Frugalité et données de qualité : les prescriptions des sénateurs pour une IA au service de l'environnement
L'intelligence artificielle (IA) s'impose comme un outil majeur pour accélérer la transition écologique, assure la délégation à la prospective du Sénat dans son cinquième rapport sur l'IA et le service public. Mais elle ne peut fonctionner sans données environnementales de qualité et ne doit pas aggraver le réchauffement climatique.
En matière d'usage de l'IA dans la sphère environnementale, ce ne sont pas les exemples qui manquent tant la technologie a investi ce secteur. C'est ce qu'ont pu constater les sénateurs Christine Lavarde, Nadège Havet et Jean-Baptiste Blanc, dans le cinquième rapport de la délégation à la prospective sur l'IA et le service public. De fait, les rapporteurs soulignent que l'IA constitue "un puissant outil d'aide à la décision dans le domaine de l'environnement", particulièrement pertinent face aux "tensions croissantes sur les ressources naturelles et des changements rapides de l'environnement" caractéristiques de l'anthropocène.
Des applications aux bénéfices tangibles
Pour cartographier l'occupation des sols français, l'IGN utilise ainsi l'IA pour analyser automatiquement les images aériennes. Et comme en a témoigné Sébastien Soriano, directeur général de l'IGN : "L'IA nous a permis de le faire trois fois plus vite pour trois fois moins cher." Cette innovation technologique contribue directement à l'atteinte de l'objectif "zéro artificialisation nette" (ZAN).
Dans le domaine météorologique, les modèles d'IA permettent des prévisions plus précises et rapides des phénomènes météorologiques extrêmes, essentielles pour la gestion des risques climatiques.
Sans prétendre à vouloir faire un inventaire complet des usages, le rapport souligne l'apport de l'IA dans de nombreux domaines de compétence des collectivités : lutte contre les îlots de chaleur, préservation de la ressource en eau, suivi de la biodiversité, amélioration du tri des déchets… Le Sénat mentionne au passage plusieurs lauréats de l'appel à projets "Démonstrateurs d'IA dans les territoires" (DIAT) (notre article du 20 décembre 2024). Parmi eux, "Urba IA" pour l'urbanisme durable, "Predict AI'r" pour mesurer l'impact de la mobilité sur l'air et le climat, ou encore "Mission 90+" pour la détection acoustique des fuites d'eau. Pour faciliter la diffusion des innovations, le Sénat encourage à mieux communiquer et à créer une bibliothèque de cas d'usage tout en renforçant la coordination entre des initiatives aujourd'hui trop dispersées.
Pas d'IA performante sans données de qualité
Pour produire des résultats performants, l'IA a cependant besoin de données massives, fiables et exploitables. Or le Sénat constate que malgré une politique d'open data ambitieuse - près de 19.369 jeux de données dans la catégorie "Environnement" totalisant 43,7 millions de vues - de nombreuses données restent difficilement exploitables. Leur "découvrabilité" demeure problématique en raison d'un référencement insuffisant et de métadonnées de qualité variable.
Par ailleurs, des lacunes importantes persistent dans la connaissance environnementale. Les données du sous-sol français, essentielles pour gérer les ressources en eau ou prévenir les risques naturels, restent par exemple "fragmentaires" selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Certaines données sont par ailleurs aux mains du secteur privé, ce qui peut se révéler problématique. Le rapport cite l'exemple du projet "RéSoCio", qui visait à exploiter les données de Twitter pour améliorer la gestion des catastrophes naturelles. Après le rachat du réseau social et le changement de sa politique d'accès aux données, le projet a été brutalement interrompu, privant les chercheurs d'une source précieuse d'informations pour la détection et la gestion des crises.
Face à ces constats, les rapporteurs recommandent de "poursuivre les efforts visant à structurer les jeux de données en matière environnementale et améliorer leur référencement" dans la continuité du projet Ecosphères. Ils proposent aussi "d'inciter les acteurs privés à partager leurs données d'intérêt général, en particulier pour la recherche académique et dans les situations d'urgence". Les sénateurs suggèrent enfin d'explorer des expérimentations dans des environnements d'essai ("bacs à sable") pour évaluer l'intérêt potentiel des données dans des situations nouvelles.
Plaidoyer pour une IA frugale
Si l'IA offre des solutions prometteuses pour l'environnement, elle représente également un défi écologique en soi. L'entraînement de GPT-3 (utilisé par ChatGPT) a consommé l'équivalent énergétique de 120 foyers américains, celui de GPT-4 nécessitant quarante fois plus d'énergie. L'entraînement d'un modèle d'IA de 200 millions de paramètres génère une empreinte carbone supérieure à celle de cinq voitures durant leur cycle de vie complet. La consommation d'eau pose également problème : l'IA pourrait consommer entre 4,2 et 6,6 milliards de mètres cubes d'eau en 2027, soit quatre à six fois la consommation annuelle du Danemark.
Face à ces dérapages, le développement d'une "IA frugale" s'impose. Le rapport incite à optimiser les algorithmes, à améliorer l'efficacité énergétique des matériels informatiques et à recourir davantage à des sources d'électricité décarbonées. Il encourage des initiatives comme le référentiel général pour l'IA frugale de l'Écolab et de l'Afnor, ou des outils ouverts tels que "Green Algorithms" et "Code Carbon", pour aider les développeurs à évaluer l'impact énergétique de leurs algorithmes. Il incite à "privilégier des IA spécialisées, moins énergivores et plus efficaces que les IA polyvalentes". Il préconise enfin d'intégrer les apports de l'IA dans les analyses prospectives sur l'évolution du climat et des politiques environnementales.