Maîtrise des finances publiques : pour la Cour des comptes, la participation des collectivités est pleinement justifiée
La situation financière des collectivités territoriales est "à nouveau très favorable", juge la Cour des comptes dans le rapport sur les finances publiques locales pour 2023, qu'elle a présenté ce 4 juillet. Le remplacement d'impôts locaux par le produit de ressources nationales – en particulier la TVA – a dopé leurs recettes, indique-t-elle, en voyant le phénomène d'un assez mauvais œil. Pour les magistrats, les règles de compensation de la réforme de la fiscalité locale sont sans doute trop avantageuses pour les collectivités. Ils prônent une participation accrue des collectivités à la maîtrise des finances publiques.
En dépit de l'inflation qui frappe particulièrement les dépenses d'énergie, l'appréciation de la Cour des comptes sur la situation financière des collectivités locales ne varie pas : après 2021, l'année 2022 s'est révélée être "très favorable" globalement pour elles, avec toutefois des disparités parfois grandes à l'intérieur de chacune des catégories de collectivités. C'est l'avis que formule l'institution dans le premier fascicule de son rapport annuel sur les finances du secteur public local*, rendu public ce 4 juillet (voir ci-dessous). Un état des lieux qui vient compléter utilement le rapport que l'observatoire des finances et de la gestion publique locales avait mis en ligne à la mi-juin.
Véritable indicateur de leur santé financière, l'épargne brute des collectivités - c'est-à-dire le solde des recettes de fonctionnement et des dépenses de fonctionnement - a continué de croître l'an dernier (de 5,7%) pour atteindre 43,8 milliards d'euros, indique la Cour.
De bonnes rentrées fiscales… grâce à l'inflation
Les collectivités ont dû faire face à des dépenses de fonctionnement en forte augmentation (+ 5%), notamment sous l'effet de la hausse des dépenses de combustibles et de carburants (+ 30,7%), ou encore d’eau, d’énergie et de chauffage (+ 22,7%). Elles ont dû absorber une hausse de 5,2% (+ 3,5 milliards d'euros) des frais de personnels, lesquels ont un poids majeur dans les budgets locaux. Mais, les collectivités ont aussi bénéficié de bonnes rentrées en ce qui concerne les recettes, celles-ci progressant de 5,2% (soit le niveau de l'inflation en 2022). Pointée parfois comme la cause principale des difficultés des collectivités, l'inflation a aussi dopé certaines de leurs recettes. À commencer par la TVA qui leur a été affectée dans le cadre des dernières réformes de la fiscalité locale (notamment pour compenser la suppression de la taxe d'habitation perçue par les intercommunalités et les départements).
Le produit de TVA affecté aux collectivités et à leurs groupements, qui s'est élevé l'an dernier à 40,9 milliards d'euros, a augmenté de 3,5 milliards d'euros (soit + 9,2%). Selon les magistrats, cette progression explique à elle seule 40% environ de l’augmentation globale des recettes fiscales des collectivités en 2022. La Cour en déduit – en tout cas pour l'an dernier – que la réforme de la fiscalité locale (suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales et réduction de moitié des valeurs cadastrales des locaux industriels) a eu "un effet favorable sur les recettes des collectivités locales". Ceci est lié aux règles de compensation : les collectivités bénéficient de "l’intégralité de l’augmentation des recettes de TVA" d'une année à l'autre. La Rue Cambon estime ainsi que les réformes ont généré un gain de 4,3 milliards d'euros pour le bloc communal et les départements en 2022. Elle ajoute que, de leur côté, les régions ont obtenu 1,3 milliard d'euros supplémentaires l'an dernier, du fait de la réforme qui a remplacé leur part de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) par une fraction de TVA.
Des transferts de fiscalité "peu responsabilisants"
Cette situation avantageuse pour les collectivités – dans le cas de l'année 2022 – ne semble pas convenir totalement à la Cour des comptes. "La dynamique des recettes de TVA surcompense les pertes de recettes (…) liées aux réformes fiscales", écrit-elle. En outre, elle considère qu'"un dynamisme comparable à celui de 2022 pourrait susciter un relâchement des dépenses", alors que les collectivités doivent "contribuer au redressement des comptes publics".
Dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques qu'elle a rendu public le 29 juin (voir ci-dessous), la Cour des comptes dresse des observations complémentaires. La hausse des dépenses locales "est parallèle au dynamisme des ressources des collectivités territoriales", celui-ci étant "porté par la part croissante de la fiscalité transférée", constate-t-elle. Avec ces transferts de fiscalité "peu responsabilisants", les dépenses locales "peuvent augmenter à hauteur de la croissance des impôts transférés", critique-t-elle. À l'inverse, la Cour se fait le chantre de l'autonomie fiscale locale : "La réduction de la part des impôts locaux votés par les assemblées délibérantes a pu réduire l’incitation à modérer les dépenses."
Au regard de la progression en 2022 des recettes de fiscalité transférée, notamment la TVA, les "filets de sécurité" destinés à compenser les effets de l'inflation, que ce soit le dispositif mis en place pour 2022 ou celui qui a été prévu pour 2023, ne sont pas justifiés, selon la Cour.
Encadrer les dépenses… sans pénaliser l'investissement
Elle se montre, en outre, favorable à un "réexamen de l’affectation de la dynamique des recettes de TVA". "La question de l’affectation aux seules collectivités ou de la répartition avec l’État de la dynamique des recettes de TVA qui ont remplacé depuis 2021 des impôts locaux" est "posée", indique-t-elle.
Avec les transferts de fiscalité nationale, la part des recettes fiscales sensibles à la conjoncture dans les budgets locaux s'est accrue, ce qui est un autre sujet d'inquiétude de la Cour. Elle réitère sa proposition de mise en place de "mécanismes de lissage des variations conjoncturelles de leurs recettes". Une préconisation qui, on le sait, n'est pas passée inaperçue à Bercy : dans le cadre des Assises des finances publiques, le ministre Bruno Le Maire a proposé de mettre en place un mécanisme de mise en réserve des recettes locales lors des bonnes années (voir notre article du 19 juin).
Pour la Cour, les collectivités ont des "marges" pour participer à la maîtrise du déficit et de l'endettement publics. L'encadrement de leurs dépenses doit, selon elle, être inscrit dans le projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027, qui sera examiné à la rentrée par l'Assemblée nationale. Mais les règles devront tenir compte du "rôle attendu" des collectivités dans "la réalisation des investissements nécessaires à la transition écologique", estime-t-elle. De plus, la Cour considère que ces modalités devront être accompagnées d'un renforcement de la péréquation financière entre les collectivités, étant donné les disparités importantes entre ces dernières.
Dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Rue Cambon fait une autre proposition : la mise en place d'indicateurs nationaux qui serviraient à apprécier la "qualité" de la dépense (par exemple en matière de politiques sociales décentralisées).
* Le deuxième fascicule sera publié à l'automne et "analysera la situation et les perspectives des finances locales en 2023". En outre, il "traitera plusieurs aspects financiers de la libre administration des collectivités", dont la péréquation financière.