Florence Thibaudeau-Rainot, adjointe au maire du Havre, sur le vieillissement : "On ne pourra pas faire l’économie de réinventer des modèles"
La ville du Havre a récemment accueilli le congrès de l’Union nationale des CCAS. L’occasion de s’intéresser à la politique menée au Havre en direction des seniors, qui repose sur la mobilisation des habitants, des partenaires et de tous les services de la commune. Adjointe en charge des affaires sociales ayant co-animé l’un des groupes de travail du CNR sur le bien vieillir, également première vice-présidente en charge des Solidarités du conseil départemental de Seine-Maritime, Florence Thibaudeau-Rainot revient pour Localtis sur la méthode havraise, mais également sur les enjeux – gouvernance, finances, métiers, aidants… - de l’adaptation de la société au vieillissement.
Localtis - Comment communes et intercommunalités peuvent-elles contribuer à adapter la société au vieillissement ?
Florence Thibaudeau-Rainot - On a longtemps pensé que le vieillissement était uniquement le domaine de compétence des centres communaux d’action sociale (CCAS), alors que l’adaptation du territoire concerne toutes les délégations d’une commune et d’une intercommunalité : logement, culture, sport, voirie, numérique… L’idée, c’est de faire une feuille stratégique et de mettre tout le monde autour de la table, en considérant la commune comme un ensemblier.
Au Havre, nous avons monté un comité de pilotage avec tous mes collègues élus et toutes les directions concernées. Nous avons identifié des besoins et fait des marches exploratoires avec des personnes âgées, des élus et agents mais aussi des associations. Nous avons organisé des séminaires ouverts à tous et animé des groupes de travail thématiques avec nos partenaires - département, bailleurs sociaux… - et avec les seniors.
Ces travaux nous ont permis d’identifier quatre thèmes : un senior bien dans sa ville (déplacements, espace public), un senior bien dans son logement (adaptation du logement, prévention des chutes), un senior connecté aux autres - le lien social est capital dans le recul de la perte d’autonomie - et l’adaptation des services municipaux aux seniors. À l’issue des groupes de travail, nous avons validé avec le maire Édouard Philippe un plan d’actions et plusieurs actions ont déjà été lancées. L’objectif de toutes ces actions est de permettre aux seniors d’être dans les meilleures conditions de maintien de leur autonomie.
Une de nos actions est la création de parcours de promenades adaptées, notre "plan bancs" qui prévoit une assise tous les 300 mètres – c’est la condition pour que les personnes âgées puissent continuer à faire de petits trajets à pied sans craindre la fatigue. Autre exemple : la création d’un guichet unique de l’adaptation du logement, pour faciliter le recours à MaPrimeAdapt’, conseiller les personnes avec des services d’ergothérapeute gratuits et s’assurer que les seniors n’aient pas affaire à des entreprises peu recommandables.
Dans le cadre du conseil national de la refondation (CNR) sur le bien vieillir, vous avez animé avec Luc Broussy le groupe pilote sur l’adaptation de la société au vieillissement. Quel regard portez-vous sur la répartition des compétences en la matière ?
Nous ne serons pas assez de toutes les collectivités pour répondre au défi du vieillissement qui s’impose à nous. Il y a de la place pour tout le monde mais effectivement on a vocation à rendre plus lisible la gouvernance. Par exemple, sur l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), les départements sont supposés valider les plans d’aide, même quand les CCAS ou les Clic (centres locaux d’information et de coordination gérontologique) ont déjà fait ce travail. À 99%, les préconisations du département sont les mêmes que celles du CCAS ou du Clic. À l’heure où l’on a du mal à recruter, c’est une perte de temps et de sens pour les professionnels. Parfois, CCAS et département ne travaillent pas du tout ensemble, n’ont pas les mêmes outils : c’est dommage, aujourd’hui on n’en a pas les moyens.
Dans le service public départemental de l’autonomie (SPDA), la gouvernance est l’un des sujets. L’enjeu, c’est de partir de l’usager : répondre à l’usager, être fluide et lisible. Tout ce qui se passe en cuisine ne doit pas être le problème de l’usager. Dans nos propositions avec Luc Broussy, il y a l’idée d’un schéma départemental de la transition démographique, porté par le département qui réunirait tous les partenaires concernés. Et nous demandons la même chose au niveau de l’État : un délégué interministériel, comme pour le handicap, pour mobiliser les acteurs sur l’ensemble des thématiques (logement, santé, cohésion des territoires…), bien au-delà du périmètre du ministère des Solidarités.
Suite au CNR, il y a eu l’annonce d’une feuille de route gouvernementale, la loi sur le bien vieillir et la promesse gouvernementale (aujourd’hui remise en cause ?) d’une loi de programmation. La méthode est-elle la bonne selon vous ?
Il y a déjà eu bon nombre de rapports largement partagés et nous savons quel est le défi qui nous attend. La vague qui arrive est pour 2030, c’est-à-dire demain. Pour être effectives en 2030, les décisions doivent être prises au plus vite. Et il faut absolument que ces bonnes intentions de l’État se traduisent par des éléments concrets, sur le terrain. Quelle est la solution présentée à des gens qui sont en perte d’autonomie, qui veulent conserver du lien social, qui ont besoin d’avoir accès à un médecin ?
Concernant la loi de programmation, c’est quand même le nerf de la guerre. 80% des Ehpad publics sont en grande difficulté financière, il y a actuellement des revalorisations du personnel parce que cela n’a pas été fait depuis des années. Pour l’aide à domicile, il fallait bien revaloriser toutes ces heures invisibles, mais nous n’arrivons pas à suivre… Tout arrive en même temps à un moment où le modèle économique n’est pas viable.
On ne pourra pas faire l’économie de réinventer des modèles qui sont arrivés à bout de souffle. Avec plus de personnes à encadrer et moins de personnes pour s’en occuper, il va forcément falloir soulager davantage les aidants familiaux dont le travail est crucial – je le rappelle : un aidant sur trois meurt avant l’aidé. Il y a tellement de leviers sur lesquels il faut agir que l’on peut avoir du mal à prioriser…
Dans ces modèles à réinventer, le département doit-il se désengager du financement des Ehpad, comme cela semble se dessiner avec l’expérimentation qui démarrera en 2025, et se recentrer sur le domicile ?
Je ne suis pas pour mais certains départements l’envisagent car ils n’accompagnent pas les Ehpad comme nous pouvons le faire en Seine-Maritime. Moi je considère qu’on ne peut pas renforcer le rôle des départements dans une politique d’autonomie si on n’a pas la totalité du champ de l’autonomie. Si nous ne finançons plus les Ehpad, nous ne serons plus autour de la table et cela pourrait entraîner, à terme, la fin du département sur les politiques autonomie. En outre, si l’on considère que les Ehpad doivent devenir des hôpitaux bis, c’est-à-dire des établissements de soins, ils ne pourront plus accueillir des personnes qui sont en perte d’autonomie mais qui n’ont pas pour autant besoin de soins.
Je pense qu’on doit toujours avoir, dans la politique autonomie, toute l’offre qu’on peut apporter à un habitant : les Ehpad, l’habitat inclusif, les résidences dites intergénérationnelles (qu’on a beaucoup de mal à mettre en place en France, parce que les Français ne préparent pas leur vieillesse…), les résidences autonomie qui sont des résidences services seniors pour les gens moins aisés. Nous en avions plus de 100.000 il y a quelques années, mais il y a actuellement des situations de déséquilibre, en particulier pour des résidences autonomie qui sont gérées par des CCAS. Nous sommes donc passés sous la barre des 100.000, alors qu’il s’agit d’une alternative très importante, notamment en termes de mixité sociale et d’aide pour des publics un peu vulnérables. Ces résidences autonomie sont beaucoup moins bien financées que l’habitat inclusif : si aucune mesure n’est prise pour combler cet écart, des résidences vont fermer alors que nous avons crucialement besoin d’elles.
Concernant la crise d’attractivité des métiers, Aurore Bergé alors ministre des Solidarités avait annoncé la création d’une délégation interministérielle aux métiers du social, du médicosocial et du soin. Comment agir aux niveaux national et local pour susciter de nouvelles vocations ?
Je suis persuadée que l’enjeu n’est pas uniquement celui de la rémunération, il y a une perte de sens dans la façon d’exercer son métier. On doit pouvoir agir bien en amont, dès le collège, pour valoriser ces métiers porteurs. Pour donner aux professionnels des moyens d’épanouissement, il faudrait organiser des groupes de paroles avec des personnes qui sont vraiment in situ.
Par ailleurs, si nous écoutons la présidente de l’association Old-up, nous sommes arrivés au bout d’une certaine approche de l’intergénérationnel. Il y a quelque chose d’assez culpabilisant dans le fait de considérer que les jeunes doivent obligatoirement s’occuper des vieux : il y a des vieux qui vont bien et qui peuvent s’occuper d’autres vieux. C’est aussi une chance d’avoir des vieux, ils seront bientôt plus nombreux que les moins de 15 ans pour la première fois dans l’histoire de notre pays, c’est pour ça que je vous parle de réinventer des modèles.