver l'efficacité de l'action menée" et souvent moins riches du point de vue des résultats, des évaluations "conduites dans le but d'améliorer l'impact social d'une structure" et utilisées avant tout "comme support de dialogue interne".
Autre point mis en avant par les deux études : la méfiance d'une partie des dirigeants de l'ESS pour les approches dites "monétisées" de l'évaluation de l'impact.
Mesurer le "bien-être soutenable" des habitants d'une métropole ou d'un quartier
Du côté des collectivités, la démarche mise en avant le 30 mai s'inscrit dans un autre cadre de référence que celui de l'impact social. Grenoble-Alpes Métropole s'est intéressée à la façon de mesurer le bien-être de ses habitants. Dans le cadre d'une recherche-action avec l'université, le projet i BEST (pour "Indicateurs de bien-être soutenable territorialisés") a permis à la collectivité d'établir un portrait relativement complexe de sa population prenant en compte huit dimensions (1) aussi diverses que le travail, la confiance dans les institutions, le rapport à la nature et les rythmes de vie.
"On essaye d'intégrer cette démarche dans l'évaluation et la construction de nos politiques publiques", a témoigné Annabelle Berthaud, chargée de mission à la Métropole. Une enquête s'appuyant sur ces indicateurs devrait être menée administrée dans les dix quartiers prioritaires de la politique de la ville. Dans la ville d'Echirolles, le suivi d'une cohorte serait en outre destiné à étudier l'évolution sur plusieurs années d'un quartier en opération de renouvellement urbain.
L'apport de la notion d'"impact social" à l'évaluation : une affaire à suivre... dans la durée
L'investissement à impact social - les contrats à impact social notamment - n'aura pas été spécifiquement abordé. La notion d'"impact social" aura été davantage présentée comme la "convention lexicale du moment" que réellement explicitée. "L'intérêt de l'approche par impact social est d'aller au-delà de l'évaluation de l'efficacité et de l'efficience et au-delà de l'enjeu d'aide à la décision", a toutefois conclu Pierre Savignat, Président de la SFE. Cette approche permettrait en particulier d'analyser les changements à l'oeuvre dans les pratiques et les institutions, dans la durée.
A noter : l'Avise, la Fonda et le Labo de l'ESS ont lancé une étude prospective sur la mesure de l'impact social. Intitulée "ESS et nouvelles formes de création de valeur", cette étude, qui se déroulera jusqu'à l'été 2018, a pour but de "fournir aux porteurs de projets à finalité sociale de nouveaux arguments pour faire reconnaître leur contribution à la transformation sociale auprès de financeurs cherchant à rationaliser leurs investissements".
(1) Ces huit dimensions : travail-emploi, affirmation de soi et engagement, démocratie et vivre-ensemble, environnement naturel, santé, accès et recours aux services publics, temps et rythme de vie, accès durable aux biens de subsistance.