Congrès de l’Unccas - Gestion de crise : les maires et leurs CCAS en première ligne
Des mégafeux de Gironde aux inondations du Pas-de-Calais, plusieurs maires et directeurs de CCAS ont témoigné, ces 28 et 29 mars au Havre, de leur action pendant ces crises et de leur engagement auprès des populations, en particulier les plus fragiles. Comment gérer la crise et ses suites, parfois longues, comment mieux se coordonner localement et préparer les prochaines crises : ces questions ont été au cœur du congrès de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale.
Pandémie de Covid 19, méga feux, inondations à répétition, canicules, séismes, attentats… À l’heure de la multiplication des crises, aux causes diverses mais dont la fréquence et l’intensité augmentent avec le dérèglement climatique, les équipes municipales et les centres communaux et intercommunaux d’action sociale (CCAS-CIAS) sont en première ligne pour accompagner les populations, et en particulier les plus fragiles d’entre elles (jeunes enfants, personnes âgées et handicapées, personnes aux faibles ressources…). "Les maires et leurs CCAS face aux crises : agir, reconstruire, prévenir" : tel était le fil conducteur du 93e congrès de l’Union nationale des CCAS (Unccas) qui s’est achevé ce 29 mars 2024 au Havre.
Mise à l’abri après évacuation : des CCAS réactifs
À l’été 2022, lorsque des mégafeux ravagent la Gironde, près de 20.000 personnes sont évacuées à La Teste-de-Buch pendant 11 jours. "Le CCAS a eu sa place dans le conseil de crise, avec la charge du lieu d’hébergement", témoigne son directeur, Laurent Cacciatore. Les habitants d’un Ehpad sont notamment évacués en urgence et, en lien avec l’agence régionale de santé (ARS), accueillis dans d’autres Ehpad de la région.
Au-delà de la logistique d’urgence, les élus et les CCAS sont mobilisés dans l’accompagnement des sinistrés sur le plan psychologique. Après l’explosion de la rue de Tivoli à Marseille, ayant entraîné l’évacuation de 45 immeubles et la mise à l’abri de 300 personnes, la ville met en place un gymnase où les personnes pouvaient échanger avec des psychologues, des avocats ou encore des travailleurs sociaux du CCAS.
Dans les mois qui suivent, le CCAS "accompagne les familles les plus précaires", celles pour lesquelles "la peine est plus lourde", explique Audrey Garino, adjointe au maire de Marseille. À La Teste-de-Buch, le CCAS prend en charge des personnes auparavant "invisibles" des services publics, des habitants de cabanes forestières qui ont brulé pendant les incendies. Une quinzaine d’entre eux sont relogés.
Engagement, solidarité et "devoir" de partenariat
Par leur ampleur et parfois leur fréquence, des événements de type catastrophes naturelles entraînent une forme de traumatisme collectif auquel les élus n’échappent pas, alors qu’ils doivent eux-mêmes accompagner et rassurer leur population. Maire de Saint-Étienne-au-Mont, Brigitte Passebosc en a témoigné, suite au "débordements historiques" qui ont frappé le Pas-de-Calais en novembre 2023, survenus à quatre reprises en trois semaines et ayant provoqué l’inondation de 400 logements dans sa commune.
En dépit d’un plan communal de sauvegarde (PCS) bien rodé, les élus ont dû en partie sortir du cadre fixé – être sur le terrain et joignables notamment, et non pas enfermés dans une salle comme le prévoyait le protocole - et s’adapter au caractère inédit de la situation. La solidarité et l’esprit de débrouille prennent le pas : Saint-Étienne-au-Mont accueille depuis novembre les élèves d’un village voisin, qui a perdu son école et sa mairie pendant les inondations. Concernant le relogement et la prise en charge par les assurances, le CCAS s’appuie sur son antenne France services pour accompagner les habitants. Une cellule de crise a été mise en place avec la communauté d’agglomération pour tenter de dénouer les épineux dossiers.
Dans cette gestion de crise, le partenariat local devient crucial. "Il y a un devoir impérieux de travailler ensemble et de ne surtout pas de se renvoyer la balle", souligne Juliette Méadel, qui avait été nommée secrétaire d’État à l’aide aux victimes en février 2016. Après les attentats de Nice, elle a fait en sorte que le CCAS soit intégré aux réunions de la préfecture. "C’est par les liens qu’on fait de la prévention et qu’on sauve des vies", affirme Éric Chenut, président de la Mutualité française. Pendant la crise sanitaire de 2020, le fait d’appeler les personnes isolées a permis selon lui d’"éviter des catastrophes". "Pour organiser le maintien à domicile, j’ai dû m’adresser aux structures médicosociales, ça ne m’était jamais arrivé", raconte François Dolveck, chef du département des urgences et directeur médical du Samu 77. Sur le lien ville-hôpital, "cette crise nous a fait changer un peu de monde", estime-t-il.
"Culture du risque", données et signaux faibles
Comment tirer des leçons des différentes crises pour se préparer à mieux affronter les suivantes ? Malgré les plans existants – le PCS ou encore le document d’information communal sur les risques majeurs (Dicrim) -, la "culture du risque" n’est pas très développée en France, selon Gaël Musquet, météorologue de formation. Avec son association Hand (Hackers against natural disasters), il prépare des territoires exposés au risque, notamment aux Antilles, en s’appuyant sur les données, des mises en situation et des ateliers d’intelligence collective. Le but : aider les habitants, et notamment les plus jeunes, à se projeter, à anticiper la gestion de crise.
"La problématique des données est centrale", confirme Marie-Claure Jarrot, présidente du Cerema et maire de Montceau-les-Mines. Éric Chenut appelle justement à mettre en place une gouvernance des données autorisant un partage dans l’intérêt général, notamment entre collectivités et des acteurs privés tels que les mutuelles, pour éviter que "des intérêts particuliers orientent la gestion du risque à leur profit".
"Il faut s’entraîner à repérer les signaux faibles qui vont amener à quelque chose de très inhabituel", conseille pour sa part François Dolveck. Il ajoute que la méthodologie de gestion de crise est toujours la même : le diagnostic – "un point fondamental" pour ne pas perdre trop de temps au départ -, la montée en charge, la mise en œuvre des solutions, la préparation de sortie de crise et le débriefing.
Directeur scientifique du master spécialisé "management global des risques" à l’ENS de Rennes, Laurent Dehouck met quant à lui l’accent sur la nécessité de travailler ses réseaux, professionnels et territoriaux, qui s’avèreront être "un atout crucial" pendant la crise.
Personnes âgées isolées : "la crise sanitaire est devant nous"
"Les maires sont en première ligne mais ont besoin d’être accompagnés", insiste Brigitte Passebosc. "Dans le cadre d’une assistance à maîtrise d’ouvrage, le Cerema peut accompagner les collectivités", assure Marie-Claure Jarrot. Le Cerema a identifié plusieurs domaines particulièrement sensibles pour les publics fragiles qui sont ceux des CCAS : l’accès à la ressource en eau, l’augmentation de la chaleur extrême en ville, la précarité énergétique, les mobilités solidaires (qui ne seraient pas planifiées actuellement) et la santé environnementale.
"La crise sanitaire est devant nous, en particulier pour les personnes très âgées qui ne peuvent pas sortir de chez elles et chez lesquelles aucun médecin ne vient", ajoute Joëlle Martinaux, vice-présidente de l’Unccas. L’adjointe au maire de Nice invite ses collègues à préparer cette crise en interrogeant leurs seniors dans le cadre de l’analyse des besoins sociaux (ABS) – avec des questions telles que "avez-vous un médecin traitant et est-ce qu’il vient à domicile ?". Autre recommandation : "aller pousser la porte du directeur des urgences" pour "écrire un plan de secours des personnes âgées". L’Unccas annonce qu’elle organisera une réunion sur la santé pour poursuivre la réflexion sur ces questions.