Finances locales en 2023 : coup de mou ou vraie déprime ?
Le maintien de l'inflation à un niveau élevé, la réduction de la croissance économique et la crise du marché immobilier mettent à mal les budgets locaux. Principal indicateur de la santé des collectivités, leur épargne brute devrait se contracter de 9% en 2023, selon la note de conjoncture sur les finances locales, publiée par la Banque postale. Les départements seraient particulièrement affectés, avec une épargne brute en chute de plus de 30%.
L'an dernier, les collectivités locales avaient bien résisté au double choc de l'inflation et du dégel du point d'indice de la fonction publique. Leur épargne brute - c'est-à-dire la différence entre les recettes et les dépenses de fonctionnement – avait augmenté de 5,8%, pour atteindre 38,6 milliards d’euros. A la fin de l'année, elle était "plus de 11% plus haute qu’avant la crise sanitaire", selon une étude de la Direction générale des collectivités locales (DGCL) sur les finances locales en 2022. En s'appuyant sur les premiers éléments de bilan, la Cour des comptes estimait au début de cet été que la situation financière des collectivités est "à nouveau très favorable" et jugeait que leur participation à la maîtrise des dépenses publiques est pleinement justifiée (voir notre article du 4 juillet). Bercy dressait peu ou prou les mêmes analyses.
Mais, à la fin de 2023, la santé du secteur public local devrait être plus fragile, selon les prévisions de la Banque postale. Dans la note de conjoncture sur les finances locales (à télécharger ci-dessous) qu'elle a présentée, ce 22 septembre, la direction des études de la Banque de financement et d'investissement de l'établissement financier table sur une réduction de l'épargne brute des collectivités de 9%. Ceci résulte d'un effet de ciseau "prononcé". En effet, les recettes de fonctionnement, qui avaient progressé de 4,6% en 2022, connaîtraient en 2023 une croissance plus faible (+ 3,2%). A l'inverse, les dépenses de fonctionnement accéléreraient, passant de +5% l'an dernier à +5,8% cette année.
DMTO : talon d'Achille des départements ?
Principale victime de la poussée inflationniste : le bloc communal, dont les dépenses de fonctionnement augmenteraient de 6,8%. L'augmentation des prix de l'énergie et des produits alimentaires pèse particulièrement sur les budgets communaux, tandis que les finances intercommunales sont sensibles à l'évolution des prix des contrats de prestations de services. Les recettes du bloc communal croîtraient moins rapidement que les dépenses, mais demeureraient dynamiques (+5,2%). Principal impôt des communes, la taxe foncière sur les propriétés bâties (37,9 milliards d’euros), augmenterait de 9,4% - en raison d’une évolution des bases tirée par la revalorisation forfaitaire des valeurs locatives de 7,1% et d’une hausse des taux de l’ordre de 2,6% en moyenne nationale. En parallèle, les taxes dédiées (taxe "Gemapi" - gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations -, TEOM - taxe d'enlèvement des ordures ménagères -, taxe de séjour, versement mobilité…) connaissent une "croissance continue". Résultat : l'épargne brute du bloc communal baisserait en 2023 de manière contenue (-2,1%).
Les départements enregistreraient, en 2023, une hausse de leurs dépenses de fonctionnement limitée à 3,9%. Mais ils seraient fortement pénalisés par le fléchissement brutal de leurs recettes (-1,5%), sous l'effet principalement de la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Ce repli que la Banque postale estime à -20% à la fin de l'année, devrait s'établir "au-delà de ce que les départements eux-mêmes, très prudents dans leurs prévisions budgétaires, avaient anticipé", prévient Luc-Alain Vervisch, directeur des études. Qui souligne "l'énorme dépendance" des départements à l'égard de cette ressource estimée à 11,9 milliards d’euros pour 2023 (soit près de 3 milliards d’euros de moins qu'en 2022). Dans leur plongeon, les DMTO entraînent donc l'épargne brute des départements. Celle-ci pourrait se replier de 31%.
Les régions, pour qui la TVA représente la moitié des ressources, seraient moins fragilisées : leur épargne brute ne devrait se réduire que de 1,7%.
Marges de manœuvre réduites
Au total, l'épargne brute des collectivités reviendrait à un niveau proche de celui de 2019. Ce qui ne doit pas nourrir trop d'inquiétudes, selon Luc-Alain Vervisch. "Tout le monde disait que c'était une année exceptionnelle", se souvient-il. "Si la crise s'arrête, globalement, la situation du monde local lui permet de rebondir", juge-t-il. Reste à savoir, cependant, si la dégradation des comptes locaux est ponctuelle, ou si la tendance sera durable. Dans le second cas, les collectivités seraient affaiblies. Luc-Alain Vervisch constate en tout cas que les "marges de manœuvre" actuelles des collectivités sont "réduites", par rapport à ce qu'elles étaient à la veille de la crise sanitaire. "Les frais financiers repartent à la hausse, l'augmentation des coûts dans le BTP se confirme, les ressources humaines apparaissent en tension…", liste-t-il.
Cela n'empêcherait pas pour autant l'investissement local de progresser cette année, et ce pour la troisième année consécutive. En hausse de 9,6%, ce dernier parviendrait à un montant de 76 milliards d'euros (contre 69,7 milliards en 2022). Cette progression s'explique par les décisions d'investissement des grandes collectivités (régions, grandes villes, grandes intercommunalités), pour "des raisons qui tiennent à leur compétences", notamment la mobilité. Mais, l'inflation expliquerait aussi au moins la moitié de la croissance de l'investissement.
Trésorerie en baisse
Pour financer ces investissements, le recours à l’emprunt serait à nouveau en hausse (+6,6%) et atteindrait 22,8 milliards d’euros. Compte tenu de niveaux de remboursements plus faibles, l’encours de dette progresserait de 2,1% et s’élèverait en fin d’année à 206,7 milliards d’euros. En outre, les collectivités puiseraient dans leur abondante trésorerie. Pour la première fois depuis dix ans, le fonds de roulement des collectivités diminuerait, "à peu près dans toutes les catégories de collectivités", pour atteindre 64 milliards d'euros. Bercy n'aura pas à mettre la pression sur les collectivités pour qu'elles mettent la main à leur trésorerie. Les petites communes ont constitué une réserve de première moitié de mandat, dans l'optique de financer des projets futurs, fait remarquer le directeur des études de la Banque de financement et d'investissement de la Banque postale : la trésorerie des collectivités devrait donc "naturellement se dégonfler" en cette seconde moitié de mandat, fait-il remarquer.
Cette trésorerie tombe en tout cas à pic au moment où les collectivités doivent faire face à un mur d'investissements en matière de transition écologique. Un défi qu'elles ont la capacité de relever, estime Serge Bayard, directeur général adjoint de la Banque de financement et d’investissement. Car, leur situation aujourd'hui saine, pourrait leur permettre de recourir davantage à l'emprunt. En mettant bout à bout toutes les sources de financements possibles, les collectivités devraient pouvoir parvenir à financer la transition écologique, estime-t-il. "Mais le sujet n'est pas que financier. C'est aussi de l'ingénierie, de la capacité de construction", nuance-t-il.