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Transports - Immobilisme du rail : les opérateurs attendent un signal de réveil de la part de l'Etat

A l'approche du rendez-vous du 3 juillet fixé par le gouvernement pour dévoiler sa feuille de route sur l'avenir des trains Intercités, les opérateurs, nouveaux entrants et industriels ferroviaires réunis au sein de l'Association française du rail (Afra), alertent sur l'immobilisme ambiant et la tendance aux mesurettes. Dans la foulée du rapport Duron, ils réclament un signal clair, du pragmatisme. Et un premier pas vers l'ouverture à la concurrence.

Avions low-cost, "autocars Macron", start-up devenues des géants du covoiturage… "Avec l'arrivée de nouvelles offres de services, la concurrence intermodale est exacerbée, les innovations se multiplient", a fait observer l'Association française du rail (Afra), lors d'un point presse le 11 juin. Dans cette course, le rail semble à la traîne. Sans céder au défaitisme, le rapport de la commission pilotée par le député du Calvados Philippe Duron sur l'avenir des Intercités, vient de livrer des pistes pour enrayer cette logique de dégradation de la qualité et de l'offre de service. Prudente sur la question de l'ouverture à la concurrence, cette commission, qui a consulté beaucoup de monde, a néanmoins concédé que "pour redynamiser ce service public dont l’État assume la responsabilité, et qui peine à recouvrer un modèle économique viable, l'ouverture à la concurrence constitue une véritable chance".

Une non-ouverture à la concurrence "mortifère"

Un bon point pour l'Association française du rail (Afra) et ses membres - nouveaux entrants mais pas uniquement - qui estiment que la question est désormais "quand et dans quelles conditions faut-il débuter cette ouverture" ? "En termes de contexte, l'enjeu est désormais bien posé. On sait que c'est un besoin de fond, pas qu'une contrainte européenne. C'est se défausser que de sans cesse attendre un énième paquet ferroviaire pour se lancer", insiste Albert Alday, président de l'Afra et par ailleurs directeur général de Thello, rare concurrent en France de la SNCF, positionné en Paca. Avec d'autres opérateurs, il appuie là où cela fait mal, sur un point que la réalité ne semble guère contredire, à savoir que seule, la SNCF ne pourra guère maintenir un niveau de qualité de service sur l'ensemble du réseau. Est-ce en étant entourée, concurrencée, qu'une chance serait donnée au réseau de retrouver des couleurs ? "Une fenêtre d’opportunité politique en tout cas se présente. Au gouvernement d'être plus volontariste pour ne pas rater le coche de ce mouvement de fond dans l’opinion publique en faveur de l’ouverture à la concurrence".

Vers un appel à manifestations d’intérêt ?

Sur plusieurs lignes Intercités pointées du doigt comme étant déficitaires dans le rapport Duron, l'Afra ne cache pas que des opérateurs alternatifs sont prêts à proposer des solutions. Mais à condition qu'on leur ouvre vraiment la porte : "Nous ne quémandons pas. Nous avons largement de quoi nous occuper ailleurs. Si nous restons forces de proposition, c'est que nous sommes conscients de l'enjeu". Ainsi, les opérateurs ne se contenteraient pas d'un Paris-Briançon de nuit (que le rapport Duron préconise de sauver). A force de reporter sans cesse l'ouverture à la concurrence, le risque est que cette dernière soit plus exigeante. L'approche microscopique, l'idée d'expérimenter sur un ou deux tronçons ne semble déjà guère plus la satisfaire. Elle veut des gages, pas des miettes, et des signaux clairs.
L'Afra propose en ce sens, comme le suggère également le rapport Duron, que pour les Intercités l’autorité organisatrice, à savoir l’État, lance dans un premier temps un appel à manifestations d’intérêt non engageant, étape pré-compétitive permettant de recueillir les vues des opérateurs intéressés. "Une fois leurs offres faites, disons d'ici l'automne si l'AMI était lancé cet été, il leur faudra ensuite accéder aux données de trafic, sans quoi ces offres ne pourront être consolidées", précise Albert Alday. Un sujet quelque peu tabou puisque même la commission Duron, pourtant constituée d'éminences grises, s'est presque vantée d'y avoir eu accès, comme à un trésor secret de la Nation... "Un AMI pour nous serait un signe de prise de sérieux. Nous serions très déçus si, le 3 juillet, en guide de feuille de route, le gouvernement se contente d'annoncer une simple commande de matériel", a-t-il conclu.

Morgan Boëdec / Victoires-Editions

La Fnaut vole au secours des trains
"Nos trains sont en danger : tirons le signal d'alarme !" : c'est le titre de la pétition lancée le 11 juin sur change.org par la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut). Relayée par les réseaux sociaux et les associations au niveau local, elle plaide pour la sauvegarde du transport ferroviaire que la Fnaut estime aujourd'hui menacé de toutes parts. Le vieillissement des infrastructures n'est selon elle que partiellement atténué depuis 3 ans par les investissements de régénération et il faudrait, estime-t-elle, accélérer le train de la modernisation. D'autant que toutes les branches du ferroviaire souffrent aujourd'hui : le fret, qui continue à perdre des parts de marché (-30% au cours des dix dernières années), les TGV, dont la rentabilité est mise à mal du fait notamment de la forte augmentation du prix des sillons, les dessertes Intercités, qui régressent peu à peu (-10% depuis la fin 2010) et même les TER qui commencent à marquer le pas après plusieurs années de forte croissance. Une évolution d'autant plus préoccupante que de nouvelles concurrences se font jour, alerte la Fnaut, avec le développement accéléré de l'avion à bas coût, du covoiturage, de l'autopartage et l'irruption des autocaristes sur le marché grandes lignes qui risque d'être massive une fois le projet de loi Macron adopté. A cela s'ajoute aux yeux de la Fnaut "une grande iniquité entre les modes de la part des pouvoirs publics". "Certains modes reçoivent des subventions ou des aides de l'Etat, relève Bruno Gazeau, président de la Fnaut. D'autres bénéficient de défiscalisations comme les avions ou ne sont pas fiscalisés tels les nouveaux services de covoiturage, Uber, etc. Sans compter que les coûts externes ne sont pas pris en compte. Or l'accidentologie routière, la congestion de la circulation et la pollution représentent un coût de plus de cent milliards d'euros par an." "Nous attendons de l'Etat qu'il présente un vrai projet pour le ferroviaire, avec un schéma national de services qui tienne compte de l'aménagement du territoire, poursuit Bruno Gazeau. Car sur la question de la desserte des villes moyennes, le rapport Duron nous a laissés sur notre faim". La Fnaut invite aussi les régions, en tant que futures responsables de l'intermodalité via les futurs schémas régionaux de la mobilité, à "bien identifier les zones de pertinence des différents modes et à en gérer la complémentarité". Et elle réitère sa demande d'une expérimentation de l'ouverture à la concurrence. "On ne peut pas libéraliser le transport par autocar et ne pas le faire sur le ferroviaire, souligne Bruno Gazeau. Mais il faut une concurrence régulée, sur le modèle de la délégation de service public qui a fait ses preuves pour les transports urbains."  Anne Lenormand