Inondations : pas qu’un problème de quantité d’eau, mais aussi de qualité
Alors que le risque inondation ne cesse de grossir, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) rappelle aux maires la charge qui pèse sur leurs épaules en la matière. Elle attire en particulier l’attention sur les menaces que ce phénomène naturel fait – aussi – peser sur la qualité de la ressource, en soulignant "l’enjeu du bon fonctionnement des systèmes d’assainissement".
Nord, Pas-de-Calais, Rhône, Loire, Ardèche, Alpes-Maritimes… La liste, non exhaustive, des territoires frappés par les inondations cette année grossit comme Le Gardon en pleine pluie cévenole. Des épisodes "appelés à se répéter", prévenait encore récemment Agnès Pannier-Runacher (voir notre article du 18 octobre). D’autant que la recharge "particulièrement abondante" de certaines nappes actuellement constatée par le BRGM (voir notre article du 18 novembre) n’est pas sans inquiéter. L’occasion pour la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), via une conférence de presse tenue ce 27 novembre, de rappeler aux collectivités leurs obligations en la matière.
Inondations : un risque à la fois ancien et en devenir
Le phénomène n’est certes pas nouveau. Chiffres du ministère à l’appui, Régis Taisne, chef du département Cycle de l’eau de la FNCCR, souligne qu’historiquement le risque inondations est de loin le plus récurrent en France : 351 des 524 "événements naturels dommageables toutes gravités confondues", hors vagues de chaleur, recensés entre 1900 et 2021. 18,5 millions habitants y sont exposés, et notamment les 11,9 millions de personnes vivant dans les 124 "territoires à risque important d’inondation" (2.560 communes au total).
Mais l’expert rappelle que cet aléa est malheureusement appelé à s’étendre géographiquement et à grossir, tant en fréquence qu’en intensité. Reprenant les conclusions de l’étude Explore 2 (voir notre article du 28 juin), il met en avant "une augmentation de 20% en moyenne des précipitations, surtout dans le Nord, et de 10% en moyenne du débit des cours d’eau, en hiver". Et la sécheresse, qui sera, elle, plus marquée en été, n’arrangera rien, car "un sol sec est un facteur aggravant du ruissellement et des inondations car il n’infiltre pas ou très peu", souligne-t-il.
Des maires en première ligne
Face à ce défi, les maires sont "aux premières loges", indique Pierre Kolditz, chargé de mission gestion des collectivités – cycle de l’eau à la FNCCR. Davantage sans doute "en première ligne", tant on attend d’eux qu’ils soient acteurs plutôt que spectateurs. L’expert souligne ainsi qu’en leurs qualités de garants de la sécurité et de la salubrité publique, de gestionnaires de la voirie et des eaux pluviales urbaines ou encore d’acteurs clé en matière d’urbanisme (liste de responsabilités non exhaustive), il leur appartient de tout mettre en œuvre pour "neutraliser le risque, ou en tout cas l’encadrer". Au risque, à défaut, de poursuites judiciaires (voir, suite à la tempête Xynthia, la condamnation du maire de La-Faute-sur-Mer, décédé la semaine passée).
L’enjeu du bon fonctionnement des systèmes d’assainissement
Alors que la directive révisée sur le traitement des eaux urbaines résiduaires vient d’être définitivement validée (voir notre article du 6 novembre), la FNCCR attire en particulier l’attention sur "l’enjeu du bon fonctionnement des systèmes d’assainissement", une grande partie des eaux de pluie étant actuellement collectée dans les ouvrages et réseaux publics (la fédération organise le 3 décembre un colloque sur la gestion de ces eaux pluviales et de ruissellement). Régis Taisne vise en particulier l’objectif fixé par le texte "de limiter à 2% les volumes d’eau débordée, sans traitement, du fait des fortes pluies", tout en rappelant qu’ "un arrêté du 21 juillet 2015 [plusieurs fois modifié, la dernière fois en juillet dernier] fixe en France un objectif de 5%, mais il n’est déjà pas tenu partout". C’est une "tolérance, et non un droit", insiste-t-il, en rappelant qu’il en va "de la qualité des eaux". Un enjeu récemment mis en lumière par "deux événements marquants : le bassin de Tolbiac pour les épreuves de natation [en eau libre] des Jeux olympiques et les débordements des réseaux dans le bassin d’Arcachon l’hiver dernier", avec le risque de répercussions "sur l’ostréiculture et d’intoxications alimentaires".
Un défi de taille, au coût encore inconnu
Le défi est de taille. Sandrine Potier, conseillère technique Spanc et eaux pluviales à la FNCCR, observe que "sur les 400.000 km de réseaux existants, à peu près 100.000 sont des réseaux unitaires, qui reçoivent donc à la fois les eaux usées et les eaux pluviales". Les modifier "va être très long et très coûteux", prévient-t-elle. Combien ? Un certain coût, pour paraphraser Fernand Raynaud. "Une étude a été lancée avant l’été par l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) et l’inspection générale des finances (IGF) pour déterminer le coût de la mise en œuvre de la directive. Les résultats devaient être connus avant la fin de l’année, mais je pense que ce sera plutôt au premier trimestre prochain", indique Régis Taisne. Au passage, il s’étonne que "l’on attende que la directive soit passée pour lancer l’étude", preuve que "l’État français a négocié pendant deux ans à Bruxelles sans avoir une idée de ce que ça allait coûter". Cher, a priori. Sandrine Potier relève que "certaines collectivités se sont prêtées à l’exercice", et les calculs ne sont pas bons. Elle prend l’exemple de "Lyon, qui évalue le coût des travaux à environ un milliard d’euros".
Nage à contre-courant
"Il n’y a pas qu’une seule et unique solution possible. Ce sera un mix de solutions", tient-elle néanmoins à rassurer. L’experte évoque dans l’idéal "des solutions fondées sur la nature". Mais elle concède qu’il faudra sans doute aussi passer par "d’autres solutions un peu moins vertes, telles que des enrobés plus drainants, des chaussées réservoirs..." ou encore "des aménagements de talutage ou merlons". Revenant à la lutte contre les débordements des réseaux, Régis Taisne estime en outre qu’il ne faut "pas simplement raisonner en volume d’eau, mais en flux polluants. D’où l’intérêt de solutions du type bassins d’orage, qui vont [emmagasiner] les eaux de premier flux, celles qui ramassent la plus grande partie de la pollution". Lesquelles seront ensuite réinjectées "dans les réseaux d’assainissement, jusqu’à la station d’épuration, une fois ces derniers désaturés".
Quel que soit l’outil, l’exercice semble prendre la forme d’une nage à contre-courant : "Plus on améliore les choses, plus le dérèglement climatique avance, observe Régis Taisne. C’est une course permanente entre l’aggravation des épisodes pluvieux et [la mise en œuvre de solutions] pour essayer de les contenir".