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Les régions aéronautiques : comme un avion sans ailes

Chômage partiel de longue durée, nouveau fonds d’investissement aéronautique, développement de "l’avion vert" à hydrogène : le plan de soutien à la filière présenté par le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, se monte à 15 milliards d’euros, dont 7 déjà fléchés vers Air France. Un plan toutefois jugé "sous-dimensionné" par la présidente de la région Occitanie, l’une des principales régions impactées par la chute des cadences de production. En Nouvelle-Aquitaine, où l'on s"inquiète tout particulièrement de la situation des sous-traitants, un fonds de relance est à l'étude.

Après le plan de relance du tourisme de 18 milliards d’euros, celui sur l’automobile à 8 milliards d’euros, le gouvernement se porte au chevet de la filière aéronautique, elle aussi très durement touchée par la crise et la mise à l’arrêt du trafic aérien depuis plusieurs mois. Ce nouveau plan de soutien se chiffre à 15 milliards d’euros, en y incluant l’aide de 7 milliards d’euros en prêts déjà promise à Air France.

L’enjeu : "éviter tout décrochage" vis-à-vis de Boeing ou du géant chinois Comac, a déclaré le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, en présentant son plan, le 9 juin, alors que la filière représente quelque 300.000 emplois directs et indirects et une balance commerciale positive de 34 milliards d'euros.

Un secteur éminemment stratégique pour la France. Trois régions sont en première ligne : l’Occitanie et l’Ile-de-France – les deux plus grandes régions aéronautiques d’Europe - et la Nouvelle-Aquitaine. Mais l’économie de nombreuses autres régions n’est pas épargnée, à l’image de Paca (avec Airbus Helicopters à Marignane), dont la filière aérospatiale compte 200 entreprises et 25.000 emplois locaux.

40% de l'emploi industriel en Occitanie

En Occitanie - siège d’Airbus et d’ATR à Toulouse -, l’aéronautique "représente environ 90.000 emplois, soit près de 40% de l’emploi industriel de cette région", indique Bercy. "La crise du secteur aéronautique a été brutale. Et la reprise sera lente. Le trafic aérien ne devrait pas revenir à son niveau de décembre 2019 avant deux ou trois ans", a prévenu Bruno Le Maire.

L’effondrement de l’activité d’Airbus, qui a dû réduire de 30 à 40% ses cadences de production, aura des effets en cascade sur toute la chaîne de sous-traitance et "sur des territoires entiers qui pourraient être appauvris par des faillites parmi les 1.300 entreprises industrielles qui composent le tissu aéronautique français", a développé le ministre, s’inquiétant également de l’impact sur le savoir-faire, avec 35.000 ingénieurs "aux compétences rares" actuellement employés.

Jusqu’ici le recours massif au chômage partiel et les prêts garantis par l’Etat ont permis d’amortir le choc. Pour combien de temps ? Un premier plan social a été annoncé par le sous-traitant d’Airbus Derichebourg, à Blagnac. Finalement, pour éviter les licenciements, un accord de performance collective est à l’étude.

Chômage partiel de longue durée

Aussi, s’inspirant des propositions de la filière, le plan accorde une large place à la sauvegarde des emplois. Le gouvernement table sur une activité partielle de longue durée, co-financée par l’Etat, dont les détails restent à préciser. La présidente de la région Occitanie Carole Delga juge la mesure "trop floue". "L'urgence est pourtant de mettre en place un régime spécifique de chômage partiel de longue durée à la filière aéronautique, pour les 18 à 24 mois à venir (à préciser), comme c'est en discussion en Allemagne, que les régions pourraient abonder par le biais de la formation", propose-t-elle, dans un communiqué, se disant prête à engager les discussions avec les partenaires sociaux. Et de ramener au nerf de la guerre. "Comme [le gouvernement] l'a fait pour les communes et les départements, les régions attendent des dotations budgétaires exceptionnelles afin de pouvoir financer des formations supplémentaires."

Le plan repose sur deux autres volets : la transformation des PME et ETI et l’accélération de la "décarbonation" de l’aviation, avec la promesse de "l’avion vert" ou à hydrogène d'ici à 2035.

Il prévoit ainsi la création d’un fonds d’investissement dans l’aéronautique d’un milliard d’euros (dont 500 millions dès juillet) pour intervenir en fonds propres et favoriser le développement et les consolidations des PME et ETI de la filière. Ce fonds sera alimenté par l’Etat (via bpifrance) et les grands donneurs d’ordre (Airbus, Safran, Dassault-Aviation et Thales).

Par ailleurs un fonds d'accompagnement de 300 millions d’euros en subventions sur trois ans viendra soutenir les sous-traitants pour les aider à monter en gamme. Il investira dans la numérisation, la robotisation et la diversification des entreprises.

 1,5 milliard d’euros sur "l’avion vert"

Le troisième volet donc consiste à produire en France les appareils de demain. 1,5 milliard d’euros d’aides publiques seront programmés sur les trois prochaines années pour la R&D dans "les futurs avions décarbonés". 300 millions seront investis dès 2020 de manière à amorcer les travaux préparatoires aux projets Hyperion (avion à propulsion à hydrogène), Compaq et Eprotech (hybridation électrique) ou Helybrid (hélicoptère hybride).

Le gouvernement n’oublie pas la commande publique (militaire, sécurité civile et gendarmerie), avec un montant de 832 millions d’euros de commandes anticipées. Le plan repose sur des contreparties de la filière en termes de transition écologique et de localisation. Même si sur ce point, il reste prudent et se contente d’ "engager une réflexion sur le rapatriement de productions ou de savoir-faire technologiques stratégiques pour la filière française et européenne". Ou encore de "considérer de manière favorable l’offre de fournisseurs produisant en France et en Europe si celle-ci est de compétitivité équivalente à une offre localisée hors France et d’Europe en coûts totaux".

Ces mesures ont été diversement accueillies par les présidents des régions concernées. "C’est une excellente nouvelle que l’accélération de la décarbonation soit rappelée comme le fil rouge de la relance, y compris sur le volet aéronautique, a réagi Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, et de l’association Régions de France, sachant que les compagnies aériennes se sont engagées à diviser par deux leurs émissions de CO2 d’ici à 2050. "Après cette crise mondiale, l’Etat et les régions sont plus que jamais aux côtés des Français et de toute l’économie. Personne ne sera laissé au bord du chemin."

Un plan "sous-dimensionné" pour Carole Delga

Mais il n’y a pas que sur les compétences que Carole Delga se montre réservée. Elle demande à ce que le plan soit "étoffé" car il "n'est pas suffisamment dimensionné, financièrement et par rapport aux enjeux de la filière", souligne-t-elle, rappelant que 7 milliards d’euros sur les 15 sont déjà fléchés sur Air France. De même estime-t-elle le fonds d’investissement sous-dimensionné, alors que 500 millions seront provisionnés en juillet sur le milliard demandé par la filière et les élus. La présidente de la région Occitanie rappelle également que "l'avenir de la filière se jouera au niveau européen, et impliquera comme toujours en la matière des négociations fines d'équilibrage franco-allemand qui ne peuvent se tenir qu'entre chefs de l'Etat". Carole Delga fait partie des 38 élus de la région toulousaine qui ont écrit le 1er juin au président d’Airbus Guillaume Faury pour lui demander d’installer la chaîne de l’A321 dans l’ancienne usine de l’A380 dont les livraisons cesseront en 2021… De son côté Toulouse métropole a annoncé, mardi, vouloir abonder le fonds d’investissement aéronautique de 10 millions d’euros dans le cadre de son plan de relance.

Chaîne de solidarité avec la sous-traitance

En Nouvelle-Aquitaine, où l’aérospatial et la défense représentent entre 60 et 70.000 emplois directs (et trois fois plus d’emplois indirects), on est très attentif à la "supply chain". "Notre préoccupation est que ce plan ne ruisselle pas sur la filière de sous-traitance", indique à Localtis Bernard Uthurry, vice-président de la région. Le conseil régional entend conduire un "audit microchirurgical" de ces sous-traitants pour faire du "cousu-main". Un "dialogue de vérité" avec les quatre majors (Airbus, Safran, Dassault et Thales), les fédérations professionnelles comme l’UIMM et le Club ETI, pour mettre en route "une "chaîne de solidarité". La région réfléchit aussi à un fonds de relance spécifique public et privé, qui pourrait être abondé par l’Etat, avec des tickets d’une vingtaine de millions d’euros, "dans un esprit non glouton mais patient". "Les sous-traitants appréhendent le retour à la vraie vie. Il faut miser sur le développement, la relance plutôt que sur un traitement palliatif", insiste Bernard Uthurry.

 

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