Réforme territoriale - Les conférences territoriales de l'action publique peinent à démarrer
De toutes les mesures que la ministre en charge de la décentralisation a défendues depuis trois ans, c'est l'une de celles qui lui tient le plus à cœur. Il s'agit de la conférence territoriale de l'action publique, presque aussi connue sous son acronyme CTAP. Marylise Lebranchu l'a promue lors de tous ses déplacements en région. Quand elle s'est rendue début octobre 2014 à Nantes, puis en avril 2015 à Toulouse, Metz et Châlons-en-Champagne, c'était pour présider la réunion de l'instance.
Cette ardeur naît de sa conviction que ce dispositif de concertation peut, sans en avoir l'air, révolutionner les politiques locales. Pourquoi ? Parce qu'il va conduire des représentants de toutes les collectivités territoriales et groupements de communes à s'asseoir autour d'une table. Pas seulement pour parler entre eux. Ils le font déjà d'ailleurs. Mais aussi pour organiser "la gouvernance des compétences des collectivités territoriales" dans la région. Parmi les acteurs publics, qui fait quoi et comment ? La CTAP va permettre d'y répondre. "On pourra avancer vers une forme de contrat ou de convention entre les collectivités territoriales. Il s'agit de dire que, pour une durée de quatre ou cinq ans, par exemple, telle collectivité gérera cette compétence de telle façon", avait-elle expliqué en mai 2013 alors que la mesure était discutée au Sénat, dans le cadre de la première lecture du projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale (Maptam).
Grâce au dispositif, avait-elle poursuivi, le législateur n'aura plus à élaborer à chaque mandature une nouvelle loi sur les compétences des collectivités. On gagnera donc du temps. En bref, les CTAP seraient "un bon élément de simplification et de rationalisation de la dépense publique".
"Une manière de faire confiance aux territoires"
Après l'installation de la CTAP de la région Midi-Pyrénées, le 16 avril dernier, la ministre a réaffirmé sa foi dans une instance qui "favorisera la coopération plutôt que la concurrence" et "développera une culture du contrat, du pragmatisme et de l'efficacité, au service des citoyens".
"Les CTAP sont une manière de faire confiance aux territoires dans leur capacité à s'organiser et à s'adapter à des réalités qui sont différentes. Elles permettront aussi la mise en place, de manière forte, des délégations de compétences de l'Etat", a récemment abondé Nathalie Appéré. La députée-maire de Rennes fait partie des élus convaincus que l'instance sera très utile.
Tout comme Jean-Pierre Masseret, président du conseil régional de Lorraine et premier élu régional à avoir mis sur pied la CTAP. C'était en décembre 2013. Avant même le vote de la loi et donc, aussi, bien avant le décret sur les modalités d'élection et de désignation des membres de l'instance, paru en septembre 2014.
Volontariste, l'édile se veut toutefois très prudent. Pour lui, il ne faut surtout pas se tromper sur la nature de la CTAP. "C'est un lieu où les élus locaux échangent sur les politiques publiques, mais il n'est pas question d'y déterminer la ligne politique devant s'imposer aux collectivités territoriales de la région". François-Nicolas Sourdat, adjoint au DGS du conseil régional de Bretagne, confirme : "On ne crée pas un syndicat mixte qui prend des décisions. C'est pourquoi on n'y provoque pas des votes formalisés." Autrement dit, la CTAP n'est pas un lieu de pouvoir.
"Une usine à gaz"
Elle pourrait toutefois constituer l'opportunité pour les présidents de région d'y affirmer leur pouvoir. A l'issue de la première réunion de la CTAP des Pays de la Loire, Jacques Auxiette, président de la région, s'est voulu rassurant sur ce point. "L'enjeu n'est pas pour moi d'exercer une quelconque tutelle régionale sur les autres échelons territoriaux, de faire du 'jacobinisme régional'".
Pour que les choses soient bien claires, la CTAP de Lorraine a de son côté adopté dès ses débuts une "charte des collectivités locales". Y est notamment réaffirmé le principe de non-tutelle d'une collectivité sur une autre. Ainsi, en Lorraine, les conditions ont été posées pour que les élus locaux participent aux réunions de l'instance.
Pour autant, tous ne partagent pas l'enthousiasme du président de la région. La CTAP ? "C'est une usine à gaz", dénonce Jean-Marie Mizzon, maire de Basse-Ham et président de l'association des maires ruraux de Moselle. "C'est comme avec le redécoupage des régions, nous passons notre temps à essayer de nous organiser et pendant ce temps, nous ne faisons rien pour les projets", fustige l'élu. Autre problème, selon lui, "les débats de la CTAP sont déséquilibrés". Avec seulement quatre représentants - un pour chacun des départements composant la région, conformément à la loi - les communes de moins de 3.500 habitants "peinent à faire entendre leur voix". L'objectif d'un meilleur dialogue ne serait donc pas pleinement atteint.
Jean-Pierre Masseret tient un autre discours : "Il faut que tous les élus aient bien chevillé au corps et à l'esprit que l'on ne vient pas à la réunion de la conférence avec son pré carré. On y va dans la recherche de cet intérêt général qui amène à réaliser des compromis."
"Affrontement départements-région"
Réunir des élus de collectivités et de tendances politiques différentes ne relève-t-il pas en réalité de la gageure ? Ces derniers peuvent-ils parvenir réellement à dialoguer, comme le pense Marylise Lebranchu ? En région Centre, si la seconde réunion de la CTAP a bien eu lieu, elle a viré à "l'affrontement" sur les priorités de l'action publique, selon Bruno Besson, journaliste en charge des questions régionales au quotidien régional La Nouvelle République. "La conférence de presse qui s'est tenue à l'issue de la réunion de la CTAP du 22 juin dernier a été tendue", confie-t-il. Les six présidents de départements, tous de droite, ont saisi cette occasion pour attaquer la politique du président de la région, le socialiste François Bonneau, qui fait la part belle au ferroviaire. Ils ont réclamé qu'une partie des crédits soit réaffectée à un plan de relance de l'économie dont les effets seraient rapides sur l'emploi local. François Bonneau leur a tenu tête et a dit "regretter que les départements aient fait de la conférence un enjeu politicien".
Pour le journaliste, la bataille pour les élections régionales de décembre - qui aurait débuté dès le soir du second tour des élections départementales – "fausse le jeu" dans la région Centre. Cela signifie-t-il que les esprits s'apaiseront après les régionales ? Pas sûr. Ensuite, l'élection présidentielle sera en point de mire, rappelle Bruno Besson.
Quelles CTAP dans les nouvelles régions ?
A l'heure actuelle, il est bien difficile de dresser un premier bilan des CTAP. En effet, si certaines régions, comme la Lorraine, ont déjà tracé leur sillon, d'autres n'ont pas même procédé à l'installation de l'instance. C'est le cas en Ile-de-France où, pourtant, le président de la région, Jean-Paul Huchon, en a eu l'intention dès 2014. La publication tardive des textes réglementaires sur la désignation des membres de la conférence, les débats au Parlement sur le projet de loi concernant les compétences des collectivités territoriales, les diverses élections politiques organisées en 2014 et la problématique spécifique à l'Ile-de-France de la création de la métropole du Grand Paris expliquent que le président "n'a pas été en capacité d'installer la CTAP", indique son entourage. Pour qui "les mois prochains devraient [néanmoins] offrir un cadre plus favorable à cette mise en place".
Les sept régions qui vont voir le jour le 1er janvier prochain vont forcément avoir elles aussi un retard à l'allumage. Pour ces régions, l'inquiétude est même de mise : le législateur devra revoir les règles de composition des instances, au risque sinon que les plus grandes d'entre elles aient des effectifs pléthoriques. Le risque guette la future région Alsace-Champagne-Ardennes-Lorraine. Pour éviter justement que les CTAP ne se transforment en "grands-messes", Jean-Pierre Masseret préconise la mise en place de "CTAP territorialisées", par exemple dans chaque département.
La mise en route des CTAP sera longue. Cela ne leur fait pas perdre pour autant de crédit. La preuve : la version finale du projet de loi Notr renforce la CTAP en faisant d'elle le lieu - certes facultatif - de la coordination des politiques publiques locales en faveur de la jeunesse. En outre, il a été beaucoup question, durant les débats parlementaires sur le texte, de la création obligatoire au sein des CTAP de commissions spécialisées en charge du sport et de la culture. Des dispositions auxquelles tenaient fort les élus de ces secteurs. S'ils ont échoué, ils comptent revenir à la charge, considérant que ces CTAP seront bien un lieu décisif de la conception des politiques partagées entre plusieurs acteurs locaux.
Thomas Beurey / Projets publics
La Bretagne expérimente la délégation de compétence via la CTAP
A l'occasion de sa première réunion, le 25 février 2015, la CTAP de Bretagne a donné son accord à la demande de délégation de gestion faite par la région concernant une partie de la politique du livre, du cinéma et du patrimoine culturel immatériel en Bretagne. Dans ces domaines, il sera désormais proposé aux acteurs concernés de s'adresser à un guichet unique pour être soutenu dans la réalisation de leurs projets. "Le dossier qui avait fait l'objet d'un engagement du Premier ministre était prêt depuis longtemps", précise François-Nicolas Sourdat, adjoint au DGS du conseil régional.
"L'Etat considérait qu'il s'agissait d'une délégation de compétence. De ce fait, il fallait que la CTAP débatte du sujet et donne son avis. On a donc transmis l'avis à la ministre concernée qui a ainsi pu élaborer la convention de délégation", explique-t-il.
Alors que jusqu'à présent, plusieurs acteurs intervenaient dans l'instruction des dossiers, il n'y en aura plus qu'un désormais : la région gérera l'ensemble des dossiers pour le compte des structures de l'Etat.
La CTAP n'a pas d'autre projet aussi concret pour l'instant. Mais le travail ne va pas manquer. Culture, développement économique, habitat, rénovation thermique… les sujets de travail ne manquent pas. Ce sont des domaines où les intervenants sont nombreux et "agissent de façon un peu éparpillée", fait remarquer l'adjoint au DGS. "Typiquement, ce sont des sujets sur lesquels on pourrait imaginer de mettre en place une gouvernance innovante qui permette, le cas échéant, de mutualiser et, en tout cas, d'être plus efficace", conclut-il.
T.B.