Personnes âgées - Genre et dépendance, un nouveau terrain de lutte pour l'égalité des sexes
Marianne Dubois, députée du Loiret, a remis, le 23 novembre, un rapport d'information inédit au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Ce document se penche en effet sur un sujet rarement abordé sous cet angle, puisqu'il traite du genre et de la dépendance. Décidé par la délégation aux droits des femmes pour inscrire la prise en compte de cette dimension dans le débat national sur la dépendance, ce rapport arrive après la - non - bataille et perd donc toute valeur opérationnelle immédiate. Mais son contenu reste tout à fait d'actualité et apporte un éclairage original aux enjeux de prise en charge de la perte d'autonomie.
La retraite accroît les inégalités de la vie active
Le rapport, qui s'appuie notamment sur une série d'auditions, commence par rappeler les effets de la démographie. Vivant plus longtemps (84,5 ans d'espérance de vie à la naissance, contre 77,8 pour les hommes), les femmes sont donc particulièrement concernées par la montée en charge du phénomène de la dépendance. Elles représentent aujourd'hui 65% des octogénaires, 77% des nonagénaires et 86% des centenaires.
Si ces aspects démographiques sont déjà bien connus, l'étude insiste aussi sur les aspects économiques. Les inégalités professionnelles - à commencer par celle des salaires - pèsent en effet sur la capacité des femmes à financer la perte d'autonomie. En outre, cet écart se creuse au moment de la retraite, le montant de celle-ci étant fonction à la fois de la durée de cotisation et des rémunérations perçues. En décembre 2009, les pensions de droits propres (hors réversion) s'élevaient ainsi, en moyenne mensuelle et tous régimes confondus, à 1.524 euros pour les hommes et à 877 euros pour les femmes (soit une moyenne générale de 1.194 euros). Les femmes représentent également 70% des bénéficiaires du minimum vieillesse et 73,7% des personnes de 75 ans et plus vivant sous le seuil de pauvreté (contre 54,5% pour l'ensemble des tranches d'âge). La retraite étant la résultante de 40 années d'activité, les progrès en la matière seront donc très lents : selon le Conseil économique, social et environnemental (Cese), les pensions de retraite globale des femmes de 65 à 69 ans devraient encore être inférieures d'un quart à celles des hommes à l'horizon 2040. Cette précarité constitue un facteur d'isolement pour les femmes concernées, mais elle a aussi pour conséquence de laisser aux intéressées un reste à charge difficile à assumer en cas de perte d'autonomie.
Les trois quarts des aidants sont des aidantes
Mais le rapport ne s'arrête pas à ce seul aspect - déjà éclairant - de l'inégalité entre hommes et femmes en matière de dépendance. Il consacre en effet sa seconde partie aux inégalités de la prise en charge de la dépendance. En ce domaine, il rappelle tout d'abord que les aidants familiaux - qui jouent dans la prise en charge de la dépendance un rôle essentiel, que l'on commence seulement à mesurer - sont essentiellement des aidantes. Les femmes représentent en effet 74% des aidants auprès des personnes dépendantes (conjoint ou parent). La répartition des rôles est également très fortement sexuée : lorsque les hommes assurent un rôle d'aidant, ils accomplissent de préférence certaines tâches matérielles comme les courses ou la gestion les dossiers administratifs (sauf bien sûr lorsque la personne dépendante est leur conjoint ou qu'ils prennent en charge un parent en étant fils unique et sans conjoint). De plus, ils ont plus facilement recours, quand leurs ressources le leur permettent, à des professionnels spécialisés pour la prise en charge d'une dépendance plus lourde. Cette dichotomie dans l'approche du rôle de l'aidant revêt en effet une forte dimension culturelle et résulte pour partie de l'image que les femmes se font de leur propre rôle. Le rapport indique ainsi que, même lorsqu'elles en ont les moyens, "les aidantes retardent voire écartent une telle solution [le recours à des professionnels spécialisés, NDLR], car elles la vivent comme une incapacité à assurer elles-mêmes l'accompagnement de leurs parents âgés". Mais ce rôle social est d'autant plus difficile à assumer qu'il pèse sur des femmes qui - lorsque la personne dépendante est un ascendant - doivent concilier vie familiale et vie professionnelle. Le rapport souligne ainsi que "bien davantage que les hommes, ces femmes actives utilisent le temps 'libéré' par les 35 heures pour soutenir leur famille plutôt que pour s'offrir du repos ou des loisirs, mais cette différence genrée de l'utilisation des réductions du temps de travail (RTT) n'est pas souvent soulignée...".
La féminisation extrême des services à domicile
Cette inégalité des sexes n'est pas l'apanage des aidants familiaux. Elle se retrouve tout autant chez les professionnelles de l'aide à domicile. Le rapport pointe notamment la "féminisation extrême des services à domicile". Or ces métiers revêtent le plus souvent un caractère précaire et à temps très partiel ou décalé (47% de travail le samedi et 26% le dimanche). De plus, "ces femmes sont de plus en plus souvent rejointes par des femmes d'origine étrangère, souvent peu formées, voire illettrées". Marianne Dubois reconnaît toutefois que les métiers de l'aide à domicile bénéficient des "prémices d'une revalorisation", notamment en termes de formation et de niveau de qualification, de validation des acquis de l'expérience ou de salaire.
Enfin, le rapport consacre un développement au bénévolat auprès des personnes âgées en situation de grande dépendance. Ici aussi, les femmes sont en majorité, représentant, par exemple, 60% des 80.000 bénévoles du Secours populaire et 80% des 60.000 bénévoles du Secours catholique.
Face à ce constat, le rapport formule un certain nombre de propositions, qui semblent toutefois quelque peu timides au regard de l'ampleur des écarts à combler. Parmi celles-ci on retiendra notamment un développement de la prévention des états de dépendance, un renforcement des métiers de l'aide à domicile ou encore une amélioration de l'information sur les coûts de la perte d'autonomie.
Jean-Noël Escudié / PCA
Référence : Assemblée nationale, rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, par Marianne Dubois, députée du Loiret.