Hydrogène : une foison de projets territoriaux mais un besoin de soutien à l'investissement

La filière prometteuse de l'hydrogène se développe dans les territoires. Dopés par le plan hydrogène lancé en 2018 par Nicolas Hulot et l'appel à manifestation d'intérêt de l'Ademe qui en découle, Territoires d'industrie, intercommunalités et régions passent à la vitesse supérieure. Mais les acteurs de l'énergie insistent sur le besoin de soutenir davantage cette filière qui pourrait créer 12.000 emplois.

Le déploiement de la filière hydrogène se fait progressivement en France. En témoigne la place que prend le sujet dans les différents plans de relance sectoriels gouvernementaux. Ainsi du plan dédié à l'automobile doté de 8 milliards d'euros, présenté le 26 mai 2020 par le président de la République, fixant un objectif de 50% de véhicules électriques, hybrides ou à hydrogène (sans donner d'échéance). Le plan aéronautique de 15 milliards d'euros fait quant à lui le pari de l'avion à hydrogène, d'ici à 2035.

L'hydrogène, traditionnellement utilisé dans l'industrie, présente plusieurs avantages. Il peut être produit par reformage (conversion de molécules à l'aide de réactions chimiques) du gaz naturel par de la vapeur d'eau surchauffée (vaporeformage), par gazéification du charbon de bois, ou par l'électrolyse de l'eau. Cette dernière méthode ne représente aujourd'hui que 1% de l'hydrogène produit, mais dans ce cas, si l'électricité utilisée est d'origine renouvelable on parle d'hydrogène vert ou décarboné. L'hydrogène peut en outre être facilement stocké sur de longues périodes, sous forme liquide ou gazeuse, et transporté.

Des perspectives d'utilisation nombreuses

Aujourd'hui, l'hydrogène sert principalement à la fabrication d'ammoniac, pour l'industrie des engrais notamment, et au raffinage des produits pétroliers pour désulfurer les carburants, le reste étant utilisé pour d'autres productions chimiques (synthèse de matières plastiques, process de l'industrie du verre, fabrication de circuits imprimés électroniques). Sur les 60 millions de tonnes d'hydrogène produites chaque année dans le monde, 900.000 tonnes le sont en France. Il permet de stocker la production électrique renouvelable à travers la conversion de l'électricité en hydrogène par électrolyse, de produire de l'électricité via les piles à combustible. Il peut aussi servir comme carburant pour des flottes d'autobus, ou encore, combiné à du CO2, recréer du méthane, c'est-à-dire du gaz naturel. Un kilo d'hydrogène permet de produire trois fois plus d'énergie qu'un kilo d'essence. Autre avantage : une pile à combustible ne libère aucun CO2 ni particules durant son fonctionnement. Uniquement de la vapeur d'eau.

Une demande potentielle d'1,5 million de tonnes

"Il y a deux façons de voir les enjeux autour de l'hydrogène, a exposé Luc Bodineau, coordinateur du programme hydrogène de l'Ademe lors d'un webinaire organisé sur le sujet le 26 mai par l'Assemblée des communautés de France (AdCF), soit comme matière première pour l'industrie qui en consomme, l'enjeu étant alors de réduire les impacts environnementaux avec un hydrogène vert ou décarboné, soit comme source d'innovation et d'activité nouvelle pour les acteurs économiques dans le domaine de la chimie, de l'électronique, de la plasturgie, comme les piles à combustible."

Le potentiel de la filière est important. "Nous estimons la demande potentielle en hydrogène vert ou bas carbone en 2030 à plus d’1,5 million de tonnes en France", détaille Christelle Werquin, déléguée générale de l'Association française pour l'hydrogène et les piles à combustible (Afhypac), qui fédère les acteurs de l'hydrogène et des piles à combustible en France, avec plus de 50 collectivités territoriales sur 180 membres.  Une filière qui pourrait représenter quelque 12.000 emplois, d'après une étude menée par plusieurs industriels, remise à Bruno Le Maire, ministre de l'Economie, en janvier 2020.

Les territoires au cœur du déploiement

Le sujet a été pris à bras le corps par les territoires, et plus particulièrement par les Territoires d'industrie. Dopés par le plan de déploiement de l'hydrogène pour la transition énergétique, lancé en juillet 2018 par Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique et solidaire, certains d'entre eux ont investi le sujet. Leur rôle dans le développement de la filière est primordial. "Les territoires sont au cœur du déploiement de l'hydrogène, c'est à la maille territoriale qu'il faut concevoir les projets de déploiement", assure ainsi à Localtis Christelle Werquin.

Parmi les territoires les plus engagés : le Grand Dole, dans le département du Jura. Labellisé Territoire d'industrie en janvier 2019 puis signataire d'un contrat de transition écologique (CTE) en juillet 2019, le territoire travaille sur l'hydrogène depuis plus d'une dizaine d'années, profitant de la présence du site industriel d'Inovyn, qui produit annuellement 10.000 tonnes d'hydrogène décarboné issu de l'électrolyse, et de la startup Mahytec, installée sur place depuis 2008, spécialisée dans les réservoirs d'hydrogène destinés aux applications mobiles et stationnaires.
"L'idée est de valoriser cet hydrogène décarboné, et dans ce domaine, la collectivité joue le rôle d'impulsion", souligne Claire Bourgeois-République, vice-présidente en charge du développement économique au Grand Dole. Car à travers la flotte de véhicules dont elle dispose, la collectivité assure une partie de la rentabilité de la station. Une première étape essentielle avant d'imaginer le déploiement de véhicules pour les particuliers.

Une station de distribution hydrogène au Grand Dole

En 2018, le Grand Dole a aménagé sur la zone industrielle Innovia une station de distribution pour les véhicules fonctionnant à l’hydrogène. Propriété du Grand Dole, la station est exploitée par la société Colruyt, via sa filiale Dats 24, distributeur de carburant. Le site préfigure par ailleurs le développement du projet Vhyctor qui vise à réduire de manière sensible le coût de la distribution d'hydrogène et offre l'opportunité de valoriser la ressource produite sur le site d'Inovyn. Il s’agit d’un des premiers équipements dans le Grand Est, les plus proches se trouvant à Orly et Lyon. L’agglomération du Grand Dole souhaite saisir les opportunités offertes par la fusion des deux dispositifs, TI et CTE pour amplifier sa politique en faveur de la transition énergétique et l’utilisation de l’hydrogène. "L'enjeu est de multiplier le nombre d'utilisateurs de la station, densifier la demande d’hydrogène afin de tendre vers un équilibre financier", explique Claire Bourgeois-République.

Ce déploiement a été rendu possible grâce au soutien financier de la région Bourgogne-Franche-Comté mais aussi de l'Ademe, qui a lancé en janvier 2020 un appel à manifestation d'intérêt "Projets innovants d'envergure européenne ou nationale sur la conception, la production et l'usage de systèmes à hydrogène" ayant eu un fort écho au sein des territoires, avec une première relève en mars 2020 et une deuxième en juin 2020. Son objectif : identifier des projets permettant de développer les savoir-faire industriels français et développer la filière. Les projets les plus structurants pourront ensuite faire l'objet de soutien dans le cadre d'appels à projets qui devraient être lancés en 2020 ou d'un soutien au niveau européen, par exemple dans le cadre de projets importants d'intérêt européen commun ou du fonds d'innovation. Au total, 90 millions d'euros de financement public sont réservés à cet AMI.

Les projets de Dijon Métropole et de la région Sud

"Une vingtaine de projets ont déjà été retenus, et on s'aperçoit que ce sont surtout des métropoles qui en sont à l'origine car l'hydrogène est très cher et pour tendre à un équilibre financier, il faut beaucoup en distribuer", insiste Claire Bourgeois-République.

Dijon Métropole soutient le développement d'ici à l'été 2021 d'un site de production d'hydrogène par électrolyse, doté d'une capacité de 500 kilos d'hydrogène par jour. L'essentiel de l'électricité nécessaire à la production proviendra d'un incinérateur de déchets ménagers. La station permettra d'alimenter à partir de 2022 la future flotte de véhicules à hydrogène de la métropole, composée de bennes à ordures, de véhicules utilitaires légers et à terme de bus à hydrogène. Coût du projet : 6,5 millions d'euros. Publique, la station sera aussi ouverte aux entreprises et aux particuliers. Et la métropole prévoit déjà le déploiement d'une seconde unité d'avitaillement.

De son côté, la région Sud souhaite des stations hydrogène à travers un appel à projets baptisé "Zéro émission route", qui doit accompagner le développement des véhicules électriques et des infrastructures hydrogène. A noter : la région ne financera que les projets distribuant de l'hydrogène renouvelable ou décarboné. Les stations devront par ailleurs être correctement dimensionnées. La région évoque ainsi une capacité de distribution minimale de 100 kilos par jour et une possibilité d’évolution de l’installation. Le porteur de projet devra aussi être en mesure de présenter une rentabilité économique à dix ans. En matière de financement, la région Sud annonce un plafond de subvention fixé à 250.000 euros par station et jusqu’à un million d’euros si la production d’énergie est intégrée au projet.

Cette multitude de projets territoriaux enclenche une dynamique. Mais ils devront être relayés à un niveau plus large, interrégional voire national, pour obtenir le bon effet de volume. "L'enjeu maintenant est d'articuler l'argent public européen, national et régional. Nous demandons notamment un soutien pour le déploiement et la production d'un hydrogène bas carbone qui coûte plus cher, indique Christelle Werquin, si l'Etat peut compenser le coût, les industriels le consommant vont y aller et, avec la massification, l'hydrogène vert ou bas carbone deviendra compétitif d'ici dix ans." Ce sera probablement l'objet des futurs appels à projets lancés par l'Ademe. Pour appuyer la demande, l'association compte aussi s'adresser directement au Premier ministre, avec une dizaine de dirigeants d'entreprises, pour mettre en avant le besoin de soutien. Le tout construit autour d’un plan national cohérent et ambitieux, sachant que la France n'est pas seule en lice. L'Allemagne vient d'annoncer son ambition de devenir "le fournisseur et producteur numéro 1" d'hydrogène dans le monde, avec un investissement total de 9 milliards d'euros, pris essentiellement sur les 130 milliards d'euros de son plan de relance. Très au-dessus des sommes engagées par le plan de Nicolas Hulot et l'Ademe.

 

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