S'assurer, nouveau chemin de croix pour les collectivités
"Incompréhension" : à l'image de la commune de Petit-Quevilly en Normandie, dont l'assureur a voulu brutalement résilier le contrat, de nombreuses collectivités peinent à s'assurer dans un contexte social tendu, mais aussi à cause des catastrophes climatiques.
L'assurance des collectivités connaît "une crise exceptionnelle", assure Ivan Bourasseau, directeur du département en charge des collectivités au sein du courtier Verspieren. Selon lui, cela est dû à une "multitude de phénomènes" dont "la crise financière post-Covid" et la multiplication des évènements climatiques comme les épisodes de grêle ou les débordements de cours d'eau. Quant aux violences urbaines du début de l'été, qui vont coûter 650 millions d'euros aux assureurs selon leur fédération, "c'est la goutte d'eau qu'il ne fallait pas" pour ce marché des collectivités, assure Ivan Bourasseau. Rien que pour la SMACL, le principal assureur des collectivités - qui n'a pas donné suite aux sollicitations de l'AFP -, la facture s'élève à près de 100 millions d'euros. Il s'agit d'un lourd tribut pour l'assureur, en grande difficulté financière depuis plusieurs années, et qui avait même dû être recapitalisé en début d'année de 140 millions d'euros par sa maison mère, la Maif.
Le courrier reçu le 9 août par Petit-Quevilly (Seine-Martime) et qui a provoqué un "mélange de surprise, d'incompréhension et d'agacement" chez Charlotte Goujon, la maire de la commune, est succinct, signalant juste que la résiliation fait "suite à l'incendie du 30 juin 2023". Un soir d'émeutes, une école maternelle a partiellement brûlé, et si Helvetia, l'assurance de Petit-Quevilly, couvrira le préjudice à hauteur de 36.000 euros (franchise déduite) sur les 136.000 de frais, elle signifie son refus de continuer à assurer plus longtemps la commune après six mois de contrat. Une annonce difficile à avaler pour Charlotte Goujon, alors que la ville s'était vu imposer des conditions "très dures" lors de la réalisation du contrat fin 2022, notamment une prime annuelle de 110.000 euros et une franchise en cas d'incendie de 100.000 euros. La résiliation a depuis été rendue caduque du fait d'une erreur de date dans le courrier recommandé, et Helvetia s'est dite sur Facebook prête à "trouver une solution".
Négocier... ou s'auto-assurer ?
"Ce que vit Petit-Quevilly, il y a énormément de collectivités qui le vivent depuis l'après-Covid", assure Ivan Bourasseau. Selon lui, "la réaction des assureurs aujourd'hui quand ils paient un gros sinistre, c'est d'essayer de sortir du contrat". Cela ne concerne donc aujourd'hui pas uniquement les collectivités du pourtour méditerranéen, traditionnellement boudées par les assureurs du fait des risques importants liés à la météo.
En 2022, l'assureur de la communauté d'agglomération du pays de Saint-Omer (Capso) dans le Pas-de-Calais s'est ainsi désengagé après avoir dû dédommager la collectivité suite au passage de la tempête Eunice. Poussé par les vents violents, un toit d'un amphithéâtre de l'école d'ingénieurs s'était envolé, pour un préjudice supérieur à 500.000 euros. Après un premier appel d'offres infructueux puis des négociations avec plusieurs sociétés, la Capso débourse désormais 350.000 euros chaque année pour son assurance, contre moins de 60.000 euros avant la résiliation du contrat. Pas question cependant pour la collectivité d'essayer d'aller voir ailleurs, "le risque que l'on n'ait pas d'assurance aujourd'hui est sans doute plus fort que notre capacité hier de négociation", assure Samuel Mieze, directeur général des services de la Capso.
En cas d'absence de candidats à un appel d'offres - une situation de plus en plus fréquente -, les collectivités sont autorisées à négocier directement avec les assureurs. "Mais c'est là où elles se retrouvent en position de faiblesse face à des assureurs prêts à répondre aux cahiers des charges mais avec énormément de clauses et des franchises et des primes très élevées", alerte-t-on à l'Association des maires de France (AMF). "On a la certitude que ça va empirer avec la normalisation des évènements climatiques exceptionnels." Résultat, certaines communes se résignent désormais à l'auto-assurance, en assumant les risques financiers elles-mêmes, une solution jusqu'ici seulement appliquée par les plus grandes collectivités comme Paris et qui peut se révéler "extrêmement lourde et dangereuse pour les petites et moyennes villes", prévient Ivan Bourasseau.