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Handicap : le gouvernement reste opposé à l'individualisation de l'AAH, mais est prêt à une mission de simplification

Auditionnée par la commission des affaires sociales du Sénat en vue de l'examen de la proposition de loi prévoyant notamment que les revenus du conjoint ne soient plus pris en compte dans le calcul de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), la secrétaire d'Etat Sophie Cluzel s'est vigoureusement opposée à une telle individualisation. Elle a toutefois reconnu qu'il sera "nécessaire d'améliorer les modalités de cumul des allocations avec les revenus d'activité de la personne et du couple, pour favoriser l'autonomie de chacun".

Le 9 mars prochain, le Sénat doit examiner à son tour, en première lecture, la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale, déposée par Jeanine Dubié, députée des Hautes-Pyrénées, et les membres du groupe Liberté et Territoires (qui a officiellement rejoint l'opposition le 30 juillet dernier). A la surprise générale, ce texte a été adopté par l'Assemblée nationale le 13 février 2020, contre l'avis du gouvernement et du groupe LREM – pourtant majoritaire -, qui se sont tous deux laissés déborder (voir notre article du 17 février 2020). 

Une demande de longue date des associations

Le texte adopté par l'Assemblée et qui doit désormais être examiné par le Sénat comprend deux mesures principales. La première ne pose pas de problème particulier et concerne la prestation de compensation du handicap (PCH). Elle repousse de 60 à 65 ans la première limite d'âge avant laquelle le handicap doit être survenu pour ouvrir droit à la prestation. Elle ne modifie pas en revanche la seconde barrière d'âge, qui fixe à 75 ans l'âge limite pour demander la PCH si le handicap est survenu avant 65 ans.
En revanche, la seconde mesure de la proposition de loi est beaucoup plus lourde de conséquences, puisqu'elle prévoit d'individualiser l'ouverture du droit et le calcul de l'AAH (allocation aux adultes handicapés). Aujourd'hui en effet, les revenus du conjoint sont pris en compte dans le calcul de l'AAH, ainsi que dans son plafonnement. Une seconde mesure – répondant au même principe – consiste en la suppression de la majoration du plafond de cumul de l'AAH et de la rémunération garantie en Esat (établissement et service d'aide par le travail) lorsque le bénéficiaire est en couple. S'agissant d'une proposition de loi, l'individualisation de l'AAH n'a pas fait l'objet d'une étude d'impact, mais ce dernier pourrait être conséquent, dans la mesure où environ un quart des allocataires vit avec un conjoint.
La mesure est réclamée depuis plusieurs années par les associations de personnes handicapées et a déjà fait l'objet de plusieurs tentatives d'amendements, sans succès jusqu'au vote de la proposition de loi le 13 février 2020.

Une remise en cause du fondement même des allocations sous conditions de ressources

Il ne fait guère de doute que les sénateurs, qui ont déjà pris position à plusieurs reprises en faveur d'une telle mesure, vont adopter la proposition de loi à une large majorité. Une pétition intitulée "Désolidarisation des revenus du conjoint pour le paiement de l'allocation aux adultes handicapés" est d'ailleurs en ligne sur le site e-pétitions du Sénat. A ce jour, elle a déjà recueilli 107.398 signatures, soit plus que le seuil de 100.000 signatures exigé pour que la pétition soit soumise à la conférence des présidents. Signe de la puissance des associations du secteur du handicap : sur les 46 pétitions actuellement en ligne sur le site e-pétitions, c'est la seule à avoir atteint la barre des 100.000 signatures, les autres comptant seulement quelques centaines de pétitionnaires. Le sujet a toutefois mobilisé l'opinion bien au-delà du cercle de ces associations.
Pour préparer l'examen de la proposition de loi en commission des affaires sociales, cette dernière a auditionné Sophie Cluzel le 18 février 2021. Lors de cet échange, la secrétaire d'État chargée des personnes handicapées s'est vigoureusement opposée à une individualisation de l'AAH. Elle a fait valoir que "les allocations font partie de notre contrat social, fondé sur l'équité des charges entre les foyers. L'AAH est une allocation bâtie sur le droit commun, qui répond à ces principes". Par conséquent, "en supprimant la notion de plafond et le principe même d'allocation, la proposition de loi fait sortir les 1,2 million de bénéficiaires de l'AAH du droit commun auquel les personnes en situation de handicap aspirent pourtant fortement. En adoptant cette proposition de loi, nous les exclurions de cette notion de partage des ressources et des charges dans un foyer. En individualisant une allocation sans condition de ressources, ce qui n'existe nulle part ailleurs, nous réduirions à néant le fondement de notre solidarité : soutenir ceux qui en ont le plus besoin".

Un coût de 20 milliards d'euros, vraiment ?

Emportée par son élan, Sophie Cluzel à même affirmé que "l'adoption de cette proposition de loi entraînerait 20 milliards d'euros de dépenses nouvelles, sans garantie d'une réponse appropriée". Sachant que le coût de l'AAH s'est élevé à 10,7 milliards d'euros en 2020, le chiffre de 20 milliards de dépenses supplémentaires peut sembler fantaisiste. En l'absence d'explications de la ministre, on peut supposer que ce chiffre correspond en réalité à l'impact qu'aurait la suppression de la prise en compte des ressources de l'ensemble du foyer pour toutes les allocations soumises à condition de ressources.
Face à cet argument du détricotage du système de protection sociale et de sa philosophie, les partisans de la mesure pourraient objecter que la PCH ne prend pas en compte les revenus du conjoint. Mais l'argument ne tient guère, sachant que la PCH n'est pas soumise à condition de ressources et qu'il ne s'agit d'un revenu de remplacement, comme le sont notamment les minima sociaux comme l'AAH ou le RSA. 
Dans son long exposé, Sophie Cluzel a également passé en revue les mesures prises par le gouvernement en faveur des personnes handicapées, à commencer par la revalorisation de l'AAH. Et elle a rappelé au passage que "les abattements sur les ressources prises en compte pour l'éligibilité à l'AAH sont nettement supérieurs à toutes les autres allocations. Ils concernent les revenus du conjoint bien sûr, mais aussi les revenus du bénéficiaire".

"Il serait extrêmement complexe aujourd'hui d'intégrer l'AAH dans la cinquième branche"

Les explications et démonstrations de la secrétaire d'État ne visent pas vraiment les sénateurs, qui devraient adopter la proposition de loi. Elles s'adressent plutôt aux députés LREM qui, après le vote surprise du 13 février 2020, devraient être appelés à rejeter le texte lors de son retour devant l'Assemblée. Avec en tête le souvenir désagréable du tollé et du désaveu de l'Élysée, provoqués tous deux l'an dernier par leur refus de voter l'extension de 5 à 12 jours du congé parental pour le deuil d'un enfant, proposé par une proposition de loi émanant du groupe UDI-Agir.
Pour éviter un rejet sec et ses conséquences en termes politiques, Sophie Cluzel s'est donc employée, lors de son audition au Sénat, à ouvrir un certain nombre de pistes. Elle a ainsi proposé qu'"une mission, placée sous l'égide de parlementaires, travaille à la simplification et à l'articulation des dispositifs existants, ainsi qu'à l'approfondissement de l'étude d'impact, pour assurer un soutien plus efficace et équitable aux personnes en situation de handicap". La ministre estime qu'il "sera également nécessaire d'améliorer les modalités de cumul des allocations avec les revenus d'activité de la personne et du couple, pour favoriser l'autonomie de chacun. Ces travaux seraient de nature à répondre au débat légitime sur le niveau de solidarité nationale qu'il faut consacrer à l'autonomie des personnes en situation de handicap".
Sophie Cluzel a également indiqué qu'"il serait extrêmement complexe aujourd'hui d'intégrer l'AAH dans la cinquième branche. Cela mettrait la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) en grande difficulté", car "la dépense est extrêmement dynamique". La ministre estime que '"pour l'instant, elle a naturellement sa place au sein du budget de l'État, lequel a pour l'heure la capacité d'assurer le paiement de la prestation. Les compléments à l'accès à l'emploi, d'ailleurs, sont aussi logés dans le budget de l'État". En revanche, il faudra encore travailler sur l'articulation entre l'AAH et les revenus, notamment de temps partiel.

 

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