Environnement - Gaz de schiste : des parlementaires réclament un aménagement de la loi
Est-ce un paradoxe ? Dans leur rapport d'une centaine de pages publié le 6 juin, les deux parlementaires membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques exigent d’un côté que la loi du 13 juillet 2011 soit appliquée dans son intégralité et, de l’autre, qu’une exception y soit faite pour pouvoir forer (après réalisation d’un inventaire complet des sols) "quelques dizaines de puits d’exploration en appliquant toutes les précautions aujourd’hui connues". Pour Jean-Claude Lenoir, sénateur UMP de l'Orne, la commission nationale évoquée dans la loi (article 2), et qui devait en principe travailler sur les risques environnementaux liés à la fracturation hydraulique et émettre un avis public sur le cadre d'expérimentation de cette technique, doit être créée alors qu'elle est pour l'heure restée lettre morte. Et il poursuit : "La France méconnaissant manifestement son sous-sol, il est temps qu'un inventaire des ressources soit réalisé, comme l'ont fait d'autres pays comme l'Algérie. Et, si les résultats sont concluants, que des puits de recherche puissent être forés et qu'un programme d'expérimentation scientifique sous contrôle public soit lancé. La loi de juillet 2011 a trop figé les choses. Notre rapport contribue à rouvrir un débat, qui tourne à vide aujourd'hui", poursuit-il.
Ouvrir la brèche
L'imbroglio décisionnel et juridique se complique encore quand on sait qu'une circulaire du 12 septembre 2012 bloque, selon ce duo de parlementaires, toute possibilité d'un inventaire sérieux : "Publiée en catimini, elle interdit en effet d'utiliser la sismique, une méthode qui permet d'échographier les sols grâce à l'emploi d'ondes sonores. Cette circulaire est absurde et nous conforte dans cette méconnaissance du sous-sol", dénonce Christian Bataille, député PS du Nord. Quelque peu opportunément, les deux parlementaires souhaitent que ce débat s'inscrive dans celui sur la transition énergétique piloté par le gouvernement, lequel ne semble guère vouloir faire marche arrière sur cette loi. "L'éventuelle exploitation des hydrocarbures non conventionnels ne différerait pas la transition énergétique, mais substituerait une ressource produite sur le sol national à une ressource importée coûteuse en déficit commercial, manque à gagner fiscal, emplois et pouvoir d'achat. Ces hydrocarbures pourraient avoir un rôle à jouer au moins à titre transitoire pour se substituer à nos importations, réduire la facture énergétique qui s'élève à 68 milliards d'euros en 2012, financer les énergies renouvelables, compléter les énergies intermittentes, et ce dans un contexte de réduction de la part de l'énergie nucléaire", défend ce rapport.
Gaz de houille : des réserves significatives
Après avoir entendu des centaines de personnalités, des industriels, des chercheurs mais aussi des élus locaux (de Lorraine et du Nord-Pas-de-Calais), ces parlementaires parviennent à d'autres constats. Sur le potentiel par région, ils indiquent que s'il est prometteur dans le bassin parisien, où 2.000 forages ont été à ce jour réalisés (6.000 l'ont été en tout dans le pays, dans la seconde moitié du 20e siècle, NDLR), il reste moins bien cerné dans le bassin du Sud-Est (Cévennes, Ardèche), "plus complexe et où seulement une trentaine de forages ont été réalisés". Quant au gaz de houille, emprisonné dans le charbon et couramment dénommé grisou, son exploration et son exploitation ne nécessitent pas selon eux de recours à la fracturation hydraulique. "Les deux peuvent et doivent donc être engagées dans des délais assez rapides. Les ressources des bassins miniers concernés, en Lorraine et Nord-Pas-de-Calais, sont significatives. Elles pourraient correspondre à dix années de consommation de gaz en France. Ces réserves sont retenues dans les couches profondes demeurées inexploitées", détaille Christian Bataille. Localement, si un consensus s'esquisse parmi les élus en Lorraine, les réticences sont plus fortes dans le Nord-Pas-de-Calais.
Peu d'alternative
Autre constat, qui rejoint la question centrale du rapport : la seule technique alternative à la fracturation hydraulique est la stimulation au propane. Utilisée de longue date par l'industrie et testée depuis peu sur des roches mères au Texas et au Canada, elle présente néanmoins d'autres risques (inflammabilité). Les autres techniques évoquées (fracturation électrique, fracturation par chauffage, à l'hélium) relèvent encore de la recherche. De fait, les deux rapporteurs renvoient à la fracturation hydraulique : ils n'ont pas manqué de souligner qu'elle est utilisée pour un puits sur deux dans le monde et que les forages géothermiques y ont même recours en Alsace. Ils estiment, en citant à l'appui des progrès réalisés depuis peu par des industriels dont Total et Veolia, que l'on peut faire de la fracturation hydraulique en réduisant les risques, sans produits chimiques nocifs et en consommant moins d'eau. Enfin, l'une de leurs recommandations porte sur les retombées locales d'une telle exploitation du sous-sol : "Les collectivités locales et les populations jugent ne souffrir que d'inconvénients et ne bénéficier d'aucune de ces retombées. Nous proposons donc de réformer le Code minier pour faire bénéficier les collectivités locales et les propriétaires qui pourraient être impactés de retombées financières".
Opposition de la ministre de l'Ecologie
En attendant le rapport définitif qui sera livré à l'automne prochain, ces propositions jurent avec la position de la ministre de l'Ecologie Delphine Batho, opposée à toute exploitation des hydrocarbures de schiste, quelle que soit la méthode, et à tout assouplissement de la loi bannissant la fracturation. Lors d'un débat radio-télévisé le 5 juin avec la dirigeante patronale Laurence Parisot, qui a dit voir dans le gaz de schiste une possibilité pour "relancer l'économie" française, la ministre avait réaffirmé que son exploitation comme aux Etats-Unis "n'est ni possible ni souhaitable" en France, et prôné à la place des investissements massifs "dans les économies d'énergies et les énergies renouvelables". Tout en réaffirmant l'interdiction de la fracturation hydraulique, le président de la République François Hollande avait quant à lui dit fin 2012 qu'il "prendr(ait) ses responsabilités" si l'on trouvait une nouvelle technique respectueuse de l'environnement.
Vives réactions des ONG
Les ONG opposées à l'extraction du gaz de schiste ont pour leur part réagi très vivement aux préconisations des parlementaires. "Nous sommes en profond désaccord avec ces recommandations, qui font fi de la crise climatique", a déclaré à l'AFP Anne Vallette, chargée de campagne énergie-climat chez Greenpeace."Quelle que soit la méthode, on a une quantité de CO2 qu'on ne doit pas dépasser" pour contenir le réchauffement planétaire à 2°C, et dans ce contexte, "on ne peut pas se permettre" d'extraire ce type de ressources fossiles, a-t-elle argumenté. "Cette industrie n'est pas viable économiquement, crée peu d'emplois, dévalue les prix de l'immobilier et ne fera pas baisser la facture de gaz des ménages", a renchéri Benoît Hartman, porte-parole de France Nature Environnement. "Il est absolument irresponsable, de la part des décideurs parlementaires de notre pays, d'envisager de poursuivre dans la voie de ce qui a déjà démontré ses failles dans les pays qui ont expérimenté la fracturation", a dénoncé quant à elle Elisabelle Bourgue, présidente de l'association No Fracking France, comparant la situation à "celle qui a précédé le scandale de l'amiante". Plusieurs collectifs régionaux d'ONG ont également dénoncé une approche limitée "à la dimension strictement technique" des hydrocarbures de schiste, alors que "leur exploitation accélère dramatiquement le réchauffement climatique". En revanche les industriels ont salué ce rapport. "C'est un travail sérieux et approfondi, et qui nous semble objectif. C'est un pas positif, et peut-être un premier pas pour faire avancer ce sujet", a déclaré à l'AFP Jean-Louis Schilansky, président de l'Union française des industries pétrolières.