Sommet IA : l'impact écologique de l'IA sur le banc des accusés
Dans le cadre du volet citoyen du sommet mondial de l'IA, une simulation de procès a permis de décrypter les enjeux environnementaux de l'IA. Sans convaincre le "tribunal pour les générations futures" de l'apport de la technologie dans la lutte contre le réchauffement climatique. La multiplication des centres de données induite par l'IA a pesé beaucoup dans ce verdict.
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© O. Devillers
C'est dans un format original que neuf institutions, parmi lesquelles l'Arcep, l'Ademe, le Conseil économique social et environnemental (Cese) et le Conseil national du numérique (CNum), ont décidé d'aborder la controverse sur l'impact climatique de l'intelligence artificielle (IA). C'est le "tribunal des générations futures", un dispositif participatif imaginé par la rédaction du magazine Usbek et Rica, qui a tranché. Malgré deux témoins sur trois plutôt favorables à l'IA – en la personne d'un chercheur de l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) et d'un représentant de la start-up tricolore Mistral –, 56% ont répondu non à la question posée : "Y a-t-il une IA pour sauver la planète ?" Ces échanges intéresseront les collectivités à l'heure où le gouvernement vient d'annoncer la création de 35 centres de données pour accélérer le développement de l'IA.
Des centres de données énergivores
Ces derniers ont justement été les premiers pointés du doigt par l'accusation. Car les IA demandent une puissance de calcul phénoménale pour leur entraînement et leur fonctionnement, avec des serveurs qui consomment des métaux rares, de l'énergie et de l'eau pour le refroidissement.
Il a été rappelé que les datacenters pèsent déjà 14% de l'empreinte carbone du numérique, selon les chiffres de l'Ademe. Mais c'est surtout la croissance exponentielle des émissions qui inquiète. Les datacenters seront en effet les premiers contributeurs au triplement de l'empreinte carbone du numérique d'ici à 2050 si rien n'est fait pour infléchir la courbe. Pour preuve, les géants de la Tech ont dû renoncer à leurs objectifs de neutralité carbone du fait de leurs investissements dans l'IA. "Google a augmenté ses émissions de 50%, Microsoft de 30% depuis 2020", a dénoncé Lou Welgryn de Data For Good. En outre, les chiffres seraient sous-évalués de 600%, selon une enquête du Guardian."+662% précisément", a pointé le procureur.
Un impact à relativiser ?
Jacques Sainte-Marie, chercheur à l'Inria, relativise ces chiffres : "Il faut comparer les 4% de contribution du numérique en termes de gaz à effets de serre aux 30% pour les transports et 20% pour l'agriculture." Charles Gorintin, cofondateur de Mistral, abonde en ce sens : "Les datacenters ne représentent que 2% de l'utilisation d'électricité dans le monde et l'IA, 4 ou 5% de ces 2%. Soit 0,02% du total à l'échelle mondiale." Et d'ajouter que les technologies s'améliorent rapidement avec des "datacenters 100 fois plus efficaces qu'en 2008, et des modèles IA 100 fois plus efficaces qu'il y a trois ans".
Les défenseurs de l'IA ont par ailleurs rappelé l'apport de l'IA dans le traitement de données massives. L'IA est ainsi déterminante pour les prévisions météo, la cartographie de la pollution plastique des océans, l'anticipation des catastrophes naturelles, l'agriculture de précision ou encore l'amélioration de la détection des maladies. Enfin, l'IA contribue à optimiser les consommations énergétiques, "à commencer par celle datacenters", a souligné le représentant de Mistral.
L'effet rebond de l'IA
Des bénéfices que n'ont pas été nié par l'accusation, mais qui cachent des usages beaucoup moins vertueux, selon la logique de "l'effet rebond" où les gains environnementaux sont effacés par l'augmentation des usages. "Un seul contrat IA de Microsoft avec ExxonMobil (1) permet à la société pétrolière de sortir 50.000 barils de pétrole supplémentaires", dénonce Lou Welgryn. Autre exemple, celui de la marque de fast fashion Shein, qui utilise l'IA pour créer ses collections et ainsi "encore accélérer les cadences" dans une activité très polluante. Jacques Sainte-Marie invite cependant à "aller un petit peu au-delà du simple constat des effets rebonds en distinguant ceux qui ont un effet positif de ceux qui ont un impact négatif", sauf à conclure "qu'il faut uniquement utiliser des choses dont personne ne se sert pour éviter toute augmentation d'usage".
Transparence et petits modèles
Face à une technologie que l'on n'arrêtera pas, les parties prenantes ont été invitées à faire des propositions. Lou Welgryn en a appelé au politique et au peuple pour que l'on puisse "choisir les outils qu'on utilise" et "développer un numérique qui place les droits humains et la justice environnementale au cœur".
Plus pragmatique, Jacques Sainte-Marie a plaidé pour plus de transparence sur les impacts environnementaux du numérique, notamment en obligeant les "Big Tech" à détailler leurs chiffres. Il a souligné que la création de l'Institut national de l'évaluation et de la sécurité de l'IA (Inesia), prévue pour fin janvier 2025, avait cet objectif (voir notre article du 3 février 2025). Il a aussi précisé que la tendance était désormais aux "petits modèles plus économes en ressources" ; le chinois DeepSeek montrant qu'il était possible d'avoir des modèles performants avec moins de ressources. Enfin, le représentant de Mistral a vanté les vertus de l'open source qui permet de ne pas multiplier les modèles d'IA et de limiter l'impact climatique lié à l'entraînement des IA.
(1) ExxonMobil est l'une des principales entreprises émettrices de gaz à effet de serre dans le secteur des hydrocarbures.
› Datacenters : la concertation locale sacrifiée ?Ce procès de l'IA montre qu'à l'évidence, l'acceptabilité de l'IA, au moins au travers du sujet des datacenters, n'est pas acquise. Au niveau local, leur implantation augure des résistances similaires à ce qu'a occasionné la 5G, comme c'est déjà le cas à Marseille (voir notre article du 19 septembre 2024). Or, le gouvernement n'a pas pris le chemin de la concertation en annonçant 35 sites "prêts à l'emploi" pour accueillir des centres de données dans les territoires. Les centres de données devraient en effet bénéficier des procédures administratives accélérées prévues par la loi sur l'industrie verte, sous réserve de faire partie de la liste des secteurs éligibles. C'est ce que prévoit le projet de simplification de la vie des entreprises, toujours en discussion, en donnant aux centres de données le statut de "projet d’intérêt national majeur". Ce statut "permet d’accélérer l’adaptation des règles d’urbanisme local (si nécessaire), de sécuriser les dérogations à la protection des espèces (si nécessaire) et de garantir un raccordement rapide au réseau électrique", détaille le dossier du comité interministériel consacré à l'IA. Le gouvernement veut aussi les exclure du champ de la commission nationale du débat public et simplifier les procédures de risques contentieux avec la suppression du double degré de juridiction. |