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Administration numérique - Innovation publique : une "cité" pour donner à voir ce nouvel enjeu de l'administration

Dans le cadre de la Semaine de l'innovation, le Secrétariat général à la modernisation de l'action publique (SGMAP) présentait à Paris, du 14 au 16 novembre, sa cité de l'Innovation publique, nouvelle vitrine d'une administration en transformation. Implantée au "Centquatre", elle proposait au visiteur des stands des ateliers participatifs et de nombreuses conférences (comme celle sur sur la "modernisation de l'action publique européenne par l'innovation territoriale", voir notre article du 17 novembre) présentant "ce qui se fait de plus novateur en matière de services publics".

Services nationaux conçus pour l'usager ou l'entrepreneur "remis au centre" des dispositifs, démarches et projets de simplification massifs, méthodes "agiles", collaboratives, décloisonnées, non hiérarchiques portées par des fonctionnaires motivés, systèmes d'information interopérables, réutilisables et de plus en plus communicants, "labs" à tous les coins de rue… Il y avait de quoi être surpris par la concentration des projets en rupture avec les démarches "classiques" en parcourant la "cité" éphémère de l'innovation publique bâtie pour quelques jours par le SGMAP dans le 19e arrondissement de Paris. Bien qu'à l'avant-garde et encore largement minoritaires, tous ces projets racontent une histoire originale, confirment qu'on peut "faire autrement" et surtout à grande échelle. Lorsque Pôle emploi présente sa nouvelle plateforme collaborative - une boîte à idées ouverte aux 55.000 agents de l'institution -, que celle-ci fait remonter 1.300 idées en quelques mois puis, après analyse, en découle une centaine d'expérimentations, on peut penser qu'un vent de transformation souffle bien sur l'établissement public.
Les administrations semblent désormais plus fortement mobilisées sur leur propre modernisation. Les témoignages recueillis au cours de cette Semaine de l'innovation font émerger trois vecteurs de transformation : un usager plus exigeant, l'amélioration de la productivité qui passe par la simplification des procédures et la pression budgétaire qui pousse à la réduction des dépenses.

Des usagers de plus en plus connectés

Le phénomène le plus spectaculaire vient sans doute des nouvelles pratiques des usagers toujours plus connectés et familiarisés avec l'internet. La Cnaf (allocations familiales) donne à ce sujet des chiffres assez vertigineux en tant que structure dispensatrice d'allocations et fournisseur de services. Son site internet "caf.fr" totalise 20 millions de consultations par mois (58e site national français pour l'audience) et est consulté au moins une fois par an par 80% des allocataires. Plus impressionnant, 60% des bénéficiaires du RSA font leurs déclarations trimestrielles de ressources en ligne. "C'est même le service qui fonctionne le mieux", souligne Sabrina Hélaine Pinsard, webmestre du site. Ces publics fragiles, considérés - semble-t-il à tort - comme peu connectés, sont en réalité d'assez gros consommateurs de services sur internet. "Nos études ont confirmé que lorsque les bénéficiaires du RSA doivent arbitrer sur le choix d'un équipement internet, ils conservent le smartphone et laissent tomber l'ordinateur fixe", relève Sabrina Hélaine Pinsard. Conséquence : la Caisse nationale d'allocations familiales a lancé une base d'applications sur mobiles. Et la dernière application lancée, qui est la déclinaison de "caf.fr", a été largement plébiscité avec 1 million de téléchargements en neuf mois, "sans publicité".

Simplification : le double bénéfice

Le levier de la simplification/réduction devient aussi un puissant argument en faveur de la refonte des administrations. Le "choc de simplification" lancé par le gouvernement, dans la continuité des politiques publiques d'optimisation, vise à diviser par deux, voire même par trois, une charge pour les entreprises estimée par l'OCDE à 60 milliards d'euros pour la France. Aussi les initiatives commencent-elles à s'enchaîner.
Après le marché public simplifié dont le premier prototype a été développé en six mois, le SGMAP déploie désormais l'aide publique simplifiée (APS) construite sur le même principe de récupération des données déjà détenues par l'administration. La facturation électronique va se généraliser à partir de 2017 à partir d'un guichet unique pour toutes les entreprises et des dizaines d'autres initiatives sont en préparation.
Les collectivités territoriales sont également gagnées par cette tendance. Le conseil régional d'Aquitaine, par exemple, a présenté au cours de ces rencontres une simplification du "service fait" dans le domaine de la formation afin de remplacer les 750.000 feuilles d'émargement dépouillées chaque année dans ses services pour valider le paiement des stagiaires et des organismes de formation par un système équivalent sur tablette électronique. Le système limite les erreurs liées au traitement papier et accélère le règlement des organismes de formation et l'indemnisation des stagiaires. Par ailleurs, la région Aquitaine expérimente le programme de demande d'aide simplifiée aux entreprises sur ses 350 marchés de formation, ce qui va encore améliorer la performance du système. A terme, l'ensemble du dispositif sera entièrement dématérialisé et généralisé à toutes les aides de la région. Il devrait conduire à la suppression de 4 millions de pages, simplifier le traitement de 40.000 demandes de subvention et réduire les délais de règlement des prestations.
La généralisation progressive des services en ligne permet évidemment à l'usager d'éviter un déplacement physique. Le déploiement d'un système national d'identification et d'authentification basé sur la fédération d'identités existantes va sensiblement élargir le périmètre des téléservices. Ainsi, Pôle emploi prépare un service d'accompagnement à distance "100% web" des demandeurs d'emploi. Il inclut des entretiens en visioconférence avec un conseiller référent et un ensemble de services équivalents à ceux que le demandeur d'emploi trouve dans une agence : modules en ligne pour réaliser ou corriger son CV, présentation de nouvelles filières métiers... Pôle emploi expérimente le service dans sept régions (sur onze sites) et devrait l'étendre dans les prochaines semaines à l'ensemble des régions françaises.

Intelligence collective : un nouveau potentiel à exploiter

Le numérique a démultiplié les possibilités de travail à distance. Dans ce cadre, le "collaboratif" émerge comme nouvelle méthode de construction des projets fondée sur la coopération, la mise en commun des forces, dans un rapport d'égal à égal. Pour capter cette nouvelle énergie, si l'animation et la conduite de projet restent déterminantes, les démarches s'appuient plus fréquemment sur l'utilisation de plateformes d'échanges. Elles sont destinées à recueillir les propositions et idées puis à susciter une réflexion collective. A titre d'exemple, le SGMAP s'appuie sur la plateforme publique "Faire simple", structurée autour de trois modules : "une boîte à idées" pour permettre à tous les usagers de présenter leurs suggestions de simplification ; une fabrique de solutions orientée sur la co-construction des projets retenus ("Concevons ensemble des solutions") et un espace de résultats qui valorise les productions réalisées. L'outil peut se concevoir comme un vaste filet de pêche à idées. La production est plutôt intéressante puisque les quatre ateliers de réflexion du moment (1) ont déjà recueilli 3.800 propositions dont une partie ont été converties en projets.
Le collaboratif se structure aussi à travers la création de laboratoires d'innovations destinés à poursuivre et amplifier la réflexion collective, mais cette fois, en présentiel (ateliers, groupes de discussion, de créativité). Leur présence se développe fortement. Dans l'administration, la plupart ont été créés entre 2013 et 2104 (2) comme le laboratoire d'innovation Futurs Publics du SGMAP ou encore "Re.Acteur public", un nouvel espace commun Etat / collectivités locales destiné à inventer et diffuser "de nouvelles façons de concevoir des politiques publiques". Panorama qui peut être complété par le "lab Pôle emploi", "Paris-Région Lab" (ville et région) et le "labo M21", récemment primé et qui réunit 63 collectivités territoriales de Gironde. Les éco-systèmes diffèrent mais présentent à peu près les mêmes caractéristiques : plateforme collaborative de recueil des bonnes idées, choix de celles qui vont être étudiées et éventuellement développées, ateliers de travail, de mise en commun, incubation de certaines projets et développement du maquettage.
Mais si les projets avancent souvent rapidement, c'est aussi grâce l'emploi de méthodes "agiles", véritables accélérateurs de projets. Celles-ci induisent toutefois des changements susceptibles de perturber les équipes, comme l'a constaté Christine Abadie, DSI de la région Aquitaine qui les met en œuvre depuis quatre ans : " Passer des méthodes habituelles fondées sur le suivi d'un planning détaillé, à une dynamique de travail qui se construit et s'ajuste au fur et à mesure qu'on avance, selon des modalités itératives, introduit une dimension d'incertitude avec laquelle on n'a pas l'habitude de travailler. Mais une fois maîtrisée, la méthode permet d'envisager des projets inconcevables autrement." Le marché public simplifié (MPS) en est une illustration. Les méthodes agiles ont permis de développer en quelques mois ce qui n'avait pu être réalisé au cours des dernières années.
L'effet conjugué de ces différents leviers, outils et méthodes est transformateur. Peu à peu il s'insinue dans les projets des administrations centrales, comme dans ceux des administrations locales en "contaminant positivement" la culture d'entreprise des organisations. Un cheval de Troie qui pourrait bouleverser le paysage de l'administration à condition qu'elle se donne des moyens de maîtrise et d'appropriation nécessaires. C'est en tout cas ce qu'a révélé cette première cité de l'Innovation publique en permettant aux acteurs d'entrer en contact avec leur public. Une expérience à poursuivre et même à développer dans le même esprit d'ouverture.

Philippe Parmantier / EVS

(1) Les quatre thématiques traitées sont : "l'équipement connecté du gendarme pour un service de sécurité modernisé", "100% contacts efficaces", "la garantie publique contre les impayés de pension alimentaire", "créer son entreprise".
(2) A l'exception de la 27e région au sein de l'Association des régions de France créée en 2008. 

 

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