Congrès des maires – Gestion de l’eau : un "sujet de conflit très dur"
L’abandon du transfert obligatoire des compétences eau et assainissement fut le seul motif de satisfaction au forum dédié à la gestion de l’eau organisé le 19 novembre lors du congrès des maires. Pour le reste, l’heure n’est guère aux réjouissances, entre les "difficultés pour travailler ensemble" – ou pour travailler tout court – jusqu’à la "guerre de l’eau qui menace", quand elle n’est pas déjà présente.
"Je suis assez étonné de l’œcuménisme et de la capacité à être quasiment tous d’accord. La situation n’est franchement pas facile et même si on partage tous les mêmes objectifs, si l’on travaille tous ensemble, je pense que l’on n’a pas assez relevé les difficultés qu’on a ensemble." Au beau milieu du forum du Congrès des maires consacré à la gestion de l’eau ce 19 novembre, Joël Balandraud, maire d’Évron (Mayenne) et vice-président de l’Association des maires de France (AMF), est venu quelque peu troubler le cours d’une réunion qui s’écoulait jusque-là plutôt paisiblement. Pour preuve, si l’impact de l’agriculture sur la qualité des eaux était une nouvelle fois mis en avant, les intervenants s’employaient, tel Bertrand Hauchecorne, maire de Mareau-aux-Prés (Loiret) et référent AMF sur l’eau, à "chercher des causes, pas des responsables". "Il ne faut pas pointer du doigt quiconque", suggérait-il, en relevant que "nous tous, avec les médicaments que nous prenons", avons un impact. En revanche, l’optimisme n’était déjà guère de mise au regard des défis qui grossissent : rareté grandissante de la ressource, "bataille de la pollution diffuse en passe d’être perdue", mur d’investissements, etc.
"Le manque d’eau, c’est la guerre"
Certes André Flajolet, maire de Saint-Venan (Pas-de-Calais) et président du comité de bassin Artois-Picardie, venait d’insister sur la nécessité "qu’il y ait de la sanction". Déplorant "l’insuffisance des moyens humains et matériels de l’Office français de la biodiversité (OFB)", dont il est vice-président, il prône une "police non pas plus tatillonne, mais plus présente". Peut-être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de l’élu mayennais : "On a des agriculteurs qui font des gardes à vue, on a des maires qui font des gardes à vue avec l’OFB", fulmine-t-il, dans des affaires"où un courrier et une discussion devraient [suffire à] résoudre l’affaire". "L’eau, c’est un sujet de conflit très dur", insiste-t-il. Un conflit qui va s’aiguiser avec les pénuries à venir, rappelle Dominique Peduzzi, maire de Fresse-sur-Moselle (Vosges) : "Le manque d’eau, c’est la guerre. Nous devons nous préparer à un partage sous la contrainte et sous la force publique de l’eau. Sinon, ce sera la loi du plus fort", alerte-t-il. L’incendie volontaire, ce 25 novembre, revendiqué par l’organisation "Stop Mégabassines", de plusieurs engins d’une entreprise de travaux publics vendéenne ayant le tort de construire des réserves d’irrigation en apporte, si besoin, une nouvelle illustration, dans la continuité des événements de Sainte-Soline.
Quand trop d’eau tue l’eau
"Le problème, c’est qu’en fait, on a eu trop d’eau dans l’Hexagone. Du coup, on n’a jamais réfléchi à mieux l’utiliser, à mieux la réutiliser", provoque encore Joël Balandraud, évoquant un "conflit avec le législateur". Singulièrement dans son viseur, un principe de précaution poussé à l’extrême et une surabondance de normes contre-productives. Et qui le sont d’autant plus compte tenu de leur "instabilité", souligne Dominique Peduzzi, qui pointe la difficulté de "porter des équipements pour 50, 70 ou 100 ans avec des normes qui changent tous les 15 jours". Ici comme dans nombre de forums du congrès, on a vilipendé l’inflation normative et la politique zigzag (voir notre article du 20 novembre). "Si Singapour ou Israël s’étaient posé les mêmes questions que nous, ils n’habiteraient plus là-bas", moque Joël Balandraud. Et de prendre l’exemple de la protection d’un de "ses" captages : alors que "ça coûte quelques centaines de milliers d'euros d’aller faire du PSE [paiements pour services environnementaux], d’aller discuter avec les agriculteurs, de mettre des vaches plutôt que de la culture, on m’a demandé de mettre des filtres à charbon pour le métolachlore avec une norme franco-française cinq fois plus [contraignante] qu’en Allemagne (…). Avec des coûts induits fous, mais on se dit que ce n’est pas grave, qu’il y a un cochon de payeur. Et le cochon de payeur (…), c’est l’habitant".
Le coût d’une eau qui n’a pas de prix
Sur ce point, si plusieurs intervenants ont, comme Bertrand Hauchecorne, déploré que "beaucoup de gens pensent encore que l’eau, c’est totalement gratuit", nombre d’entre eux ont, à l’image de Danielle Mametz, maire de Boeseghem (Nord), dans le même temps mis en exergue le problème croissant "de l’acceptabilité du prix de l’eau pour les citoyens". "On est sur une trajectoire d’augmentation de 50 à 100% des coûts de l’eau dans les dix prochaines années", avertit Régis Taisne, chef du département Cycle de l’eau à la FNCCR, en soulignant que la nécessaire augmentation du prix de l’eau pour y faire face doit rester "acceptable par les usagers domestiques comme les usagers industriels". "On dit 'l’industriel doit payer', [mais] cela pose une énorme difficulté si on veut réindustrialiser le pays", pointe Joël Balandraud. Il souligne plus largement "la difficulté de porter le prix de l’eau", d’autant plus grande que, désormais, "l’eau paye l’eau, mais elle paye aussi la biodiversité et le déficit", grince Régis Taisne.
Mutualisation plus obligatoire mais pour autant nécessaire
Seul motif de réjouissance, la disparition, en cours (voir notre article du 18 octobre), d’une autre source de conflits : le transfert obligatoire des compétences eau et assainissement aux intercommunalités. La fête n’est toutefois pas tout à fait complète car "ceux qui s’y sont lancés avant ne pourront manifestement pas s’en sortir", déplore Joël Balandraud. Lequel loue la clairvoyance des maires : "Les syndicats d’eau se sont souvent montés avant les communautés de communes et étaient plus grands que les communautés de communes d’il y a 30 ou 40 ans parce que les maires avaient [déterminé] que le bon périmètre, c’est celui correspondant au bon captage, au bon réseau, à la bonne densité, à la bonne distance."
Dominique Peduzzi rappelle toutefois que c’est bien "l’ineptie" d’une "découpe administrative automatique, sans aucun sens", déconnectée "des bassins géographiques" qui était remise en cause ("Vous apprenez en primaire que l'eau coule dans un bassin versant et pas dans un périmètre administratif", moquera le lendemain la ministre déléguée chargée de la ruralité, Françoise Gatel). Et non la nécessité "d’une certaine massification, facteur de progrès et de capacités d’investissement", complète Joël Balandraud. "Le transfert n’étant plus obligatoire, il faut réaffirmer cette mutualisation", recommande à son tour Alain Matheron, président de la communauté de communes du Pays Diois (Drôme). Avec là encore des écueils à éviter.
S’élever en gardant les pieds sur terre
"Ce qu’on a tous peur dès qu’on massifie (…), c’est de perdre ceux qui connaissent le terrain (…), tous les élus des petites communes qui ne sont pas élus communautaires, qui ne se déplaceraient pas pour une commission communautaire finances mais qui se déplacent pour assister au conseil d’administration de la régie des eaux", prévient Joël Balandraud. "Notre obsession, c’est surtout de ne pas restreindre le nombre de personnes concernées, compétentes et volontaires, dans la gouvernance", confirme Dominique Peduzzi. Vantant les mérites du syndicat intercommunal de distribution d’eau du Nord mis en place "dans les années 1950", Danielle Mametz enseigne à son tour l’importance de conserver "des outils au plus près de nos élus communaux", en soulignant, à l’unisson avec André Flajolet, que "quand le citoyen a un problème, c’est toujours le maire qu’il appelle".