Luc Carvounas, président de l’Unccas : "Comment préparons-nous la société du bien vieillir ?"
Pour redessiner la ville autour des enjeux du bien vieillir, les communes ont besoin de l'État. Interrogé par Localtis à l'approche du Congrès des maires – et avant que la ministre Aurore Bergé ne présente ce 17 novembre sa stratégie interministérielle sur le bien vieillir – le président de l’Unccas, Luc Carvounas, appelle à avoir "de l'ambition et du courage politique" pour ce qui devrait être selon lui une grande cause nationale.
Localtis – Comment les centres communaux et intercommunaux d’action sociale, très présents aux côtés des personnes âgées, abordent-ils les défis liés au vieillissement de la population ?
Luc Carvounas – Les CCAS et CIAS, qui dépendent de métropoles, d’intercommunalités ou de communes, gèrent 60% des résidences autonomie et un peu moins de 10% des Ehpad en France. À l’horizon 2040, plus d’un Français sur trois aura 65 ans ou plus. Nous avons une obligation de résultat au regard de ces projections démographiques - 2040, c’est demain. La question politique que nous posons au gouvernement est celle-ci : comment préparons-nous cette société du bien vieillir ?
Il s’agit de ne pas rester uniquement sous l’angle médicosocial, qui est important mais qui n’est pas toute la question. En Guadeloupe, comme dans d’autres territoires d’outre-mer, les seniors veulent vivre et mourir chez eux, alors que de nombreux jeunes quittent l’archipel pour les études ou le travail ; cela pose la question du statut des aidants. Cette question de la société du bien vieillir est une pelote que l’on peut tirer à l’infini.
Il faut donc repenser toute la commune. Cela va au-delà du logement senior que l’on crée, il faut redessiner toute la ville autour ! Les transports, les parcs et jardins, les commerces, les services… et cela ne peut se faire sans l’État. La proposition de loi sur le bien vieillir reviendra finalement ce 20 novembre au Parlement, après huit mois de frigo… Mais dans ce texte, le compte n’y est pas.
Vous aviez signé une tribune, avec d’autres présidents d’associations, pour dénoncer ce manque d’ambition…
Oui, avec France urbaine, Intercommunalités de France et la Fédération hospitalière de France (FHF), nous avons porté une tribune. Les parlementaires qui maîtrisent parfaitement cette question, tels que Jérôme Guedj, estiment que 10 milliards d’euros sont nécessaires, d’ici 2030, pour préparer cette société du bien vieillir. Certes, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 prévoit une hausse du budget de la cinquième branche, celle de l’autonomie, ce qui va dans le bon sens. Mais cette société du bien vieillir devrait être une grande cause nationale.
Je rappelle que Brigitte Bourguignon avait été nommée ministre pour faire cette loi Grand Âge. Depuis 2017, nous avons eu cinq ministres des Solidarités, or il faut de la stabilité politique pour ce ministère. Mais il faut aussi avoir de l’ambition et du courage politique pour tordre le bras de Bercy et dire : il y a urgence, on va dans le mur si on ne se bouge pas ici et maintenant. À quelques jours du Congrès des maires, nous lancerons avec Arnaud Robinet, maire de Reims et président de la FHF, et Éric Chenut, président de la Mutualité française, un appel transpartisan aux parlementaires français pour donner de la force à ce sujet et aider la ministre Aurore Bergé à mener ce combat politique.
Dans le cadre des textes budgétaires, l’Unccas formule des propositions notamment sur des créations de postes (1) mais la crise du recrutement est réelle : comment en sortir ?
Il faut dire très clairement ce que l’on veut pour nos salariés dans nos Ehpad, nos résidences autonomie : quels statuts, quels salaires, quelle revalorisation réelle de leur travail si l’on considère que ce sont des postes importants, plutôt que de laisser se détruire des secteurs. C’est vrai dans le secteur des Ehpad, mais cela concerne également la petite enfance, les enseignants… Aujourd’hui il y a une forme de nivellement par le bas du service public français et il faut à un moment donné que l’on dise collectivement et de manière transpartisane : ça suffit.
Dans le cadre du futur service public départemental de l’autonomie, est-ce que vous revendiquez une place particulière pour les CCAS et CIAS ?
Nous demandons à être associés. Avec l’analyse des besoins sociaux (ABS), nous avons une lisibilité globale et complète de tout ce qui se passe socialement sur notre commune. Le département peut être un guichet d’entrée pour connaître ses droits mais l’échelon opérationnel, c’est le bloc communal. François Sauvadet, le président de Départements de France, m’a répondu très favorablement parce que cela a du sens que l’on travaille ensemble.
Et, selon le baromètre du social que nous avons conduit avec l’Ifop, c’est bien le bloc communal qui apparaît en premier sur les questions de solidarité. En termes de lisibilité sur le qui fait quoi, les Français répondent globalement : c’est toujours la mairie. Donc on voit bien qu’il y a un positionnement à réinventer et nous porterons des propositions au moment de la loi, si elle arrive, sur la décentralisation.
L’Unccas est-elle favorable à la mise en place d’un nouveau circuit de recueil et de traitement des situations de maltraitance vis-à-vis des adultes vulnérables et à davantage de contrôles à domicile et en établissement ?
Au moment du scandale concernant les Ehpad privés, beaucoup de maires avaient écrit aux départements et des contrôles ont été initiés. Je suis favorable à tout ce qui va dans la mise en place de bonnes règles et de bonnes pratiques pour le bien-être de nos résidents âgés. On parle du droit à mourir dans la dignité, mais avant de mourir dans la dignité, il faut bien vieillir. Et pour cela, il faut que l’ensemble de l’écosystème soit sur des règles et des contrôles efficaces.
Comment les élus ne disposant pas de beaucoup de moyens peuvent-ils s’emparer des enjeux du bien vieillir ?
Ils peuvent s’adosser à des opérateurs, par exemple le groupe Arcade-Vyv sur la question du logement santé. C’est le travail des associations d’élus que de faire connaître ces acteurs. Et ensuite il faut une volonté politique. Aujourd’hui, un élu qui construit du logement, qu’il soit de gauche ou de droite, se voit critiquer : "vous êtes un bétonneur". Et c’est là qu’il faut nommer les choses, je plaide pour une "densité harmonieuse" (2) et je fais partie de ces maires qui assument de faire du logement, et pas que du logement. Je tisse et je retisse tout le visage de la ville autour.
(1) Créer 18.500 postes en Ehpad d’ici fin 2024 et 19.000 ETP dans les services de soins à domicile d’ici fin 2030.
(2) Luc Carvounas a signé une note, publiée le 21 août 2023 sur le site de la fondation Jean-Jaurès, intitulée "La 'densité harmonieuse' : une solution politique à la crise du logement ".