Implantation des datacenters : un défi pour les opérateurs et les autorités locales

Les annonces présidentielles et de la Commission européenne sur l'investissement dans les datacenters s'inscrivent dans une dynamique mondiale. Une demande décryptée par le Boston Consulting Group (BCG) dans une étude qui pointe les fortes contraintes d'installation de ces infrastructures. Avec un enjeu environnemental qui pourrait susciter des levées de bouclier locales.

La Commission européenne prévoit de mobiliser 200 milliards d'euros dans le cadre d'un plan dévoilé à l'occasion du sommet de l'IA, tandis que la France a annoncé 109 millions d'euros pour renforcer ses infrastructures de calcul (voir notre article). Ces annonces s'inscrivent dans une dynamique mondiale décryptée dans une étude du Boston Consulting Group datée de janvier 2025. Selon cette étude, les principaux acteurs du secteur s'apprêtent à investir 1,8 trillion de dollars entre 2024 et 2030. Les besoins énergétiques des datacenters devraient croître d'environ 16% par an entre 2023 et 2028, atteignant environ 130 GW d'ici 2028 – soit une croissance 33% plus rapide que sur la période 2020-2023. S'ils représentent 1 à 3% de la consommation électrique mondiale, celle-ci devrait atteindre 4 à 5% en 2030.

IA générative et souveraineté comme moteurs

Si l'intelligence artificielle générative capte aujourd'hui toute l'attention, elle ne représentera qu'environ 35% de la demande totale d'ici 2028, bien qu'elle soit responsable de 60% de la croissance des datacenters. Le BCG estime que les besoins de stockage des entreprises continueront de représenter la majorité (55%) de la demande énergétique des datacenters. Les investissements annoncés par les Européens s'inscrivent aussi dans la volonté d'être moins dépendants des États-Unis, qui concentrent 60% des équipements. Il s’agit de satisfaire le besoin en puissance de calcul pour déployer l'IA mais aussi de respecter le RGPD en gardant une totale maîtrise des données, à l'abri du Cloud Act américain. 

Tendance au gigantisme

Si le besoin d'investir est là, la localisation des datacenters n'a rien d'évident. D'autant plus que l'étude du BCG fait état d'une tendance au gigantisme. En termes de consommation énergétique, les datacenters devraient passer de 40 MW en moyenne aujourd'hui à une prévision de 60 MW en 2028, avec environ un tiers des campus dépassant les 200 MW. Cette évolution est liée aux économies d'échelle, notamment en matière d'efficacité de refroidissement, et aux exigences spécifiques de l'IA générative. C'est du reste l'existence d'une production énergétique décarbonée et à prix attractif qui pousse la France à attirer les investisseurs. "La disponibilité d'une énergie propre répondant à la fois aux normes de coût et de fiabilité incite davantage au développement dans des régions en dehors des États-Unis, particulièrement pour les acteurs cherchant à aligner leurs besoins énergétiques avec leurs objectifs de durabilité", confirme le BCG. Il faut cependant que les réseaux de distribution électrique soient correctement dimensionnés. Le rapport incite les distributeurs électriques et les opérateurs de datacenters à collaborer pour aider à la planification des installations. On a aussi là l'explication des annonces récentes d'EDF sur l'accueil de six centres de données : en installant des datacenters près des lieux de production électrique, on évite le sujet de la distribution.

Tensions sur les ressources locales

À l'énergie s'ajoutent des besoins en eau. Un datacenter de 15 MW utilisant un refroidissement par évaporation peut consommer jusqu'à 1,36 million de litres d'eau par jour, soit l'équivalent d'une ville de 30.000 à 50.000 habitants. Ces chiffres montent de 3,8 à 19 millions de litres par jour pour les datacenters les plus puissants, une fourchette large car la consommation varie en fonction du climat local et de la technologie utilisée. Les datacenters consomment enfin des terres. Un datacenter hyperscale typique (de 20 à 40 MW) occupe généralement entre 15 et 25 hectares de terrain, soit l'équivalent de 20 à 35 terrains de football. La tendance est cependant à la densification, les datacenters de dernière génération nécessitant aujourd'hui environ 40% moins d'espace qu'une installation équivalente construite il y a dix ans. 

Ces chiffres vertigineux expliquent les réticences de certains territoires – comme on l'observe à Marseille ou en Irlande – à accueillir ces équipements. Le cabinet incite les opérateurs de datacenters à collaborer avec les autorités locales pour favoriser l'acceptabilité des projets. Au-delà du verdissement des centres de données (usage de technologies moins énergivores et économes en eau, récupération de chaleur…), il suggère aux opérateurs de datacenters de contribuer à des programmes d'efficacité énergétique au bénéfice des populations locales. Il n'est pas certain que cela suffise à faire accepter ces équipements qui ont en plus un impact modeste sur l'emploi, avec à peine 50 ETP pour faire fonctionner un datacenter XXL.