Réforme territoriale - Gouvernance locale : le "cousu main" se développe timidement
Dans chaque région, notamment dans le cadre des conférences territoriales de l'action publique (CTAP), les collectivités territoriales ont commencé à organiser leurs compétences de manière spécifique à leur territoire, comme l'ambitionnait la réforme territoriale. Mais le mouvement est lent, constate un rapport de l'Inspection générale de l'administration, qui juge que la loi "n'a pas encore suffisamment clarifié la répartition des compétences." Un rapport dont les propositions pourraient avoir des suites, à l'heure de la "différenciation territoriale" prônée par Emmanuel Macron.
La conférence territoriale de l'action publique (CTAP) devait, selon Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l'Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique de François Hollande, être "un nouveau paradigme". Avec cette instance, les élus locaux allaient pouvoir définir par eux-mêmes la répartition des compétences la plus appropriée pour leur territoire. Cette "innovation majeure" devait permettre d'"inventer les coopérations innovantes", selon le texte de son discours lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam), en décembre 2013. Ces lieux de concertation avaient notamment pour vocation de déterminer les délégations de compétences de l'Etat vers les collectivités territoriales et entre les collectivités territoriales. Le rapporteur du texte au palais Bourbon, le socialiste Olivier Dussopt, affirmait que ces délégations constituaient "une solution souple et évolutive pouvant adapter les compétences aux réalités des différentes collectivités."
Trois ans après la publication de la loi Maptam et 18 mois après la loi relative à la nouvelle organisation territoriale de la République (Notr) qui en est le prolongement, le bilan des "nouveaux outils de la coopération territoriale" est "modeste", selon un rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA) établi à la demande du dernier ministre en charge des collectivités territoriales du précédent quinquennat, Jean-Michel Baylet.
Pour les élus, "il faut laisser sa chance à la CTAP"
La CTAP fait toujours l'objet de critiques, certains considérant qu'elle est "une usine à gaz" ou que ses réunions sont "des grand-messes", affirme ce rapport daté de mai 2017, mais que le gouvernement n'a rendu public que le 8 septembre. La composition de l'instance ne fait toujours pas non plus l'unanimité, les collectivités de petite taille s'estimant mal représentées. En outre, après quelques réunions, de grands élus l'ont déjà boudée.
Pourtant, les CTAP ont été installées dans toutes les régions et elles ont défini une méthode de travail qui privilégie "pragmatisme" et "souplesse". Autre point positif : "La plupart des acteurs locaux considèrent qu’il faut [leur] laisser [leur] chance." Selon l'IGA, "prévaut le sentiment" que cette instance permettra de "redéfinir la répartition des compétences sur les territoires" et "rationaliser l'action publique" et qu'elle peut contribuer au renforcement du fait régional.
L'IGA constate encore que les délégations de compétences entre collectivités territoriales et de l'Etat vers les collectivités, dont la mise en place est examinée au sein de la CTAP, ont été à ce jour "très peu utilisées". Quelques démarches de délégation entre les régions et les départements ont été établies ici ou là, pour l'organisation de la compétence des transports scolaires. Pas plus. En effet, ce type de délégation serait "vécue comme une forme de subordination qui ne contribue pas à clarifier la répartition des compétences tant vis-à-vis des usagers, que des agents".
Défiance des administrations centrales
Par ailleurs, certaines régions ont sollicité l'Etat pour une délégation de compétence. Depuis le 1er janvier 2016, la Bretagne exerce pour le compte de l'Etat et sous la responsabilité et le contrôle de celui-ci les politiques du livre et du cinéma, ainsi que la promotion de la langue bretonne. De son côté, l'Occitanie a manifesté son intérêt pour la gestion des crédits de l'Etat dédiés à l'art contemporain. Sur le terrain de l'emploi, cette fois, la Bretagne et l'Occitanie étaient candidates en début d'année à une délégation de la compétence de l'Etat en matière de coordination des acteurs de ce service public et de mise en œuvre de la gestion prévisionnelle territoriale des emplois et des compétences. Cinq autres régions (Pays de la Loire, Centre-Val de Loire, Grand Est, Nouvelle-Aquitaine, Paca) ont formulé le même souhait. Mais toutes se sont heurtées à la "défiance des administrations centrales" et à la complexité des procédures.
Au final, pour l'IGA, la délégation de compétences n'est probablement pas "l'outil souple de coopération [...] permettant aux acteurs locaux d’adapter l’exercice de leurs compétences aux besoins et réalités de leur territoire" qu'avait souhaité le législateur.
Pour la mission, ce bilan n'est absolument pas définitif, puisque les CTAP et les délégations de compétences ont "besoin d'être rodées pour donner leur plein rendement". En outre, il ne faudrait pas, selon elle, sous-estimer "les dynamiques" réelles de coopération à l’œuvre dans les territoires. "Si elles se confirment", ces coopérations "seront incontestablement positives pour l'efficacité de l'action publique", jugent-ils. En appelant toutefois à quelques "points de vigilance". Ainsi, la loi Notr n'aurait pas encore suffisamment clarifié la répartition des compétences. Certaines évolutions en cours, comme la territorialisation des services de la région, pourraient même "accroître la complexité du mécano institutionnel" en faisant apparaître "un interlocuteur supplémentaire sur les territoires". La mission constate par ailleurs que le dialogue et la coordination entre les collectivités territoriales ont un coût "élevé", qui vient s'ajouter aux nouvelles dépenses liées à la redistribution des compétences et à la fusion des régions.
Les sept recommandations du rapport
A la toute fin du rapport, l'IGA formule sept propositions qui pourraient fort bien inspirer le nouvel exécutif, sachant que celui-ci semble vouloir utiliser pleinement - et même optimiser - la boîte à outils mise en place dans le cadre de la précédente réforme, dans une logique de "différenciation territoriale".
Délégation de compétences Etat/collectivités territoriales - L'Etat proposerait une liste de compétences à déléguer aux collectivités territoriales pour une période de trois ans renouvelable une fois. Il reviendrait aux préfets de négocier localement un projet de convention globale avec les collectivités concernées. Préférables à une modification du dispositif des expérimentations - qui nécessite une révision constitutionnelle -, les délégations de compétences permettraient, ainsi, de "préparer des transferts de compétences qui supposent préalablement une phase d’acculturation et de mise à plat des moyens."
Transferts des compétences départementales vers les métropoles - Amplifier les transferts, en particulier dans le domaine social. Pour cela, la voie contractuelle serait encouragée par l'existence à la fois d'incitations et de contraintes. Le rôle de chef de file des départements dans le champ des politiques sociales serait réaffirmé.
Compétence économie - Revenir sur le caractère exclusif de la compétence économie, ce qui aurait pour effet de redonner une latitude d'action aux départements. Le schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) conserverait son caractère prescriptif.
Etat territorial - Epaulé par un fonctionnaire dédié, le préfet de région accompagnerait davantage la réorganisation des compétences des collectivités territoriales. Il serait le pilote des nouveaux transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités.
Exercice des compétences des collectivités territoriales - Mettre à la disposition des acteurs locaux des ressources et prévoir avec le CNFPT un module de formation pour favoriser la compréhension du nouveau cadre d'exercice des compétences. La création dans les régions d'un groupe de travail dédié réunissant l'Etat et les collectivités est également proposée.
Usagers - Pour mieux prendre en compte les besoins des usagers : soumettre systématiquement les schémas départementaux d’accessibilité des services au public à l’avis des CTAP et intégrer dans le suivi des schémas une analyse de l’impact sur les besoins de proximité des usagers de la recomposition des compétences entre collectivités territoriales.
Evaluation - Dans chaque région, une instance autonome évaluerait, en s'appuyant sur une grille d'analyse établie nationalement, l'impact de la redéfinition des compétences. Son rapport ferait l'objet d'une restitution et d'un débat au sein de la CTAP.